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2016

Publié le 16.11.2016

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Le  Mittwoch, 16. November 2016

Baisse cotisations

Jéco 2016. L. Auffant

  • Jéco, Mercredi 9 Novembre 2016, 16h-17h30

    Bourse du Travail, Lyon

     

    La baisse des cotisations : un outil efficace ?

     

    Intervenants :

    Françoise Drumetz : directrice des études microéconomiques et structurelles à la Banque de France
    Sarah Guillou : Directrice adjointe à l’OFCE
    Yannick L’Horty : professeur d’économie à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée
    Frédéric Maurel : Directeur Général de Mazars en Auvergne Rhône-Alpes
    Sophie Tasque : conseiller technique FO.
     
    Modérateur : Cyrille Lachèvre, L’Opinion

     

    Présentation de la conférence dans la plaquette des Jéco :

     

    Le gouvernement français a misé sur une politique de l’offre pour relancer l’économie française et pour renforcer les entreprises. À quelques mois de la fin du quinquennat, les effets de différents dispositifs, principalement des crédits d’impôt aux entreprises sous la forme du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) et du Crédit d’Impôt-Recherche (CIR) peuvent et doivent être discutés. Ont-ils permis le redressement espéré et, si oui, par quels canaux : amélioration de la compétitivité, de la profitabilité et/ou hausses de salaires ? Les intervenants présenteront le résultat de leurs recherches et offriront un éclairage bienvenu sur les enjeux posés par ces politiques publiques dans les entreprises et dans le cadre des négociations collectives.

     

    Compte-rendu des exposés des intervenants

     

    Yannick L’Horty :

    La baisse des cotisations n’est pas un sujet mineur dans les politiques de l’emploi, bien au contraire c’est le sujet numéro 1. Depuis plus de 20 ans la France a choisi une politique originale (du point de vue international) d’aide directe aux entreprises pour subventionner la création d’emplois. Cette aide directe aux entreprises prend la forme d’exonération de cotisations sociales.

    Ces aides sont générales : l’ensemble des entreprises est concerné (quel que soit le secteur), sans condition, sans contrepartie, et ces aides sont aussi ciblées sur les plus bas salaires. Il existe différents barèmes d’exonération : l’aide donnée aux entreprises est d’autant plus importante que la rémunération est proche du SMIC. Par conséquent cette aide a un caractère dégressif. En France, aujourd’hui, coexistent des exonérations générales issues des lois Fillon (2003-2005) et des exonérations liées au CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi).

    -          le dispositif général : baisse de 28 points (sur 40 points de cotisations sociales) au niveau du salaire minimum, dégressif jusqu'à 1,6 fois le SMIC. Cela représente 20 milliards d’euros (1 point de PIB chaque année) et concerne les deux tiers des salariés. C’est donc la principale politique de l'emploi en France.
    -          les exonérations liées au CICE ont  connu une montée en charge progressive : 4 % en 2013, 6 % pour 2014-2015, il est prévu 7 % pour 2017. Le CICE est censé encourager l’emploi et soutenir la compétitivité. Le bénéfice du crédit d’impôt est différé pour l’employeur. Le taux d’abattement est uniforme jusqu’à 2,5 SMIC (d’où un risque d’effet de seuil).

     

    L’ensemble des stratégies pour diminuer le coût de production, si elles sont employées massivement, coûte 50 milliards d’euros (50 = exonération générale : 20 milliards + CICE : 20 milliards + autres dispositifs du pacte de responsabilité : 10 milliards).

     

    Projection d’un graphique avec l’historique des mesures depuis 1993 :

    -          1993-95 Juppé-Balladur : politique générale ciblée sur les bas salaires
    -          2000 : lois Aubry dans le cadre des 35 heures
    -          2006-2008 : fusion des deux dispositifs en France métropolitaine
    -          Dispositif différent pour l’outre-mer : des dispositifs différenciés selon les secteurs d’activité, moins dégressifs et globalement plus généreux.

     

    Finalement, la fenêtre d’exonération s’est élargie au cours du temps. Le niveau de l’exonération s’est élevé. Les barèmes ont été modifiés : lissage pour éviter les effets de seuils liés aux barèmes en escaliers.

     

    Françoise Drumetz :

    Deux risques sont liés à l’allègement des cotisations sociales :

    -          trappe aux bas salaires : pour entrer dans le dispositif d’allègement, on a des pressions à la baisse  à l’embauche. Ce freinage ou cette modération salariale permettent de rester dans la lucarne d’allègement.
    -          à moyen terme, surtout si le dispositif est concentré sur les bas salaires, on a une moindre incitation à se former, ce qui pose des problèmes sur la productivité à long terme.

     

    Des investigations ont été menées pour évaluer ces risques :

    -          la modération salariale n’est pas vérifiée
    -          le second risque est difficile à tester empiriquement.

    Il est donc difficile de savoir si les effets néfastes existent, la réponse serait plutôt négative.

     

    Sarah Guillou :

    Du point de vue macroéconomique, l’exonération pose le problème du financement de la protection sociale :

    -          Par quoi remplace-t-on ces cotisations ? Par la TVA sociale ?
    -          Diminue-t-on voire supprime-t-on  les prestations ? Si les prestations sont supprimées, quels en sont les effets ?

     

    Du point de vue microéconomique, se pose la question de l’amélioration de la compétitivité des entreprises à l’international. Cet aspect doit être étudié car en France, le coût du travail reste élevé.

    La part des cotisations employeurs = 33 % en France (avant le CICE), 21 % en Allemagne. Mais raisonne-t-on toutes choses égales par ailleurs ? Il est nécessaire de prendre en compte coût de l'énergie et de l'innovation pour savoir si les entreprises françaises doivent diminuer leurs marges ou augmenter leur prix.

     

    Sophie Tasque :

    Le vrai bilan d’une politique d’offre doit intégrer le prix que la collectivité paie. Par exemple, le CICE et le pacte de responsabilité coûtent 40 milliards. Ce sont donc 40 milliards d’euros en moins pour la Sécurité Sociale, pour les dépenses publiques.

    Le lien entre le coût du travail et l’emploi ne fait pas consensus. Le lien entre la diminution des cotisations sociales et les créations nettes d’emplois n’est pas évident. Les effets réels sur l’emploi dépendent des modèles et des hypothèses pour estimer ces effets.

     

    Yannick L’Horty :

    La réponse n’est pas ambigüe : les baisses des cotisations ont des effets positifs sur l'emploi : 1 point de cotisation sociale en moins engendre une hausse en moyenne de 0,5 point de l’emploi (cela dépend de la forme du barème des exonérations). Plus les exonérations sont ciblées sur le bas de la distribution des salaires, plus les effets sur l’emploi sont importants. Pour les bas salaires (exemple des « dispositifs zéro charge »), 1 point d'exonération engendre 2 points d'emploi en plus. Une exonération moins ciblée a moins d’effets positifs mais elle en a tout de même.

     

    Sarah Guillou :

    Rappels sur le CICE : le CICE  est un crédit d’impôt instauré en 2013. Ce crédit d’impôt est fondé sur la masse salariale de l’entreprise, souvent assimilé à une baisse de cotisations. Les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC sont éligibles au CICE, le taux est de 4 % en 2013, 6 % en 2014 et 7 % en 2017.

     

    Des travaux de l’OFCE ont mesuré les effets attendus du CICE sur la compétitivité à l’exportation[1]. Il s’agit de mesurer la sensibilité des exportateurs français à une baisse du coût du travail.

    Résultat : élasticité de - 0,4 à – 0,5 (élasticité faible mais effet de levier important si le crédit est distribué à un grand nombre d’entreprises)

    Les exportateurs français sont sensibles à la compétitivité-prix alors qu'ils pêchent en compétitivité hors-prix. Cependant, le CICE peut permettre d’améliorer la compétitivité hors-prix si la hausse de marge est utilisée par les entreprises pour investir dans la R-D.

     

    Yannick L’Horty :

    Trois équipes de recherche ont travaillé à partir de sources fiscales d’entreprises pour les années 2013-2014 pour France Stratégie. Ces recherches datant de septembre 2016[2], nous avons peu de recul.

    Quels sont les résultats ? Des effets marqués sur les marges des entreprises mais peu de résultats sur l'emploi (divergence entre les résultats de deux équipes, l'une trouve + 80 000 emplois en 2013 et pas en 2014, l’évaluation de sciences po[3] montre qu'il n'y a pas d'effet du CICE sur l'emploi).

     

    Françoise Drumetz :

    Les résultats de science po ne sont pas surprenants car le délai (2 ans) était trop court pour observer les effets du CICE (sur l’emploi, sur les exportations, sur la R-D). De plus, le CICE a un volet de préfinancement qui a contribué à maintenir en vie certaines entreprises (voir les études de la Banque de France).

    Une équipe de Sciences Po a également réalisé une enquête sociologique auprès des entreprises sur l'appréciation du CICE. Certaines entreprises se sont interrogées sur la pérennité du système (2013-2014) et se sont demandé si le CICE était bien vu comme une diminution des cotisations sociales. Or, le CICE a parfois été vu comme un allègement du coût du travail  par les RH mais pas par les équipes décisionnelles.

    Autre étude : une note du CAE « à la recherche des parts de marché perdues »[4] (mai 2015). Quelle est la valeur d’export d’une entreprise ? 23 % provient du coût du travail de l’entreprise concernée et environ 20% provient du coût du travail d’entreprises fournissant des services. Donc on a deux effets positifs du CICE pour les exportations (exportateurs et fournisseurs des exportateurs).

     

    Frédéric Maurel :

    Le crédit d’impôt n’apparaît pas sur les fiches de paye. Le problème est que ce crédit dépend des résultats des entreprises. Le CICE ne permet pas de créer des emplois car c’est un crédit d’impôt, il est à taux variable, il ne touche pas les bonnes entreprises (pas celles qui sont le plus confrontées à la concurrence internationale), il est complexe, il existe un décalage dans le temps pour percevoir le crédit.

    Le CICE sera complexe à remettre en cause : il fait vivre des entreprises de services à la personne. Entre temps, les allocations familiales ont elles aussi été réformées. Or les entreprises ont besoin de stabilité fiscale et sociale.

    Les allègements Fillon étaient eux aussi très complexes et ont conduit à de nombreux redressements fiscaux d’entreprises qui les avaient mal appliqués.

     

    Sophie Tasque :

    FO  n'est pas défavorable aux aides publiques aux entreprises (par exemple FO était pour la BPI).

    Cependant le cadre doit être contraignant. Dans le cas du CICE et du pacte de responsabilité, l’aide n’est pas ciblée, pas contractualisée, pas conditionnée (à l’investissement productif, à l’emploi). Le contrôle s’effectue ex post. Or les sommes en jeu sont colossales : 40 milliards d’euros aujourd’hui, 137 milliards d’aides aux entreprises en 2017.

    Le CICE est un choc d’offre. Des nouvelles modalités de baisse de cotisations sociales ont été accordées sans contrepartie et sans fléchage. L’objectif originel était de favoriser les entreprises exportatrices.  Certaines entreprises n'en avaient pas besoin. On a eu des dérives dans l’utilisation de ce dispositif.

    Donc faute de ciblage et de conditionnalité, le CICE est voué à l’échec en matière d’emploi.

     

    Une autre raison de l'hostilité de FO à ce choc d'offre est son mode de financement. Le CICE  engendre une diminution des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité des ménages (énergie, consommation). Le CICE a donc un prix pour la collectivité qui doit être pris en compte dans le vrai bilan d'une politique de l'offre.

    Les réponses à la perte de la compétitivité française à l’exportation se situent ailleurs : l’articulation entre la recherche publique et la recherche privée, l’attractivité des territoires, les relations entre les entreprises et les sous-traitants.


     

    Frédéric Maurel :

    Le CICE a entraîné une diminution du prix de revient mais il a été rétrocédé : des salariés ont demandé des hausses de salaire.

    Le CICE ne peut pas cibler l’aide sur certains secteurs (contrôle de l’UE).

     

     

    Réponses aux questions de l’auditoire

     

    Les politiques de  baisse des cotisations ont-elles de l'avenir en France ?

     

    Yannick L’Horty :

    Oui ces politiques ont de l’avenir. Néanmoins, il est nécessaire de faire des mesures pérennes, lisibles et simples pour les entreprises. Aujourd’hui il existe trois dispositifs qu’il faudrait fusionner.

    Réflexion sur la conditionnalité : elle impliquerait une administration de ces conditions donc un coût de contrôle. S'agissant des mesures générales, elles doivent être inconditionnelles. Cela n'empêche pas de mettre en place des mesures catégorielles conditionnelles.

    Les exonérations générales sont entièrement compensées par le budget de l’État, c’est une mesure comptablement neutre pour l’équilibre financier de la Sécurité Sociale.

     

    Le CIR est-il efficace (il coûte 6 milliards par an) ?

     

    Françoise Drumetz :

    Le CIR se fonde sur des dépenses de personnel R-D ou sur des amortissements. Des travaux d’estimation du CIR ont montré que c’est un instrument raisonnablement efficace : il porte sur la compétitivité hors-prix, or c’est cette forme de compétitivité que la France doit restaurer.

     

    Frédéric Maurel :

    Le CIR fonctionne car il est très ciblé, de plus il permet d’attirer des cerveaux.

     

    Dans l’avenir faut-il envisager une TVA sociale ?

     

    Sarah Guillou :

    Le CICE est une forme de TVA sociale : on finance la baisse des cotisations sociales par la hausse de la TVA (en 2014 la TVA a augmenté). La TVA sociale s’apparente à une dévaluation fiscale, elle impacte les produits vendus en France y compris les produits importés. Cela crée un avantage compétitif. On a donc financé un choc d’offre (le CICE) par un choc de demande négatif (la hausse de la TVA, pas compensée par la fiscalité énergétique).

     

    Sophie Tasque :

    Le CICE a créé un choc récessif à cause de la diminution des dépenses publiques. Il ne vaut mieux pas utiliser l’expression « charges sociales » : les cotisations sociales ont une contrepartie économique : les prestations sociales.

     

    Sarah Guillou :

    Le choc récessif n’annule pas la légitimité du CICE.