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2017

Publié le 25.11.2017 Modifié le : 06.03.2018

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Le  Samstag, 25. November 2017

Populisme, détresse éco.

Jeco 2017

  • Jéco, 11h-12h30 Conférence

    Mercredi 8 Novembre 2017- salle Molière, quai de Bondy, Lyon

     

    L’attrait du populisme s’explique-t-il vraiment par la détresse économique ?

     

    Intervenants :

    Charlotte Cavaillé : Assistant professeur de sciences politiques à Georgetown

    Emeric Henry : Professeur de science économiques à Sciences Po Paris

    Regis Sauder : Réalisateur de « Retour à Forbach »

    Paul Seabright : Professeur à la Toulouse School of Economics et Directeur de l'Institut d'Etudes Avancées de Toulouse (IAST)

     

    Modérateur : Thierry Fabre, Challenges

     

    Présentation du thème dans le programme des Jéco :

    Cette séance explorera l’utilité et les limites des sciences économiques pour expliquer certains grands changements politiques des années récentes. Une introduction par Paul Seabright, professeur de sciences économiques à la Toulouse School of Economics et Directeur de l’Institut d’Études Avancées de Toulouse (IAST), expliquera le concept de populisme et en donnera un contexte. Ensuite Charlotte Cavaillé, professeur de sciences politiques à l’Université de Georgetown aux USA, abordera la dichotomie “explication économique ou explication culturelle”, qui est omniprésente dans les débats sur la montée du populisme. Elle présentera quelques outils théoriques et faits empiriques permettant de dépasser cette dichotomie. Puis Emeric Henry, professeur de sciences économiques à Sciences Po Paris, présentera une étude expérimentale pour analyser l’utilisation de faits erronés pour développer l’argumentaire populiste. Dans le cadre de l'élection présidentielle de 2017, son équipe a aléatoirement exposé un échantillon représentatif de plus de 2000 électeurs à différents messages et corrections, afin de voir si la présentation de faits erronés a un effet sur les intentions de votes, et si la correction des faits permet de corriger leurs effets. Pour terminer, Regis Sauder, réalisateur indépendant, parlera de son film documentaire Retour à Forbach, où il revient dans sa ville natale pour évoquer un récit d’enfance et de honte, celle du milieu dans lequel j’ai grandi. En retrouvant ceux qui sont restés à Forbach, il trace un portrait subjectif d’une ville hantée par son histoire, celle de la seconde guerre mondiale et de la désindustrialisation avec la fermeture des mines de charbon. Il montre comment le cinéma peut aborder un phénomène comme le populisme, par les images des lieux dans lesquels vivent les populations qui sont tentées par le recours au vote nationaliste, et par la mise en récit de trajectoires individuelles qui nous renseigne sur le sentiment de déclassement et d’abandon.

     

    Conférence filmée, vidéo à cette adresse :

    https://www.youtube.com/watch?v=T08mV-GFS-0


     

    Compte-rendu

     

    Présentation par Thierry Fabre

    Il y a un an a eu lieu pendant les Jéco l’élection de D Trump. Depuis le second tourde l’élection présidentielle en France on aurait pu penser que la victoire d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen marquait  le coup d’arrêt du populisme. Cependant cela n’a pas été le cas : résultats d’élections en République tchèque, en Autriche, en Allemagne. D’où vient cette vague populiste ? Parfois elle a lieu dans des pays en situation de plein-emploi, le contexte économique a-t-il un rôle ?

     

    Intervention de Paul Seabrigth :

     
    Qu’est-ce que le populisme ?

    Le phénomène existe depuis la Grèce Antique (Périclès était traité de populiste par ses opposants). Le Sénat romain abritait une faction appelée populares. Toutes les définitions du populisme sont contestées, mais l’idée importante est que le populisme consiste en un appel au « peuple » contre les élites. Les populistes font campagne typiquement sur une plateforme d’hostilité aux élites et de promesses à gouverner en écoutant directement le peuple. On peut trouver du racisme dans certains argumentaires populistes.

     

    Un paradoxe : populisme et prospérité

    D Trump : 49 % des votes des électeurs à revenus supérieurs à 50 000 dollars par an
    RU : Brexit quand le chômage est inférieur à 5 %
    La Pologne tire vers l’autoritarisme alors qu’elle bénéficie d’une croissance économique forte et soutenue depuis une vingtaine d’années.
    En République tchèque, en pleine croissance économique, deux partis populistes et xénophobes (ANU et Liberté et Démocratie Directe) se développent.
    Ici le populisme ne va pas de pair avec la détresse économique.

     

    Le populisme : le fruit d’une faible éducation ?

    Dans l’élection de D Trump pas d’effet d’éducation chez les blancs. L’effet d’éducation peut être différent selon les groupes ethniques.

     

    Le populisme : un phénomène identitaire ?

    USA : femme blanches : 53 % ont voté pour Trump (malgré le sexisme de ce candidat), 33 % des hommes latinos ont voté pour Trump bien qu’il les ait traité de « violeurs ».

    De plus nous avons tous des identités multiples. Quels sont les facteurs qui activeraient une dimension de notre identité plutôt qu’une autre ?

     

    Le référendum britannique de 2016 montre l’importance d’un projet alternatif. Cf. carte avec les circonscriptions électorales et les votes : on a une coupure nette à la frontière entre l’Écosse et l’Angleterre alors que les territoires de part et d’autre de la frontière ont de nombreux points communs. La différence entre les territoires est l’existence d’un projet alternatif en Écosse qui n’existe pas en Angleterre. Ce referendum apporte aussi des informations sur l’immigration. Le leave est plus faible (et remain est plus fort) dans les circonscriptions électorales à plus forte proportion d’immigrés. De même, les cantons suisses les moins touchés par l’immigration sont les plus hostiles à l’immigration dans des référenda récents.

    La peur de l’immigration est-elle liée à l’expérience de l’immigration ? D’autres facteurs sont corrélés : incidences de réductions fiscales, début de la crise économique, la dépendance du secteur manufacturier, la proportion d’électeurs âgés, la proportion de propriétaires immobiliers, et paradoxalement la dépendance de la région du commerce avec l’UE.

     

    Les interactions sont complexes (travaux de Becker, Fetzer et Novy, 2015) entre des variables : faiblesses structurelles de la population, croissance de l’immigration, rôle des journaux hostiles à l’UE (ou dans le cas des USA favorisant un candidat : Fox News : + 6 points pour les républicains).

     

    Finalement, c’est la conjonction de constats structurels (faible niveau d’éducation, faibles ressources pour affronter la crise) et des changements économiques qui peuvent expliquer le populisme. En France le chômage a un pouvoir d’explication plus fort qu’au Royaume-Uni dans l’attrait pour le populisme.

     

    Néanmoins il existe un facteur oublié dans toutes les études : l’importance de l’écoute.

    Les candidats populistes reviennent souvent vers leur base électorale. Le peuple se sent méprisé (mots durs employés par H Clinton à l’encontre des électeurs de D Trump) et vote alors pour des partis populistes. Le respect et la dignité sont devenus une monnaie politique qui est peu maîtrisée par les structures politiques traditionnelles.

     

    Intervention de Charlotte Cavaillé

    La présentation sera décomposée en 3 parties : les explications économiques de l’attrait pour le populisme et leurs limites, les explications culturelles et leurs limites et la synthèse : « les deux mon Général ! ».

     

    1)      les explications économiques et leurs limites

    Des transformations économiques de long terme créant de la détresse économique peuvent expliquer le vote populiste.

    Les corrélations observées pour le Brexit concernent le niveau d’éducation, l’âge moyen, le rôle historique du secteur industriel et le taux de désindustrialisation (2000-2011), le salaire moyen, le taux de chômage, la vulnérabilité du tissu industriel local face aux exportations chinoises. D’autres travaux ont montré aussi le rôle de la crise financière sur la montée du populisme.

     

    Ces variables étaient macroéconomiques. Il faut également tenir compte de données individuelles.

     

    Les limites de cette approche sont de ne pas expliquer les différences de vote et surtout de ne pas prendre en compte l’attitude vis-à-vis de l’immigration qui est une variable explicative du vote populiste.

     

    2)      les explications culturelles et leurs limites

    Les différences de valeurs expliquent davantage les choix remain / leave que les variables économiques.

     

    Les variables culturelles ont des limites. Évoquer la personnalité n’est pas satisfaisant scientifiquement (une personne serait née comme ça : c’est un facteur génétique ?). L’âge n’est pas une variable prédictive du vote FN actuellement. Les variables culturelles n’expliquent pas les variations au cours du temps, les variations sont corrélées avec les crises économiques, avec le contexte (notamment en ce moment la crise des réfugiés, ou encore l’émergence de la Chine et son rôle dans la mondialisation : notamment lors du vote Brexit).

     

    3)      les deux approches se complètent

    On peut analyser l’offre populiste (l’offre du FN a évolué : cf. place de l’État-providence), les différents types d’électeurs et enfin comparer avec des travaux qualitatifs les votes pour deux extrêmes. Des travaux ont été menés en France au Royaume-Uni et aux États-Unis et aboutissent aux mêmes résultats que l’on peut schématiser sous forme de triangles :

     

    L’électeur d’extrême droite : en bas de l’échelle quand il a fait peu d’études. Pour maximiser son statut social, il lui faut monter par rapport au bas : immigrés, non méritants.

    L’électeur d’extrême gauche : niveau d’études plus élevé, il cherche à minimiser la distance avec le haut de l’échelle sociale.

     

    Intervention d’Emeric Henry

    Il s’agit de présenter une démarche d’économie expérimentale pour étudier l’impact de fake news sur le vote populiste. Les fake news (traduits poliment par « faits alternatifs » et de manière moins politiquement correcte par « mensonges éhontés ») sont plus souvent associés aux partis populistes ou aux candidats anti système.

    Souvent le fake new est un chiffre inclus dans un argumentaire. Exemple d’une citation de Marine Le Pen le 8/9/2015 où elle déclare avoir vu des images de clandestins : ils sont composés de « 99 % d’hommes », elle affirme qu’ils viennent uniquement pour une raison économique et qu’il s’agit donc d’une immigration économique et d’une immigration d’installation.

    Le chiffre réel n’est pas 99 % mais 58 %. Il s’agit d’étudier une utilisation erronée d’un chiffre et aussi d’étudier l’effet d’une vérification de ces faits (le fact checking qui s’est beaucoup développé dans les médias).[1]

     

    L’expérimentation menée

    Constitution d’un échantillon de près de 2 500 personnes en âge de voter, échantillon tiré aléatoirement et représentatif, les 2 500 personnes vivent dans 5 régions où le FN réalise des scores importants.

    Les individus sont classés en 4 groupes :

    -groupe 1 : ne dispose d’aucun texte (groupe de contrôle)

    -groupe 2 : dispose d’un texte de Marine Le Pen contenant des chiffres erronés (un chiffre permettant d’aboutir à trois conclusions ou trois arguments : les migrants viennent pour des raisons économiques, ils veulent profiter de notre système de protection sociale, ils devraient plutôt rester dans leur pays et se battre)

    -groupe 3 : dispose de statistiques de sources officielles

    -groupe 4 : dispose d’un texte de Marine Le Pen contenant des chiffres erronés et les faits à partir des sources officielles (le fact checking)

    L’expérimentation consiste ensuite à tester d’abord les intentions de vote des 4 groupes (le taux d’intention de vote pour Marine Le Pen) et enfin d’étudier quels faits ont été retenus dans chaque groupe.

     

    Quelques résultats

    Le groupe 1 (groupe de contrôle) : en moyenne 34 % déclarent probablement ou très probablement voter pour Marine Le Pen en mars 2017. Le groupe 2 (qui a les déclarations de Marine Le Pen) voterait davantage pour Marine Le Pen : 41 %. Le groupe 4 connaît la même augmentation de 7 points du vote pour Marine Le Pen par rapport au groupe de contrôle. Le fact checking n’a donc aucun effet de correction sur les intentions de vote pour Mme Le Pen. Pire encore peut-être les résultats pour le groupe qui n’a eu accès qu’aux faits (groupe 3). Le groupe 3 augmente aussi ses intentions de vote pour Marine Le Pen mais la hausse est moindre.

    Les participants apprennent très bien les faits. Dans l’expérimentation, des questions sur des faits comme par exemple le pourcentage de réfugiés et le pourcentage d’immigrés qui travaillent sont posées aux quatre groupes. Lorsqu’ils sont confrontés aux fake news et aux faits, ils font davantage confiance aux sources officielles.

    Par contre quand on passe aux conclusions sur pourquoi les gens viennent (raisons économiques/raisons sécuritaires), on constate que Marine Le Pen parvient à convaincre que c’est pour des raisons économiques. L’opinion selon laquelle les réfugiés viennent pour des raisons économiques augmente de 13 % pour le groupe 2 et de 8 % pour le groupe 4.

    Le fact checking permet de très bien corriger la connaissance factuelle quand la croyance n’est pas très forte au départ. En revanche, il ne permet que très marginalement de corriger les impressions laissées par le discours de Marine Le Pen. Par ailleurs on constate la saillance de la question de l’immigration élimine l’effet de correction du fact checking. Pour les intentions de vote, montrer uniquement les statistiques pures ne change pas les intentions de vote.

     

    Conclusion

    Présenter les faits de manière neutre pour corriger les mensonges est inefficace voire contre-productif. Il faut questionner l’argumentaire plutôt qu’insister sur les chiffres. Par exemple il faut revenir sur le fait qu’il y ait beaucoup d’hommes et sur le lien avec la raison économique.  Par ailleurs, les gens sont demandeurs de chiffres. Lors de débats, ce n’est pas la peine d’ajouter des chiffres y compris de fact checking au fur et à mesure du débat (sur-incrustation sur l’écran). Se pose la question de l’importance croissante des chiffres dans le discours politique qui semble être un moyen important pour la crédibilité du discours sans que se pose la question de la qualité du chiffre lui-même.

    Le même constat d’effet négatif du fact checking sur les intentions de vote a également été vérifié lors de l’élection de D Trump. L’effet de saillance, renforcé par le fact checking peut en effet favoriser le candidat.

     

    Intervention de Régis Sauder

    Je suis retourné à Forbach, ville où je suis né et ai grandi. J’ai une approche sensible, il est nécessaire d’écouter les gens qui sont restés dans cette ville malgré le déclin. Forbach a un taux de pauvreté de 28 % (pour deux quartiers dans lesquels je me suis rendu c’est même 56 %), a un revenu médian inférieur (1250 euros, et 900 euros pour les quartiers périphériques) au revenu médian national (1650 euros). Le centre-ville est désertifié. La population connaît un sentiment d’abandon. Le premier parti est en fait l’abstention.

    Pour réaliser ce documentaire le tournage a duré trois ans. Il a été nécessaire aussi de tenir compte de l’angle historique : ville qui a souffert après 1945, ville qui a toujours été une ville d’accueil (d’ailleurs sur la liste de Florian Philippot figuraient des personnes avec des noms d’origine italienne, polonaise). En 2014 Florian Philippot est arrivé au second tour des élections municipales mais la ville n’a pas basculé vers le FN, les quartiers les plus pauvres ont eu un sursaut mémoriel pour éviter le FN.

    Malgré ses difficultés la ville garde la tradition de l’accueil : il y a un CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile), les réfugiés sont accueillis dans les maisons des mineurs inoccupées.

    Le populisme est multifactoriel. Quand le chômage augmente, on a davantage tendance à accuser les étrangers. À Forbach on a la dissolution d’un groupe social : les mineurs. La société doit se réorganiser. Les groupes sont plus identitaires par rapport aux anciennes nationalités, et l’étranger est alors perçu comme une menace.

     

    Réponses à la question de l’auditoire : Que faire ?

     

    Paul Seabright : Les personnes politiques influentes ont une capacité à effectuer des récits touchant la sensibilité de chacun. Les industries avaient cette capacité de faire un récit sur l’évolution collective, le combat. On peut remonter à l’Odyssée pour montrer que ce type de récit donne du sens. Aujourd’hui le chômage déracine les gens. Et même les gens qui ont un emploi n’ont pas de récit de vie donné par l’emploi. Les syndicats ne donnent pas ce récit. Il manque aussi de personnalités politiques développant ce type de récit.

     

    Charlotte Cavaillé : le populisme marque la fin d’une communauté de destin. Par quoi remplacer cette communauté de destin ? À court terme, il faut dépolitiser l’immigration (puisque cela crée un effet de saillance et fait augmenter le vote populiste) et donc repolitiser un autre domaine : cela pourrait concerner la protection sociale, la redistribution, un modèle économique qui génère de la croissance qui profite à tous.

     

    Emeric Henry : la question du récit est importante. Il faut également arrêter de se fonder sur de nombreuses statistiques et sur les statistiques données par les autres (le fact checking a échoué pour faire diminuer le vote populiste) et se concentrer sur les idées.

    Régis Sauder : à Forbach la mise en récit concerne un récit de la honte. Aux facteurs économiques s’ajoute la honte de voter pour le FN. Il faut travailler sur les mécanismes de domination qui font que certains se sentent humiliés.

     


    [1] Pour en savoir plus sur cette expérimentation : http://www.francetvinfo.fr/politique/marine-le-pen/fake-news-la-verification-et-la-correction-des-faits-n-a-aucun-impact-sur-les-intentions-de-vote-des-electeurs_2177009.html

    http://spokus.eu/front-national-fake-news-fact-checking/ (avec un lien vers le diaporama présentant –en anglais- les travaux présentés lors de cette conférence des Jéco)