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2017

Publié le 25 nov. 2017

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Le  samedi 25 novembre 2017

Chercheur d'emploi

Jéco 2017

  • Jéco, 14-15h30 Conférence

    Mercredi 8 Novembre 2017- centre culturel Saint Marc, rue Sainte Hélène, Lyon

     

    Dans le cerveau d’un chercheur d’emploi

     

    Intervenants :

    Hélène Cazalis : Déléguée générale adjointe, Solidarités Nouvelles face au Chômage (association accompagnant les chercheurs d’emploi)

    Valerie Leyldé : Vice-President Human Resources, Communication & Customer Excellence de Mérieux NutriSciences
    Odile Muller : Responsable du département Aide à la Décision, Direction des Etudes et Analyses, Unédic
    Marie Claire Villeval : Directrice de Recherche CNRS, GATE
    André Zylberberg : Directeur de recherche émérite au CNRS

     

    Présentation du thème dans la plaquette des Jéco :

    Le succès de la recherche d’emploi dépend de l’état du marché du travail, du système d’indemnisation des transitions sur le marché et de l’effort de recherche des demandeurs d’emploi. Quels sont les effets de la générosité du système d’indemnisation et des sanctions sur l’intensité de la recherche d’emploi ? Comment les caractéristiques psychologiques et comportementales des demandeurs d’emploi (leur patience, leur attitude face au risque, leur sentiment de responsabilité) influencent-elles les démarches de recherche et leur chance de succès ? Ces dimensions comportementales sont-elles prises en compte lors de l’élaboration des politiques d’indemnisation et dans les pratiques de recrutement des entreprises ?

     

    Compte-rendu intégrant les réponses aux questions de l’auditoire

     

    Introduction (Marie-Claire Villeval)

    L’amélioration de la situation du marché du travail a permis de réduire le taux de chômage en France depuis 2015 (de 10,2 % en 2015 à 9,2 % en mars 2017). Néanmoins le chômage reste massif, il touche 2,7 millions de personnes en France. Les Jéco ont souvent abordé le problème du chômage du point de vue des politiques publiques d’emploi ou des dysfonctionnements structurels du marché du travail. Une perspective nouvelle sera abordée aujourd’hui : la démarche des chercheurs d’emploi. Les questions qui se posent sont : de quoi dépend cette recherche ? La générosité des indemnités chômage joue-t-elle un rôle ? Les aides doivent-elles être plus individualisées ? La probabilité de retrouver un emploi a-t-elle aussi des effets sur les démarches des chercheurs d’emploi ?

     

    Exposé d’André Zylberberg :

    Le chômage est trop souvent pensé comme un stock alors qu’il s’agit d’un flux (même s’il est vrai qu’il existe –dans certains pays seulement dont la France- un chômage de longue durée qu’il faut traiter par des politiques de formation très ciblées) : des entrées et des sorties. Chaque jour en France 10 000 emplois sont détruits  et en même temps 10 000 emplois sont créés. Il ne s’agit pas seulement de gérer une pénurie, un déficit d’emploi puisque des postes restent vacants. Il s’agit alors d’un problème d’appariement[1] entre l’offre et la demande.

     

    Le chômage n’est pas une maladie : collectivement c’est une situation utile car le chômeur vient d’un emploi obsolète à faible VA et se dirige vers un autre emploi, plus moderne, à plus forte VA. Si le cheminement n’est pas vécu normalement c’est que l’accompagnement des chercheurs d’emploi est inefficace.

     

    Quels sont les paramètres de l’indemnisation du chômage à étudier ? On peut prendre en compte le montant de l’indemnisation, sa durée, le contrôle (et donc le risque de sanction).

    Comment évaluer les politiques publiques ? Le travail d’économiste ressemble ici à celui de médecins testant par exemple les effets d’une molécule ou d’un vaccin sur la santé : on a un groupe témoin et un autre groupe. Ici pour connaître l’effet de la hausse des allocations chômage sur les chercheurs d’emploi, on va constituer un groupe qui a droit à cette hausse et un groupe avec la même structure qui n’y a pas droit, et comparer les résultats des deux groupes.

    De nombreux pays ont procédé à ce type de tests. Les résultats sont plutôt convergents.

    -          La hausse des allocations chômage augmente la durée moyenne du chômage (relatif consensus).

    -          La hausse de la durée d’indemnisation augmente la durée moyenne du chômage (consensus). En France augmenter d’une semaine la durée d’indemnisation augmente de 2 à 3 jours la durée du chômage. Aux États-Unis, les résultats ne sont pas toujours les mêmes, ils dépendent du cycle économique : la sensibilité à la durée du chômage est beaucoup plus faible en période de crise. Dans ce pays, une durée plus longue du chômage permet une meilleure adéquation entre l’offre et la demande, ce qui n’est pas observé en France.

    -          L’existence de sanctions des chômeurs s’ils ne satisfont pas leurs devoirs en matière de recherche d’emploi, a une influence sur la durée du chômage si et seulement si le système est crédible. En France, en théorie le système de contrôle et sanction (« offre raisonnable d’emploi », radiation) est sévère  mais dans la pratique peu de sanctions sont appliquées donc le système n’est pas crédible.

     

    Exposé de Marie-Claire Villeval

    Il s’agit maintenant de présenter une démarche en économie comportementale qui prend en compte des dimensions psychologiques, cognitives et émotionnelles à travers la nature des préférences, la croyance sur la probabilité de retrouver un emploi, la façon de prendre des décisions.

     

    Il existe des biais comportementaux dans la recherche d’emploi.

    La recherche d’emploi est souvent sous-optimale :

    -          L’aversion à la perte et la surpondération des pertes mais un point de référence (son ancien salaire) parfois irréaliste. L’intensité de la recherche d’emploi dépend beaucoup du moment d’entrée en chômage, et il existe des paliers dans l’intensité de recherche, paliers liés au montant dégressif des allocations.

    -          Les biais de statuquo et de disponibilité limitent l’exploration.

    -          L’impatience et la préférence pour le présent, la procrastination (faire demain ce qu’on pourrait faire aujourd’hui) repoussent la recherche (qui peut être liée à la pénibilité des démarches administratives).

     

    De plus, les chercheurs d’emploi ont une perception imprécise des perspectives :

    -          Ils sous-estiment la probabilité des mauvais événements (et surestiment celle des bons événements).

    -          Ils ont des difficultés à réviser leurs croyances avec les nouvelles informations.

    -          Ils ont tendance à projeter les préférences actuelles sur les choix impliquant l’avenir (alors que peut-être dans 5 ans ils n’auront pas la même envie en terme d’emploi).

    -          Il existe aussi d’autres biais divers : saillance, statuquo, disponibilité, représentativité.

     

    Les chercheurs d’emploi peuvent également avoir un niveau de confiance inadapté.

    -          Une sur-confiance, une ignorance stratégique, une mémoire sélective (ce qui crée une certaine satisfaction, une motivation)

    -          Un effet ambigu de la sur-confiance : motivation vs assurance et épargne insuffisante ou à l’inverse un découragement après plusieurs échecs : pessimisme sur les chances de retrouver un emploi ou sur les chances d’une formation.

    Existe aussi une incertitude concernant le rendement de l’effort de recherche : locus de contrôle interne (lien entre ce que je fais et la probabilité de retrouver un emploi) vs externe (si je ne trouve pas d’emploi, c’est la faute des autres). Le type d’accompagnement doit être différent selon ces deux types de personnes.

     

    Quelles sont les implications en matière de politique d’emploi ?

    Les biais comportementaux peuvent expliquer pourquoi certaines mesures ne fonctionnent pas. On peut proposer des suggestions pour l’accompagnement :

    -formation des conseillers pour identifier les profils comportementaux

    -aide à la formation de perspectives plus réalistes

    -introduction d’incitations multiples à court terme

    -accompagnement actif pour effectuer d’emblée les démarches pénibles.

    Ainsi, en Hongrie une réforme des assurances chômage a eu lieu en 2005, les allocations ont été augmentées pour les trois premiers mois et des paliers ont été ajoutés, et on a constaté une sortie plus tôt du chômage.

     

    Peut-on utiliser les nudges[2] ?

    Un nudge est un paternalisme libéral qui modifie l’architecture des choix. C’est peu coûteux mais pas nécessairement efficace à long terme.

    Par exemple on peut cocher par défaut les formations (le chercheur d’emploi devra décocher celles auxquelles il ne souhaite pas assister), on peut introduire le développement d’un choix plus actif en proposant des mots-clés. Aux  États-Unis un programme d’encouragement aux chercheurs d’emploi a consisté à envoyer des mails personnalisés. Le bilan a été positif (Darling et al., 2016).

     

     

    Exposé d’Odile Muller

    Quelles sont les dimensions comportementales prises en compte dans l’élaboration des politiques d’indemnisation par l’UNEDIC ? la reprise d’un emploi, le moment de l’inscription à Pôle emploi, le choix de l’allocation entre plusieurs options, l’inscription à Pôle emploi (et le recours aux droits).

    Comment les politiques d’indemnisation sont-elles élaborées ? Elles sont élaborées avec les partenaires sociaux.

     

    La Direction des études et des analyses de l’UNEDIC a chiffré l’impact psychologique d’un changement de règle. L’UNEDIC s’est demandé si les chômeurs savaient eux-mêmes calculer leur indemnité et la durée de leur indemnité, s’ils connaissaient les règles d’indemnisation. Globalement seuls 13 % savent calculer le montant et 7 % la durée.  Les règles sont mal connues, certains n’ont pas recours aux droits. En général le demandeur d’emploi s’inscrit quand son contrat se termine. Sa situation économique et sa situation personnelle jouent davantage que les règles d’indemnisation.

    Le site Internet de l’UNEDIC permet de s’informer sur les droits et de calculer le montant et la durée de l’indemnisation. L’UNEDIC travaille sur une simplification des règles.

     

    Exposé de Valérie Leyldé

    L’entreprise ne se désintéresse pas du chômeur. Elle a un rôle de prévention, elle crée et préserve des emplois, elle se doit de favoriser le succès des salariés (nouveaux embauchés mais aussi tout au long de la vie en favorisant l’employabilité).

    Les outils utilisés par les entreprises sont divers : la formation qualifiante et certifiante, le développement de compétences, les mises à niveau techniques, le développement personnel, le coaching, la connaissance de soi, la gestion des carrières, des compétences et de la mobilité professionnelle (car on ne reste pas toute une vie dans le même métier).

    Les entreprises embauchent aussi des stagiaires, des apprentis afin d’éviter de cloisonner le monde éducatif et l’emploi. Les entreprises soutiennent également des associations préparant l’insertion professionnelle des jeunes (par exemple Télémaque, Sport dans la ville) : tutorat, ateliers-conseils. Ces outils ne sont pas liés à la taille des entreprises, c’est surtout le sens de la responsabilité sociale, les valeurs et la culture d’entreprise qui jouent.

     

    L’entreprise peut aussi agir dans un volet curatif et accompagner les chercheurs d’emplois seniors car l’entreprise est elle-même destructrice d’emplois. Elle agit aussi à travers sa politique de recrutement, par ses initiatives en faveur de la diversité. La sur et la sous confiance sont difficiles à prendre en compte dans le processus de recrutement. Ce processus contient beaucoup de raisonnements en relatif : on compare les candidats. Dans ce processus il est difficile de savoir comment valoriser les personnes en situation de reconversion professionnelle (plus motivées ? moins expérimentées ?) parce que l’objectif de performance reste important. Recruter des personnes en reconversion professionnelle est le choix du DRH mais aussi des managers. Le recrutement est délicat car c’est une prise de risque pour l’entreprise.

     

     

    Exposé d’Hélène Cazalis

    Le chômage est vécu comme une véritable catastrophe qui va bien au-delà de la perte d’un revenu.  Le chômage crée un véritable vide dans la construction de l’identité d’une personne en générant une dérégulation des relations sociales. La confiance en soi et les liens sociaux se rompent.

    L’association « Solidarités nouvelles face au chômage » travaille sur deux aspects : la confiance en soi (car le chômeur est vulnérable alors qu’il faut être combatif quand on recherche un emploi) et le réseau social.

    L’association ne constate pas que les chômeurs seraient en sur confiance, c’est en général le contraire : ils ont perdu confiance. Ici il s’agit de favoriser un volet psychologique qui est négligé par les organismes administratifs. Il s’agit d’un suivi humain, personnalisé où le chercheur d’emploi a le sentiment d’être considéré. Par ailleurs l’expression « chercheur d’emploi » (choisie dans le titre de la conférence) est plus positive, moins stigmatisante que le mot « chômeur ».

    En moyenne l’accompagnement dure 9 à 10 mois, les 2/3 des personnes retrouvent un emploi. Un binôme de bénévoles formés suit le chômeur. Le premier travail consiste à écouter de manière neutre et bienveillante le chercheur d’emploi, puis il faut l’aider à faire le deuil de son passé et à se projeter dans l’avenir. Les rencontres ont lieu environ toutes les deux semaines. L’enjeu est de garder un élan sur la durée, de ne pas se décourager. Didier Demazières[3] a montré en 2015 que le fait que le chômeur n’ait pas de retour sur les actions effectuées était à l’origine d’un découragement.

    Il est difficile de ne pas se décourager car on ne peut pas décrocher de la situation de chômeur : on est au chômage du matin au soir (on ne peut pas dire qu’on a fini sa journée).

    Le nombre de chômeurs toutes catégories confondues additionné avec le nombre de personnes en situation de sous-emploi représentent 6 millions de personnes. C’est une masse silencieuse qui s’autocensure, qui a pris l’habitude d’un chômage massif, qui est peu représenté par la société civile, que l’on n’entend pas dans le dialogue social (plus préoccupé par les personnes en emploi). Le chômage semble être uniquement un débat d’experts.

    Il faudrait consulter les chercheurs d’emploi avant d’engager une réforme de l’assurance chômage.



    [1] Sur les appariements sur le marché du travail : travaux des Nobel 2010 Diamond, Mortensen et Pissarides https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2011-5-page-637.htm

    [2] Un nudge est une incitation douce ou un coup de pouce donné à un agent économique pour modifier son comportement. Les nudges sont une réponse au manque de rationalité constaté des individus qui s'explique par de nombreux biais identifiés dans le cadre de l'économie comportementale. Richard Thaler, Prix Nobel 2017 a utilisé ce concept de nudge notamment en lien avec la finance. Pour plus d’informations, un article écrit par Marie-Claire Villeval : http://www.cortex-mag.net/nobel-leconomie-comportementale-couronnee/

    [3] Auteur notamment de Sociologie des chômeurs, éd. La Découverte, coll. Repères, 2006, co-auteur de L’emploi et le travail vus depuis le chômage : enquête sur les expériences des chômeurs, Revue de l’IRES n° 89, 2016 : https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2016-2-page-3.htm