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2017

Publié le 12 nov. 2018 Modifié le : 15 déc. 2018

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Le  lundi 12 novembre 2018

Enseigner l'économie

Jeco 2017, L. Auffant, Aix-Marseille

  • Jéco ; mercredi 8 Novembre 2017- salle Molière, quai de Bondy, Lyon

    17h45-19h45 Conférence : Comment apprendre l’économie aux étudiants ?

     

     

    Intervenants :

     

    Anne Boring : Assistant Professor au département d’économie d’Erasmus, University Rotterdam et chercheuse associée au LIEPP (Sciences Po),

    Alexandre Delaigue, : Enseignant en économie à l’université de Lille,

    Christian Gollier : Professeur de Sciences économiques, Toulouse School of Economics,

    Rachel Kranton : James B. Duke Professor of Economics, Université de Duke,

    Laurent Simula : Professeur des Universités en sciences économiques, Ecole Normale Supérieure de Lyon & UMR GATE-LES,

    Marie Claire Villeval : Directrice de Recherche CNRS, GATE

    Etienne Wasmer :  Professeur de Sciences économiques à Sciences Po

     

     

    Modérateur : Jean-Marc Vittori, Les Echos

     

     

    Présentation du thème dans le programme des Jéco :

     

    Peut-on enseigner l'économie comme avant la crise ? Sans doute pas. Faut-il repartir des questions que se posent les étudiants ? Comment intégrer les apports de l'économie comportementale et des expérimentations ? Les grands concepts doivent-il être enseignés dès la première année, comment intéresser les étudiants aux apports de la recherche ? Quelle place pour les mathématiques, l’histoire, la pluridisciplinarité ? La distinction entre microéconomie et macroéconomie a-t-elle encore un sens ?

    Le débat est très vif aujourd’hui sur ces questions et de nouvelles initiatives fleurissent. Un panel d'étudiants échangera avec les intervenants et avec la salle.

     

    Conférence filmée, vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=zyTK0ux4J8A

     

    Synthèse des réflexions :

     

    Problème constaté à l’université en sciences économiques : l’ennui des étudiants.

     

    Reproches : cours trop éloignés de la réalité, ne permettant pas d’expliquer la crise financière et de comprendre le monde, cours trop formalisés. Les cours ne sont pas suffisamment attrayants, néanmoins les professeurs d’université ne sont pas rémunérés en fonction de l’attractivité des cours, il n’y a pas les mêmes incitations à l’université que dans les grandes écoles (MBA de HEC par exemple). À l’université les enseignants sont incités à faire de la recherche, à publier des articles.

    Quelques étudiants reprochent aux cours d’économie de ne pas correspondre à leurs orientations idéologiques.

     

    Un autre problème : le fait que la science économique ne soit enseignée qu’aux étudiants en économie, et pas dans d’autres filières (par exemple médecine) alors que comprendre des mécanismes économiques est nécessaire pour agir en tant que citoyen éclairé, informé.

     

    Les pistes :

     

    Le programme CORE (Curriculum Open-access Resources in Economics)[1] envisage des changements dans la manière d’enseigner l’économie à l’université.

     

    Sur les concepts, les mathématiques

     

    En première année enseigner la microéconomie sans forcément introduire les mathématiques : position notamment d’Étienne Wasmer dont le livre de microéconomie[2] pour les premières années ne contient pas d’équation, et de Christian Gollier qui propose d’introduire la formalisation qu’après la première année. Une partie des étudiants de première année poursuivent d’autres études : écoles de journalisme, de gestion. Il s’agit en première année de parvenir à « l’excitation des neurones ». Christian Gollier propose d’utiliser le livre de Jean Tirole Économie du bien commun en première année : mécanismes économiques sans mise en équation, et l’utilisation de cas concrets (ex actuel du rationnement du beurre et le signal prix). Les mathématiques sont enseignées en première année de licence, elles ne seront introduites qu’après dans les cours d’économie. Christian Gollier insiste sur le fait de comprendre les résultats mathématiques (ne pas faire des maths pour les maths sans se poser la question du sens économique), sur la place de la créativité (être capable d’imaginer un processus de test). Les mathématiques ne sont qu’un outil. La 5ème année est encore trop pensée comme une préparation au doctorat alors qu’il faudrait introduire des compétences professionnalisantes.

     

    Concepts et raisonnements à enseigner dès la première année selon Étienne Wasmer : coût d’opportunité, asymétrie d’information, notion d’élasticité (partir de l’exemple de l’élasticité prix de la demande de tabac permet d’intéresser les élèves), le comportement stratégique (théorie des jeux), l’évaluation d’une politique publique, le raisonnement à la marge. Il s’agit de mettre en évidence des régularités statistiques, les étudiants seront demandeurs par la suite des théories, ensuite on pourra introduire les choix intertemporels, le taux marginal de substitution, l’aversion au risque… La place des mathématiques montera en puissance par la suite. Les cours doivent être différents selon le public, il faut se mettre au service de ses étudiants.

     

    Concepts importants selon Rachel Kranton : offre, demande, dépenses de l’État, banque centrale. Il faut partir de situations concrètes et allers vers les concepts. D’après elle, les mathématiques sont nécessaires en économie mais pas suffisantes pour réussir : il faut aussi savoir raisonner, s’exprimer par des mots.

     

    Anne Boring commence son cours de microéconomie par une introduction aux mathématiques pour l’économie et utilise beaucoup les graphiques pour les raisonnements économiques (par exemple la dérivée expliquée à des bacheliers L à partir d’un graphique). Il ne faut pas trop attendre pour introduire les mathématiques sinon c’est en deuxième année que le découragement aura lieu. Il faut partir de l’intérêt initial des étudiants (par exemple comprendre l’inflation, le chômage) pour élargir ensuite les raisonnements.

     

    Laurent Simula estime qu’il existe des mathématiques réellement utiles en économie et d’autres qui le sont moins. À l’ENS l’économie n’est pas formalisée.

     

    Alexandre Delaigue a expliqué que certaines compétences mathématiques devaient être acquises notamment qu’elles étaient transférables ailleurs qu’en économie, par exemple savoir déterminer ce qui est une causalité et ce qui n’en est pas une.

    Alexandre Delaigue pense qu’il y a un réel souci dans l’enseignement des mathématiques, que les étudiants sont souvent stressés : il y aurait les bons élèves ayant la bosse des maths et les autres. Les mathématiques servent trop souvent d’outil de sélection (exemple des filières S, ES et L au lycée). Il a également constaté que les étudiants demandaient des réponses à des problèmes contemporains afin de mieux comprendre le monde. Pour impliquer davantage les étudiants, on peut également utiliser le faire faire : traiter un sujet qui n’a jamais été expliqué (par exemple pourquoi le prix des œufs bruns est plus élevé que le prix des œufs blancs alors que la qualité nutritionnelle est la même).

     

    Marie-Claire Villeval a insisté sur le fait de commencer les mathématiques assez tôt car c’est incontournable. On peut commencer par une situation concrète (par exemple diviser la classe en deux : les acheteurs, les vendeurs, donner des informations à chaque partie, les étudiants procèdent aux échanges), montrer que le professeur avait trouvé le résultat avant (projection de la diapo avec le résultat) grâce à un modèle puis expliquer le modèle. Les mathématiques sont un outil, un langage dont on ne peut pas se passer. Apprendre c’est aussi se confronter à des difficultés. Pour les maths il y a une réassurance à donner aux étudiants par la progressivité de l’apprentissage.

     

    Sur l’évaluation des enseignants

     

    Christian Gollier et Anne Boring ont évoqué des travaux d’évaluation des enseignants. Christian Gollier a expliqué qu’il existe une opposition d’une partie des professeurs à être évalués par les étudiants. Anne Boring a expliqué que d’une part les étudiants ne se sont pas beaucoup exprimés (faible taux de réponse) et qu’ils ne sont pas forcément capables d’évaluer la qualité de l’enseignement et que, d’autre part, cela permet de savoir ce dont les étudiants ont besoin pour réussir et ce qui les intéresse dans les cours (en l’occurrence comprendre comment fonctionne le monde et aussi comprendre comment le travail de recherche fonctionne). Ces évaluations ont des biais et ne doivent pas être perçues comme une mesure de la qualité des cours.

    Laurent Simula a montré que l’évaluation des enseignants par les étudiants différait selon les pays. Ainsi, à Singapour les étudiants n’expriment pas leurs difficultés de peur de perdre la face et trouvent que lorsque l’enseignant demande si les étudiants comprennent c’est une perte de temps. Par contre, en Suède, l’interaction entre enseignants et étudiants est plus forte, néanmoins il s’agissait d’étudiants en master et doctorat dont les effectifs étaient plus bas.

     

    Sur l’évaluation des étudiants

     

    Les mathématiques doivent-elles être un outil de sélection ? Non mais parfois c’est plus rapide d’évaluer en microéconomie les étudiants de première année sur des exercices mathématiques car les doctorants qui corrigent n’ont pas beaucoup de temps (ils doivent produire des résultats en recherche, dans un univers ultra compétitif).

    Les mathématiques semblent plus faciles à noter : c’est juste ou c’est faux. Les autres évaluations (créativité, capacités à inventer un modèle, à travailler en groupe, coopérer) peuvent paraître plus subjectives. Les méthodes pour évaluer ces compétences vont sûrement se développer.

    Pour Alexandre Delaigue, tout n’a pas besoin d’être évalué par une note (par exemple la curiosité intellectuelle).

     

    Sur le travail d’enseignant-chercheur

     

    Anne Boring a expliqué que la situation des enseignants est très différente : à Science Po les enseignants ont des assistants qui les aident à préparer les cours et surtout à corriger, et les effectifs sont plus légers qu’à l’université.

    Christian Gollier a souligné le problème d’allocation des enseignants aux cours. Les professeurs d’université (enseignants « seniors ») préfèrent assurer les cours de master et doctorat où les effectifs sont plus légers. À la TSE l’université a recruté des professeurs chargés de cours (PCC) en CDI avec un nouveau statut : ils ont une obligation de soutien pédagogique, de se former à la pédagogie par projet.

    Étienne Wasmer : il faut mettre en adéquation des incitations (la rationalité n’est donc pas un si mauvais modèle) ; les professeurs font de bons cours s’ils ont une incitation, les étudiants travaillent s’ils sont évalués.

     

    Sur la pluridisciplinarité et la différence entre le lycée (SES) et l’université

     

    Étienne Wasmer a commencé par rappeler que tous les élèves de première et de terminale ne font pas des SES, et que les SES sont un enseignement pluridisciplinaire renvoyant à des questions. À l’université il peut y avoir en première année d’économie des enseignements de sociologie et d’histoire mais pas à la manière des SES : ici il s’agit de se spécialiser. Il existe des doctorats bi-disciplinaires (ex : économie et droit) mais il est difficile de réussir car il faut des bases dans deux disciplines, les parcours sont très complexes.

    Pour Christian Gollier, il faudrait faire un premier doctorat puis plus tard au cours de sa vie l’autre car le niveau de compétences à acquérir est trop avancé.

    Alexandre Delaigue a constaté chez ses étudiants des lacunes en histoire des faits (et non des théories) économiques : certains étudiants ne connaissent pas les faits stylisés comme la révolution industrielle, l’entre-deux-guerres. Pour réussir à l’université, il faut être curieux, dépasser ses cours, la chance des étudiants actuels est d’avoir accès à davantage de ressources (sites, blogs…).

    Rachel Kranton a évoqué la possibilité de choisir des certificats avec une majeure en économie et des mineures : science de la décision, sciences politiques, informatique, psychologie à l’université de Duke.



    [2] Étienne Wasmer, Principes de microéconomie, méthodes empiriques et théories modernes, Pearson, 2017 (3ème édition).