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2015

Publié le 22.10.2015

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Le  Donnerstag, 22. Oktober 2015

Jeco 2015, sal. mini.

C/r L. Auffant

  • Jéco (journées de l’économie) à Lyon

     

    Mardi 13 octobre 2015

    17h00 - 18h30 Que peut être un bon salaire minimum ?

     

    Compte rendu de L. Auffant

     

    Intervenants :

    Philippe Askenazy, Directeur de recherche au CNRS et membre du Conseil d’analyse économique

    Gilbert Cette, Professeur d'économie associé à la Faculté de Sciences économiques de l'Université d'Aix-Marseille II

    Andrea Garnero, Économiste à la Direction de l’Emploi, du Travail et des Affaires sociales de l’OCDE

    Steffen Lehndorff, Économiste, Institut Arbeit und Qualifikation (IAQ) / Université de Duisburg-Essen, Allemagne

     

    Modérateur : Camille Dorival, Alternatives économiques

     

     

    Présentation du thème (plaquette des Jéco) :

     

    Une très grande majorité de pays industrialisés sont maintenant dotés d’un salaire minimum national et interprofessionnel. Pour autant, les débats sont vifs sur la question du rôle du salaire minimum : réduire la pauvreté laborieuse ? Plus largement réduire la pauvreté et les inégalités de revenu ? Indiquer une valeur minimale au travail ? Pousser la progression moyenne des salaires ? Parfois même, soutenir la consommation et donc la demande finale ? En comparaison des autres pays, la France se caractérise par un salaire minimum élevé, très homogène selon l’âge et les régions, et dont la revalorisation est très dirigée par la réglementation. Il lui est attribué des effets préjudiciables sur l’emploi, en particulier des moins qualifiés, malgré l’importance des réductions de contributions sociales employeurs ciblés sur les bas salaires, et un dynamisme du salaire moyen qui contribuerait aux difficultés de la compétitivité française. La conférence abordera ces différentes questions, avec un éclairage international comparatif et, parmi les expériences étrangères, une attention particulière sera accordée à la mise en œuvre récente d’un salaire minimum en Allemagne, principal partenaire économique de la France.

     

    Interventions des participants :

     

    Andrea Garnero : la plupart des pays de l’OCDE a un salaire minimum mais on constate une forte hétérogénéité. Le débat actuel sur l’existence d’un salaire minimum est lié à la crise (montée des inégalités, recherche d’une justice sociale) et aux politiques publiques de plusieurs pays.

    Avant 1990, environ la moitié des pays de l’OCDE (soit 17 pays) possédaient un salaire minimum. Après 1990, 9 autres pays ont introduit un salaire minimum, récemment cela a été le cas de l’Allemagne (01/01/2014). Actuellement huit pays de l’OCDE n’en ont pas (ex : l’Italie, la Norvège) mais cela ne signifie pas pour autant que « c’est le far west » puisque des minima sectoriels peuvent être négociés par les syndicats des salariés et le patronat.

    Les salaires minimum sont très différents en fonction du salaire médian des salariés à temps plein (brut) : on va de 35 % du salaire médian en République Tchèque à 70 % en Turquie.

    Entre 2007 et 2013, des changements ont eu lieu : le salaire minimum a pu diminuer (Espagne, Grèce, Irlande) ou augmenter (Pologne, États-Unis).

    Certains critères témoignent de l’hétérogénéité des salaires minimum :

    -          Les mécanismes de fixation :

    • Le gouvernement (États-Unis, Pays-Bas)
    • La consultation (partenaires sociaux, experts)
    • La négociation (en Belgique)

    -          Des exonérations différentes

    • Les jeunes
    • Les chômeurs de longue durée (Allemagne)
    • Les régions (dans les pays fédéraux)
    • D’autres critères (ex : l’invalidité)

    -          Des procédures de revalorisation :

    • Régulière / irrégulière (et politique, cf. États-Unis : dernière revalorisation en 2009).
    • Présence d’une commission ou pas

    -          Plusieurs impacts du salaire minimum : il existe plusieurs « canaux d’ajustement » du salaire minimum (nombre d’articles sous Google Scholar) :

    • Emploi (333)
    • Prix (30)
    • Qualité (8)
    • Productivité (21)
    • Heures (33)
    • Profits (2)
    • Structure salariale (20)

     

    -          Le brut n’est ni le net ni le coût total salarial pour les entreprises. Les pays ont des régimes d’imposition différents, les interactions du salaire minimum avec les impôts et les prestations sociales diffèrent d’un pays à l’autre.

    -          Le salaire minimum n’est pas toujours suffisant pour lutter contre la pauvreté, la pauvreté est liée à la quantité d’heures de travail et à la structure de la famille.

     

    Steffen Lehndorff :

    Le point de départ en Allemagne est la part du secteur aux bas salaires. En 2010 les bas salaires représentaient 22 % des salaires en Allemagne : la part la plus élevée dans la zone euro (en France cette part était de 6,1 %). Entre 1995 et 2010, la part des bas salaires a augmenté de manière continue en Allemagne pour différentes raisons : affaiblissement des conventions collectives, réformes Hartz du marché du travail incluant les minis jobs : temps partiel sans couverture sociale (en 2003-2004). Les effets de la progression des bas salaires ont été l’aggravation des inégalités sociales, la restriction du marché domestique, la diminution du salaire moyen en Allemagne jusqu’en 2007-2008. En 2013, les socio-démocrates ont porté la revendication d’un salaire minimum national obligatoire égal à 8,50 euros.

    En 2015 ce salaire minimum de 8 euros 50 touche 19 % des travailleurs allemands (16 % en Allemagne de l’Ouest, 30 % en Allemagne de l’Est) avec quelques exceptions : des accords collectifs peuvent prévoir un salaire inférieur à condition que cela soit transitoire. Cette somme de 8,50 euros est un chiffre politique né il y a dix ans par comparaison avec le taux de pauvreté. Cette somme est susceptible d’être augmentée périodiquement lors de négociations collectives.

    L’exemple  des abattoirs allemands : l’exception a été utilisée sous condition d’extension de la convention et d’obligation pour les travailleurs détachés.

     

    Les premiers résultats du salaire minimum en Allemagne (cependant peu de recul) : les salaires ont augmenté, les emplois couverts par la Sécurité sociale sont plus nombreux, les salariés en mini job comme emploi principal sont moins nombreux. On a donc un effet positif sur la stabilité. La compétitivité n’est pas affectée de nos jours car la compétitivité allemande repose surtout sur le produit. Des restructurations avaient eu lieu ce qui avait changé les principales sources de la croissance économique allemande : 1992 : rôle du marché intérieur, entre 2001 et 2008 : rôle des exportations.

     

    Philippe Askenazy :

    Le salaire en lui-même est une condition du travail, c’est un élément essentiel de la reconnaissance d’une personne, de la valeur du travail effectué par une personne. Cet élément est essentiel pour la satisfaction et l’acceptation de son travail. Le salaire minimum fixe alors la valeur minimale du travail, la reconnaissance minimale. C’est un facteur de cohésion sociale et donc de compétitivité.

    Le bon fonctionnement de la société passe par le salaire minimum. Aujourd’hui, le salaire minimum est plutôt porté par des gouvernements conservateurs. Un exemple marquant : l’Angleterre de David Cameron. Dans le cas britannique, face à la pauvreté et aux inégalités, se posait la question : faut-il jouer sur la redistribution (aides sociales) ou les travailleurs pauvres (salaire minimum) ? Une émission de TV réalité montrait que les minima sociaux étaient perçus comme un coût élevé pour les électeurs et une forme d’assistanat.  Le choix de D Cameron a été l’augmentation du salaire minimum. La droite porte le salaire minimum pour insister sur la valeur travail et faire oublier l’assistanat.

    En Angleterre on a eu à la fois une augmentation du salaire minimum et du nombre d’emplois chez les jeunes (20-22 ans) car en augmentant le salaire minimum cela incite à travailler, le travail devient valorisant.

     

    Gilbert Cette :

    « Deux ou trois choses que l’on sait du salaire minimum en France ».

    Le salaire minimum en France date de 1950 : le SMIG (devenu SMIC en 1970).

    1)      un salaire minimum est utile et un grand nombre de pays en dispose (zone euro : 14 pays sur 18, UE 22 / 28).

    Utilité du salaire minimum :

    -          Il renforce le pouvoir de négociation pour des salariés démunis, en monopsone (ex : travailleurs à domicile).

    -          C’est une norme de plancher salarial mais c’est aussi le constat d’une carence de la négociation collective.

     

    2)      Le SMIC est uniforme, homogène (alors que les niveaux de vie sont différents selon les régions : Paris/Lozère, l’homogénéité du salaire minimum concerne aussi l’âge) et sa revalorisation réglementaire est contraignante.

    Revalorisation : indexation sur les prix + ½ pouvoir d’achat du SHBOE (salaire horaire de base ouvrier et employé) + coup de pouce (décision discrétionnaire).

     

    3)      Le salaire minimum est élevé et coûteux pour les finances publiques, en France.

    Pourquoi ?

    -          À cause des coups de pouce

    -          À cause de la dynamisation du SHBO durant les 35 heures

    -          À cause de la convergence des garanties salariales (2002-2005)

    -          À cause de la dynamique spontanée du SMIC notamment durant la crise. Exemple : en janvier 2014 : le SMIC augmente de 1,1 %  cela représente 0,5 % de plus de pouvoir d’achat alors que le chômage atteint les 10 %. C’est sans équivalent ailleurs.

     

    À budget constant, cette organisation est-elle concevable, performante pour :

    -          La croissance et l’emploi ? NON

    -          Lutter contre la pauvreté et les inégalités ? NON

    -          Favoriser la mobilité sociale ? NON

     

    4)      L’impact sur la croissance et l’emploi

    Les salaires sont dynamiques en France malgré un manque de compétitivité. Quel est le rôle du SMIC dans cette dynamique ?

    Il a un impact normatif sur les minima de branche (cf. études de la Banque de France et de la DARES).

    Il existe un risque de circularité : la revalorisation du SMIC influence le salaire moyen qui influence à son tour la revalorisation du SMIC.

     

    5)      L’impact sur la pauvreté et les inégalités

    Cf. étude de l’OCDE datant de 2009.

    Le SMIC est inefficace pour lutter contre la pauvreté puisque celle-ci dépend du nombre d’heures travaillées et de la composition du ménage. Une hausse du SMIC de 1 % a un effet faible sur le revenu du fait des prélèvements et des prestations (sans prendre en compte les droits connexes).

    Il est aussi inefficace pour lutter contre les inégalités puisque celles-ci dépendent d’abord de l’emploi et de l’existence d’un chômage massif persistant.

     

    6)      L’impact sur la mobilité sociale

    Nous constatons une forte stabilité des salariés au SMIC (surtout des ouvriers et des femmes). La principale question est l’inefficacité de la formation professionnelle actuelle.

     

    Conclusion : il serait pertinent d’avoir un SMIC régionalisé, fonction du pouvoir d’achat. Il faut s’interroger sur l’effet sur l’insertion des jeunes sur le marché du travail (comparaisons RU, Danemark, France).

     

    Réponses aux questions de l’auditoire

     

    Le salaire minimum : une contrainte en France, quel impact sur l’emploi ?

    -          Philippe Askenazy : On peut agir sur l’aspect contraignant par exemple en modifiant le mode d’indexation. Les dernières fortes hausses du SMIC remontent aux 35 heures.

    -          Gilbert Cette : Le SMIC a des effets d’entrainement sur le salaire moyen. Cet effet normatif est particulier à la France. Le tassement ensuite des salaires peut être préjudiciable à l’emploi. Exemple d’une étude sur les coiffeurs : écart de 10 euros par mois entre un débutant au SMIC et un salarié ayant 5 ans d’ancienneté. Ici le problème est l’incitation au travail.

     

    Un salaire minimum en Europe ?

    Philippe Askenazy : L’hétérogénéité dans la zone euro est trop forte pour établir une somme par heure, il faudrait plutôt choisir un pourcentage du salaire médian. Nous n’avons pas de consensus dans l’UE. Une autre question importante est celle des travailleurs détachés, rémunérés dans les conditions de leur pays d’origine.

     

    Une augmentation du salaire minimal dans les autres pays européens peut-elle améliorer la compétitivité en France ?

    -          Steffen Lehndorff : C’est possible. Mais le coût du travail n’est qu’un seul élément de la compétitivité. D’autres variables sont importantes : la formation professionnelle, la culture de la collaboration dans l’entreprise entre les travailleurs qualifiés et les ingénieurs. Ces éléments agissent sur l’innovation permanente des produits et sont à l’origine d’une compétitivité produit.

    -          Gilbert Cette : L’opposition compétitivité prix/produit est un faux débat. Si quelqu’un est prêt à acheter cher une voiture allemande, c’est qu’il a l’impression qu’il en a pour son argent. Derrière le prix, il y a les coûts de production. La qualité a un prix. La France vend trop cher des produits compte tenu de leur qualité y compris pour les acheteurs français (d’où un déficit courant).

     

    Quel est le bon niveau de salaire minimum ?

    -          Steffen Lehndorff :C’est une question politique : il faut un niveau qui donne une poussée à la négociation collective, à des négociations.

    -          Andrea Garnero : le chiffre varie d’un pays  un autre. Un bon salaire minimum donne de la valeur au travail, donne une incitation à travailler sans empêcher l’investissement et l’emploi. Ce niveau permet aux gens et aux entreprises de vivre.

    -          Philippe Askenazy :C’est une construction politique et sociale. Les économistes ne peuvent donner que des éléments de décision des choix qui eux sont fondamentalement politiques. Il faut aussi se poser la question des femmes : le salaire minimum doit être un outil de l’égalité entre les hommes et les femmes. Il est crucial dans la construction des sociétés modernes aussi pour cette raison.

    -          Gilbert Cette : il faut détotémiser ce débat, avoir des critères de choix et de jugement reposant sur des objectifs explicités. Ces trois objectifs sont : la croissance et l’emploi, la lutte contre les inégalités et la pauvreté, et la mobilité sociale (ne pas rester enfermé dans un salaire minimum).