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2017

Publié le 25.11.2017

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Le  Samstag, 25. November 2017

Culture / cinéma

Jeco 2017

  • Jéco, 9-10 h30 Conférence

    Mercredi 8 Novembre 2017- salle Molière, quai de Bondy, Lyon

     

    Les nouveaux territoires de la culture : le cas du cinéma

     

    Intervenants :

    Françoise Benhamou
    Professeur de sciences économiques (Université de Paris 13) et membre du Collège de l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes)
    Laurent Creton : Professeur à Paris 3 Sorbonne nouvelle
    Benoit Danard : Directeur des études au CNC
    Grégory Faes : Directeur général d’Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma
    Stéphanie Paix : Président du directoire de la Caisse d’Epargne Rhône Alpes
    Myriam Picot : 7ème vice-présidente de la Métropole, en charge de la culture et maire du 7ème

     

    Modérateur : Dominique Rousset, France Culture

     

    Présentation du thème dans le programme des Jéco :

    Où va l’industrie du cinéma ? Sommée de se réinventer face à de nouvelles concurrences, notamment celle des plateformes de vidéo à la demande, cette industrie a longtemps tablé sur la chronologie des médias et sur le système de soutien porté par le CNC (Centre national de la cinématographie). La conquête de nouveaux territoires doit prévaloir, à travers la construction de relations fortes avec les régions d’un côté, et au niveau international de l’autre côté. Cela passe aussi par l’invention et la promotion de nouveaux formats.

     

    Vidéo de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=SkWp9hSFX4Q

     

     

    Compte-rendu

     

     

    Intervention de Françoise Benhamou :

    Ce thème est en dans l’actualité : Emmanuel Macron inaugure le Louvre à Abou Dhabi. Le cinéma emprunte lui aussi de nouveaux chemins, de nouveaux territoires. On a une double dimension : d’une part, l’envie d’un retour vers le local, d’autre part, la numérisation crée un besoin de socialisation et un retour vers la salle de cinéma.

    La mondialisation crée une dimension internationale du cinéma qui s’exporte, raconte le monde, voyage, s’articule avec de nouveaux territoires en particulier la Chine (à la fois le cinéma chinois et les investissements chinois à l’étranger : les Chinois ont acheté la moitié du parc des salles aux États-Unis). Néanmoins les œuvres culturelles s’adressent d’abord à des publics locaux[1]. Le numérique s’ancre dans des processus d’individualisation et nourrit son contraire : le besoin manifeste de sorties, d’aller dans des salles de spectacle, d’assister à des conférences, de rencontrer des auteurs… On retrouve cette double dimension dans le « click and collect » (réserver ou commander en ligne puis retirer en boutique).

    Nous assistons à la fois à la déterritorialisation et au nomadisme de la consommation de cinéma avec des exigences du public en matière de visionnage, et à une reterritorialisation des pratiques à la fois de l’offre (tournages relocalisés) et de la demande (image des territoires).

     

    Intervention de Benoît Danard :

    Le cinéma est dans une situation paradoxale : la salle de cinéma conserve une vraie attraction malgré toute l’offre sur différents écrans.

    Quelques données sur le cinéma français[2] :

    La France est le premier marché européen du cinéma : en nombre d’entrées payantes (213 millions en 2016), en recette (1,4 milliard d’euros en 2016), en nombre d’écrans et d’établissements, en densité du parc (9 écrans pour 100 000 habitants).

    Le parc est important car si nous n’avons pas de salles, nous ne pouvons pas réaliser d’entrées. [Françoise Benhamou a rappelé qu’un des problèmes de la presse écrite était la fermeture de kiosques.]

    En France le prix moyen de la place (6,51 euros) est moins élevé que les autres pays européens. Les Français sont de grands consommateurs de cinéma avec en moyenne 3,3 entrées par habitant par an.

    L’importance de l’industrie culturelle doit être reliée au financement. Souvent on pense que le financement du cinéma est majoritairement public (subventions du Ministère de la culture, subventions) alors qu’il est principalement financé par la consommation. Les questions en suspens sont : comment évoluera cette consommation dans la double contrainte de déterritorialisation et de l’individualisation ? Les jeunes continueront-ils à aller au cinéma ?

     

    Intervention de Laurent Creton :

    Il faut replacer les pratiques dans un ensemble de long terme : les innovations se succèdent. La première projection payante remonte à 1895 : la sortie des usines Lumière à Lyon. Ensuite Georges Méliès a eu l’idée d’utiliser les théâtres à l’italienne pour les projections.

    Louis Lumière avait dit que le cinématographe était une invention sans avenir. On a souvent des discours sur la mort prochaine du cinéma (concurrence de la télé, invention du magnétoscope), surtout de nos jours avec la possibilité d’avoir de grands écrans (la tête de l’acteur est plus grande que la nôtre) à domicile. Néanmoins le contre-effet est de proposer des salles de proximité, on constate d’ailleurs une hausse des investissements dans la production des films en France.

    Il faut penser la filière dans son ensemble : production, diffusion (salles de cinéma) et consommation (public). L’univers de l’industrie du cinéma est intensément concurrentiel. Le nombre d’entrées a atteint un pic au milieu du XXème siècle (400 millions d’entrées), on a pu penser que le cinéma allait mourir, cependant le nombre d’entrées remonte à partir de 1992. Entre 1993 et 2015, le nombre d’entrées a augmenté de 87 %.

     

    Intervention de Myriam Picot :

    La situation de la métropole de Lyon est la même que celle de la France concernant l’évolution du nombre d’entrées, l’ouverture de nombreuses salles. L’éducation à l’image est renforcée en collège : organisation de parcours cinématographiques en partenariat avec des cinémas indépendants.

    En 2018-2019 seront introduites des classes numériques avec tablettes pour réaliser des courts-métrages et prendre du recul par rapport aux images produites.

    La Région soutient le cinéma aussi par la politique d’aménagement du territoire : Pixel à Villeurbanne et par le soutien à différents festivals : festival Lumière, festival d’Annecy (film d’animation), festival des Arcs (cinéma européen),  festival de Clermont-Ferrand (court-métrage)…

     

    Intervention de Stéphanie Paix

    La culture doit rayonner. Le mécénat est important : 1 euro dépensé génère 7 euros dans la région. Lyon et Annecy sont des clusters ancrés dans un patrimoine naturel exceptionnel et dans un patrimoine urbain riche. Les professionnels y réinventent des métiers, se tournent vers l’avenir.

     

    Question sur l’impact de Netflix sur le cinéma.

    Benoît Danard : La salle conserve un certain attrait par rapport à Netflix. Une partie des Français va au cinéma sans avoir décidé à l’avance du film, il faut prendre en compte la socialisation (regarder le film dans une salle avec des amis, en famille, n’est pas le même type de consommation), la dimension relationnelle. Les services de vidéos à la demande correspondent à des consommations individuelles. En France le succès de Netflix n’est pas aussi rapide qu’escompté. En France le replay est souvent gratuit : on une télévision de rattrapage (chaînes gratuites et chaînes à péage) qui concurrence Netflix.

    Grégory Faes : La production change de modèle. Dans les années 1980 le financement des salles de cinéma se fondait en partie sur des recettes anticipées : droits TV puis on a eu la concurrence des magnétoscopes et de Canal +. De nos jours, les plateformes et les films étrangers intensifient la concurrence.

    Laurent Creton : Cette intensité de la concurrence fait redouter des échecs comme en Espagne ou en Italie et un cercle vicieux : la consommation diminue donc des salles ferment puis moins d’entrées seront disponibles, le parc s’étant réduit. La réussite passe par la qualité de la programmation et aussi par la modernisation des salles y compris des salles d’arts et essais (pour répondre à des normes de consommation : accueil, fauteuils, son…). Il s’agit de mettre en place des stratégies de différenciation par rapport aux autres supports.

    Benoît Danard : Le parc de salles est riche en France. On a également une vraie diversité dans la programmation. Certains films étrangers réalisent davantage d’entrées en France que dans leur pays d’origine. La France a des accords de coproduction avec 56 pays (pas avec les États-Unis) ce qui permet aussi d’exporter des films.

     

    Question sur le lien entre le prix et la qualité du film, pourrait-on établir un prix selon le mérite ?

    Benoît Danard : Le mix prix est de plus en plus sophistiqué, pour un même film on peut avoir 15 à 20 tarifs selon le statut de l’acheteur (âge, étudiant, chômeur, abonné…), selon la période de la diffusion (« soldes du mardi » dans certains multiplex, fête du cinéma, printemps du cinéma…), selon le lieu (Paris, autres villes). Il est rare de payer plein tarif.

    Stéphanie Paix : Choisir de payer après la projection et payer ce que l’on veut est un phénomène qu’on retrouve dans l’ESS et auprès de start-up. Le consommateur construit le prix. On constate que ce n’est jamais gratuit quand le consommateur est responsabilisé.

     

    Question sur la place des femmes dans l’industrie du cinéma.

    Benoît Danard : Le CNC a observé des déséquilibres même si les écarts se réduisent. La part de femmes réalisatrices en France est de 22 %, dans le secteur de la production en général la part des femmes est de 25 %, et pour la production audiovisuelle c’est 30 %.

    Les disparités de rémunération entre les hommes et les femmes sont plus fortes dans les métiers artistiques que dans les métiers techniques (où il existe des conventions).

     

    Question sur les débouchés, l’attrait pour un secteur où on risque de ne pas trouver d’emploi.

    Grégory Faes : Dans l’animation nous avons une pénurie de main-d’œuvre.

    Stéphanie Paix : Le problème de l’inadéquation entre l’offre et la demande se retrouve dans beaucoup de métiers. La grande force de la région Auvergne Rhône Alpes est de stabiliser des entreprises grâce aux pôles comme Pixel. Les métiers peuvent sembler des métiers de niche mais il existe un potentiel de création d’entreprises.

    Myriam Picot : Le Pôle Pixel c’est une centaine d’entreprises, souvent récentes. On a aussi 16 000 m2 consacrés à ce pôle et la possibilité d’utiliser jusqu’à 30 000 m2 pour accueillir de nouvelles entreprises.

    Laurent Creton : La réflexion sur l’évolution des métiers est plus large. On a besoin de formation générale de haut niveau pour évoluer tout au long de son existence. Il existe une forte attractivité pour les métiers de l’image et du son. De nombreux métiers ne sont pas encore connus.

     

    Question sur la fuite des talents vers Paris qui concentre les agences artistiques.

    Grégory Faes : Beaucoup de producteurs et de réalisateurs sont originaires de la région Auvergne Rhône Alpes. Certains talents partent aux États-Unis, au Canada, mais d’autres reviennent. Le plus important est d’avoir des talents et des entreprises qui les accompagnent, Ubisoft reste largement implantée en France. Le travail à distance se développe.

    Stéphanie Paix : Un cluster signifie une grappe. Ce ne sont pas seulement des talents, ce sont aussi des infrastructures, une qualité de vie pour les travailleurs et leurs familles. La concurrence concerne aussi les différentes régions européennes, le rapport au travail est déplacé avec le numérique.

    Laurent Creton : Parfois les volontés locales sont primordiales. Par exemple dans le Gers c’est une association de cinéphiles qui a lutté contre la désertification et contre la fermeture des salles à Auch notamment. Le Gers est aujourd’hui le premier département sur le taux d’occupation des fauteuils.

     

    Question sur la rentabilité des films : n’y a-t-il pas trop de films ?

    Benoît Danard : Les films ont une durée de vie particulièrement longue (cinéma, DVD, chaînes payantes, chaînes gratuites, VOD), la rentabilité doit être étudiée sur une dizaine d’années car les recettes s’étalent dans le temps plutôt que sur 3 ou 4 semaines d’exploitation. Il s’agit d’une économie de prototypes. Actuellement la structure du financement change : la part des DVD diminue au profit de la part de la VOD.

    Grégory Faes : Il existe des effets de seuil dans la production de films. Actuellement le coût de la publicité s’accroît car les films sont de plus en plus nombreux. On produit trop de films (300 par an, il serait préférable de se situer autour de 200) : certains ne sont pas rentables. De plus, cette offre importante fait baisser la lisibilité de l’offre et la présence dans les salles.

    Françoise Benhamou : La France est une des rares cinématographies présente aux États-Unis même si sa part est très faible, parce qu’on a une industrie vivante et prolifique. Néanmoins on peut s’interroger sur le nombre de films produits car certains n’ont qu’une sortie technique, il faut se garder d’avoir une vision trop angélique de l’industrie cinématographique française.



    [1] Pour en savoir plus sur cet aspect de la mondialisation, un rapport du CAE intitulé La mondialisation immatérielle, (2008) : http://www.cae-eco.fr/La-mondialisation-immaterielle,59.html

    [2] Pour en savoir plus : http://www.cnc.fr/web/fr/publications/-/ressources/13065994 (étude du CNC sur la diffusion et la fréquentation cinématographiques, Octobre 2017)