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2017

Publié le 25 nov. 2017 Modifié le : 6 mars 2018

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Le  samedi 25 novembre 2017

Lutte contre fake news

Jeco 2017

  • Jéco : 17h-18h30, Conférence

    Mardi 7 Novembre 2017- salle Molière, quai de Bondy, Lyon

     Compte-rendu suivi de pistes d’exploration en classe

     

    Lutter contre les « fake news »

     

    Intervenants :

    Mathilde Damgé : Journaliste aux Décodeurs, Le Monde
    Alexandre Delaigue : Enseignant en économie à l’université de Lille
    Isabelle Jégouzo : Chef de la Représentation en France de la Commission européenne
    Karen Prévost-Sorbe : Formatrice du Clémi de l'académie d'Orléans Tours, adjointe au DAN (délégué au numérique) de l'académie

     

    Modérateur : Emmanuel Cugny, France Info ; Président de l'Ajef (association des journalistes économiques et financiers)

     

    Présentation du thème dans le programme des Jéco :

     

    Rumeurs sciemment distillées, manipulations des faits, mensonges partisans… Précieux relais d’information, internet et les réseaux sociaux offrent une caisse de résonance mondiale sans précédent aux « fake news » ces « fausses nouvelles » que certains politiques, idéologues, fanatiques en tout genre utilisent comme des armes numériques.

    Les médias se sont lancés dans la bataille et multiplient contre-feux et décodages pour permettre aux citoyens d’éviter que les « fake news » pervertissent le débat démocratique.

    L’Education Nationale joue la carte de la formation des enseignants pour apprendre aux jeunes à déjouer les fausses informations et les idéologies dangereuses.

    Nouveaux outils, nouveaux métiers, un chemin difficile mais plein de promesses se dessine. Il s’annonce long et, sans doute, chaotique.

     

    Conférence filmée, vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=tDcKeCBSyJw

     

    Compte-rendu

     

    Présentation par Emmanuel Cugny :

    Les fake news, rumeurs, mensonges, informations erronées, les faux articles ne sont pas nouveaux dans les démocraties. Aujourd’hui c’est un sujet fédérateur.

    64% des Français font confiance aux médias notamment à la presse écrite.

    Pourquoi les données économiques se prêtent-elles facilement aux fake news ?

    Comment peut-on lutter contre les fake news en France, dans l’UE, dans l’éducation nationale ?

     

    Intervention d’Alexandre Delaigue :

    Une grande partie de l’information économique est construite (ex : l’IPC), c’est pourquoi elle se prête facilement aux fake news. La donnée économique n’est pas la donnée physique, observable comme par exemple la vitesse d’une voiture. Comme les données économiques sont construites, elles doivent toujours être présentées avec un contexte. Les données donnent toujours une vision sur un sujet mais pas toujours une vision exhaustive d’où la querelle des chiffres qui consiste à présenter la réalité de manière différente. Par exemple il y a eu une querelle de chiffres sur la comparaison des taux de pauvreté en France et en Allemagne : le taux de pauvreté est plus élevé en Allemagne mais il faut préciser que le revenu allemand est plus élevé, il faut aussi préciser si le taux est calculé avant ou après redistribution.

    On a atteint un rapport problématique aux chiffres si on peut présenter la réalité de manière déformée voire erronée : cf. pendant la campagne pro Brexit le montant de la récupération en euros (Nigel Farage a annoncé pouvoir récupérer 350 millions de livres par semaine) permettant de financer le système de santé. Le problème de nos jours est alors la défiance par rapport aux faits.

     

    Intervention de Mathilde Damgé

    Quel est le travail journalistique des décodeurs contre les fake news ?

    Les décodeurs[1] ont débuté en 2014 mais déjà dès 2012 les journalistes du Monde effectuaient de nombreuses vérifications de chiffres car M. Nicolas Sarkozy en utilisait beaucoup durant sa campagne.

    La base du travail consiste à vérifier les chiffres, à recouper des données. Ensuite le fact checking est présenté sous plusieurs formes : article, data visualisation. De plus en plus il s’agit aussi d’une chasse aux rumeurs (le hoax busting) pas uniquement dans le domaine politique mais aussi sur des sites, des blogs qui peuvent faire autorité sur les réseaux sociaux.

    Le but est de redonner confiance aux lecteurs. Il existe aussi une application Snapchat avec une équipe de 8 personnes travaillant pour présenter des informations contextualisées, précises.

    L’objectif est d’être au plus près de la vérité même s’il faut faire des choix, hiérarchiser les informations. L’honnêteté est primordiale, l’objectivité n’existe pas, c’est ce que disait Hubert Beuve-Méry : citer si possible ses sources, recouper ses informations.

    Au Monde il existe aussi le décodex[2] qui propose aux lecteurs un recensement d’erreurs sur certains sites. C’est un outil qui aide à vérifier des informations, à vérifier des sources. Il existe un partenariat avec le CNRS pour travailler à du journalisme augmenté afin d’agglomérer des informations apparaissant au cours de la lecture d’un article pour recontextualiser, enrichir une information (ici ce n’est pas du fact checking). Cela demande du temps aux journalistes et aussi aux lecteurs. Parvenir à faire la part du vrai et du faux dépend de la volonté du lecteur.

     

    Emmanuel Cugny : est-ce qu’on a atteint la limite de l’exercice du fact checking : la personne qui persiste dans son jugement ?

    Réponse d’Alexandre Delaigue : ce qui est pire c’est que parfois on provoque l’effet inverse. Un exemple d’étude qui a montré que fournir des informations sur le fait que les vaccins ne sont pas dangereux amène des personnes à se méfier des vaccins alors qu’au départ elles n’avaient pas d’idée préconçue. C’est la même chose quand les personnes ont des convictions, quand on cherche à leur montrer le contraire, les personnes renforcent leur argumentaire et restent dans leurs convictions C’est un effet psychologique démontré, cela s’appelle l’effet boomerang.

    Réponse de Mathilde Damgé : le biais cognitif existait avant les réseaux sociaux. Il est amplifié par les réseaux sociaux (Facebook, Google) notamment chez le jeune public.

     

     

    Intervention d’Isabelle Jégouzo :

    La lutte de l’UE contre les fake news consiste d’abord à lutter contre les informations déformées sur l’Europe (par exemple : trop de normes imposées par l’UE, l’euro a fait exploser le prix de la baguette qui coûtait 1 franc et coûte un euro : alors qu’on est passé de 4 francs à 86 centimes d’euro, coût de l’euro…).

    L’UE est confrontée à de nombreuses fake news parce que les Français ont une vraie méconnaissance de ce qu’est l’UE. Ce manque d’informations permet aux rumeurs de se développer. L’autre problème dans les rumeurs est aussi qu’il y a souvent du vrai : par exemple, effectivement l’Europe produit des normes mais pas sur la courbure des concombres. De plus les normes européennes sont négociées avec les industries, et elles ne sont pas toutes obligatoires. Le problème de ces fake news est que cela fausse le débat démocratique.

     

    La Commission européenne s’est dotée d’outils pour lutter contre les fake news : les décodeurs de l’Europe [3] (principalement sous forme de dessins humoristiques) et une task force.

     

     fake

     

    Les décodeurs de l’Europe sont accessibles sur internet. Cela permet de donner une parole institutionnelle dans le débat et de fournir des informations aux journalistes mais aussi à tous les citoyens.

     

    Cela permet non seulement de lutter contre les fake news sur l’UE mais aussi d’expliquer ce que fait l’UE que personne ne sait et qui est positif pour les citoyens européens.

     

    La task force a surtout lutté contre la désinformation russe diffusée en Russie et dans les pays voisins (notamment dans les États baltes). (Diffusions de vidéos russes sur un accident nucléaire en France en février 2017, sur le fait que les Français veulent Poutine comme président, sur des viols en Belgique…)

    Parfois il aurait mieux valu interdire certaines vidéos russes (notamment en Ukraine), censurer ces émissions diffusant des fake news.

     

    Intervention de Karen Prévost-Sorbe[4]

    L’Éducation Nationale a prévu dès 2015 des actions de formation des enseignants sur la rumeur, la désinformation, d’abord en lien avec le climat scolaire (défiance des élèves envers la « parole officielle » : les institutions, les médias, l’autorité, l’ordre établi). Après 2015 on a vu une forte demande des enseignants autour des théories du complot, actuellement la demande se tourne vers les fake news diffusées surtout sur les réseaux sociaux. Les deux demandes sont liées, elles traduisent les maux d’une société fracturée.

    Les outils conçus dans l’urgence après les attentats de Charlie Hebdo n’ont pas toujours été efficaces (ex faire de créer des faux complots car cela ne montrait pas que le complot est au service d’une idéologie). Aujourd’hui il s’agit de travailler avec de nouveaux contenus notamment le Décodex, la Data visualisation. Dans certaines académies les parents peuvent aussi être invités à des cafés des parents (dans les collèges de l’académie d’Orléans-Tour par exemple) où le thème des fake news peut être à l’ordre du jour.

     

    Réponses aux questions de l’auditoire

     

    Quels sont les autres outils que la formation en amont et des outils de décodage en aval ?

    Alexandre Delaigue : On peut rendre les sociétés plus résistantes face à certaines croyances. Pour montrer à quelqu’un qu’il est dans l’erreur l’apprentissage prend du temps. Il faut se poser la question est-ce techniquement grave si quelqu’un croit que la terre est plate ?

    Karen Prévost-Sorbe : L’idée que la terre est plate pose problème aujourd’hui même à des enseignants aguerris. Beaucoup de vidéos You Tube courtes et présentées sous forme scientifique propagent cette idée. On peut demander aux élèves de faire un travail de fact checking à partir de ces vidéos.

    Mathilde Damgé : pour le débat démocratique c’est grave d’avoir des personnes croyant que la terre est plate. C’est grave aussi de déformer des propos de personnes politiques, de fournir des chiffres erronés et de ne pas reconnaître ses erreurs.

    Isabelle Jégouzo : dans le cas du Brexit on a en effet un vrai enjeu démocratique. Quand on revendique des informations fausses, on a une vraie responsabilité. Le fact checking n’est pas si vain, on n’a jamais tort de faire le pari de l’intelligence : les choses peuvent faire leur chemin dans le temps. L’objectif est d’abord de toucher ceux qui doutent.

     

    Faudrait-il sanctionner les auteurs de fake news ?

    Mathilde Damgé : Au départ, Mark Zuckerberg était contre un contrôle de Facebook. En réalité ce contrôle existe et aujourd’hui Mark Zuckerberg dit vouloir lutter contre les fake news, c’est le cas en Allemagne. On peut évidemment envisager des amendes surtout pour les fake news pesant sur l’enjeu démocratique. Il y a un déficit d’action de l’État en France concernant les actions sur les plateformes et sur les fake news.

    Karen Prévost-Sorbe : Il y a aussi toute une économie cachée derrière les fake news : une machine à clics, des élections. Ce sont des enjeux à faire découvrir aux élèves.

    Alexandre Delaigue : Il existe un site avec des canulars grossiers créés par une personne, des fake news qui rapportent de l’argent. Le problème est que le site est repris par d’autres. Il existe une incitation économique car le buzz est rémunérateur.

     

    Quel est le coût du traitement de l’information ?

    Karen Prévost-Sorbe : Les lycéens pensent souvent que l’information doit être gratuite. Il faut les faire réfléchir au lien avec la qualité de l’information.

    Mathilde Damgé : L’équipe des décodeurs du Monde comprend 12 personnes mais ces informations sont gratuites : la publicité n’en finance qu’une partie, l’autre partie est financée par d’autres activités du groupe. Cela ne pourra pas durer indéfiniment.

     

     

    Quelques pistes d’exploration en cours

     

    -en EMC et dans le cadre du parcours Citoyen :

    EMC, classe de 1ère :

    Un des objectifs du parcours citoyen :

    « Permettre aux élèves d'exercer leur citoyenneté dans une société de l'information et de la communication, former des "cybercitoyens" actifs, éclairés et responsables de demain. » (éducation aux médias et à l’information)

     

    Objectifs communs à tous les thèmes d’EMC :

    • Identifier et expliciter les valeurs éthiques et les principes civiques en jeu.
    • Mobiliser les connaissances exigibles.
    • Développer l'expression personnelle, l'argumentation et le sens critique.

     

    Thème 1 : Exercer sa citoyenneté dans la République française et l'Union européenne

    Les décodeurs de l’UE permettent de montrer quels sont les rôles de l’UE ce qui contribue à forger le sentiment de citoyenneté européenne.

     

    Thème 2 : Les enjeux moraux etciviques de la société de l'information 

    Exemple 1 : faire utiliser le site des Décodex lors de recherches (par exemples à partir de sites utilisés lors des TPE). EMC et TPE seraient complémentaires.

    Exemple 2 : l’erreur ou le mensonge de Nigel Farage ? Quelles conséquences ? Quelle responsabilité ? Faut-il sanctionner les menteurs, qu’ils remportent ou pas un scrutin grâce (en partie) à leurs mensonges ?

    Exemple 3 : débat sur faut-il faire du fact checking ? Arguments pour/ arguments contre

    NB : parmi les arguments contre : une expérience d’économie comportementale menée par Emeric Henry (et qui a été présentée lors des Jéco 2017 lors de la conférence sur l’attrait pour le populisme) : http://www.francetvinfo.fr/politique/marine-le-pen/fake-news-la-verification-et-la-correction-des-faits-n-a-aucun-impact-sur-les-intentions-de-vote-des-electeurs_2177009.html

    http://spokus.eu/front-national-fake-news-fact-checking/. (avec un lien vers le diaporama présentant –en anglais- les travaux réalisés à partir d’un fake de Marine Le Pen sur les migrants)

     

    -en terminale ES, chapitre sur l’UE : Quelle est la place de l’Union européenne dans l’économie globale ?

    Pouvoir présenter des exemples contre des idées reçues sur l’UE : utiliser le site des décodeurs de l’UE, de nombreux thèmes sont traités (y compris sur les aspects financiers qui peuvent être repris en spécialité économie approfondie). Le professeur peut demander aux élèves de compléter l’information diffusée sous la forme d’un dessin humoristique avec des données, des articles (des liens sont mentionnés sous le dessin humoristique, l’élève peut essayer de trouver des informations complémentaires, de les recouper comme le ferait un journaliste).

     

    Exemple sans dessin humoristique : on s’en sortirait mieux sans l’euro

    https://ec.europa.eu/france/news/20170320_decodeursue_mieux-sans-euro_fr