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2018

Publié le 15.04.2019

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Le  Montag, 15. April 2019

Jéco 2018, instabilité financière

C/r de L. Auffant

  • Jéco 2018, Centre culturel Saint-Marc, Lyon

    Mercredi 7 Novembre 2018, 11h-12h30 

     

    Conférence : La longue histoire de l’instabilité financière

     

    Intervenants :

    Président : Éric Monnet, Économiste à la Banque de France et enseignant associé à l’École d’Économie de Paris et l’EHESS

    André Cartapanis : Professeur d’économie et de finances internationales à Sciences Po Aix

    Pierre Dockès : Professeur honoraire à l’université Lyon 2, chercheur à Triangle (CNRS)

    Claire Silvant : Maître de conférences en Sciences Économiques, Université Lyon 2 Lumière

     

    Présentation du thème dans le programme des Jéco

     

    Une nouvelle crise financière est-elle à craindre ? Celle de 2007-2008 n’était que la dernière en date d’une longue série. Les crises financières jalonnent en effet l’histoire économique. Elles sont un moment paroxystique du cycle financier, un cycle d’autant plus ample que la finance impose sa logique au capitalisme industriel. La dérégulation financière, et d’abord bancaire, est responsable de l’amplitude prise par le cycle financier. L’analyse en a été faite particulièrement par Hawtrey, Kindelberger et Minsky qui ont développé l’hypothèse d’instabilité financière ; mais l’on s’interrogeait, déjà au siècle précédent, sur les vertus de la régulation bancaire et ses conséquences sur l’instabilité. Avec la mondialisation et l’explosion des flux de capitaux, ceux-ci portent une responsabilité majeure dans les crises financières des économies émergentes. Quels contrôles imposer pour éviter ces dangereuses dérives ?

     

    Vidéo de la conférence : http://www.touteconomie.org/index.php?arc=dc033c

     

    Compte-rendu :

     

    Intervention de Pierre Dockès :

    Qu’est-ce que l’instabilité financière ?

    Il s’agit de successions de phases d’expansion financière très forte, cumulative, suivies par des chutes extrêmement brutales. La crise au sens strict est le moment précis où cela s’effondre. On raisonne par rapport à un équilibre. Dans le cas de l’instabilité financière, une légère modification par rapport à l’équilibre nous éloigne de façon cumulative de l’équilibre au lieu de nous y ramener : il s’agit de spirales financières.

    L’instabilité est ancienne : Flandres, Italie au Moyen Âge, tulipes au XVIIème siècle, grandes bulles début XVIII (ex Mers du Sud, Law) ayant attiré l’attention de grands économistes notamment Adam Smith (crise de 1772 liée aux conséquences de la faillite de la Compagnie des Indes orientales). La dimension financière est plus ou moins importante dans les crises. Quand la dimension financière est présente dans les crises économiques, la crise se fait sentir plus longtemps, on peut parler de « grande crise » et non d’une simple récession économique. Les crises immobilières sont aussi présentes dans les grandes crises parce que la crise immobilière touche une partie importante des bilans bancaires.

    Les économistes s’intéressent depuis longtemps aux crises financières : Juglar, Wicksell, les économistes autrichiens, I Fisher, JM Keynes, Minsky, Kindelberger… Pendant longtemps les économistes se sont intéressés avant tout aux causes réelles des crises notamment le cycle de l’investissement dans sa dimension physique parce qu’aux XVIII et XIXèmes siècles les besoins de financement n’étaient pas aussi importants, les besoins en capital physique ne demandaient pas des financements longs et élevés. Par contre, à partir du XIXème siècle et surtout au XXème siécle, on prend davantage en considération le cycle financier. En réalité, le cycle de l’investissement réel et le cycle financier sont liés.

    Les bases de l’instabilité financière reposent sur l’excès de l’endettement privé. Pourquoi cet endettement privé et un emballement de cet endettement ? Cet endettement sert d’abord à financer les stocks, les salaires et les investissements. De plus on a de la spéculation (acheter pour vendre plus cher). Enfin on a une troisième cause : l’effet de levier possible grâce à l’endettement. Cet effet permet d’accroître le rendement économique.

    Exemple : achat d’un appartement à 100 financé par fonds propres

    Plus-value potentielle de 10 qui se réalise. Gain : 10/100 donc taux de 10%

    2ème cas : fonds propres 20 et emprunt de 80. Dans ce cas la rentabilité économique des fonds propres = 50 %

    Le problème est quand le marché se retourne et qu’on réalise une moins-value : on perd alors beaucoup plus que les fonds propres. Le retournement du levier est un moment crucial dans la crise économique.

     

    Ce que suppose l’instabilité financière c’est l’inefficience des marchés qui ne reflètent pas les fondamentaux. Les marchés financiers sont, selon l’expression d’André Orléan[1], « autoréférentiels » et sont entre les mains d’une part d’agents qui sont des investisseurs à long terme et d’autres part des spéculateurs. Les deux types d’agents financiers ont des comportements différents et ce sont les spéculateurs qui l’emportent. On constate deux aspects dans le comportement des spéculateurs, aspects soulignés par JM Keynes : les chaises musicales (rester le plus longtemps possible sur le marché tant que le cours monte et réussir à sortir juste avant l’effondrement) et le « concours de beauté »[2]. Ce concours de beauté montre que les fondamentaux (la valeur réelle) ont peu d’intérêt pour les spéculateurs, ce qui compte le plus est l’idée que les autres se font et qu’eux-mêmes se font que d’autres font… de l’évolution future des cours.

     

    L’instabilité financière s’exprime par une croyance générale dans l’insolvabilité, l’absence de liquidités de la plupart des agents économiques. Dans ce cas les agents ne veulent plus prêter, ils veulent se désendetter. On a une course au cash auprès des banques (run), des ventes de titres, d’immeubles, de marchandises pour obvenir des liquidités…qui provoquent un effondrement de la dette privée. Cet effondrement de la dette privée a des conséquences dramatiques : risque d’effondrement de la masse monétaire ce qui signifie un risque de déflation (baisse du prix des biens et des services et surtout baisse des prix des actifs). Se constitue une spirale financière à la baisse qui s’ajoute à la spirale réelle classique (diminution de la consommation, de l’investissement, faillites d’entreprises, chômage…). La spirale déflationniste des années 1930 a été analysée par Irving Fisher (1932-33) : déflation d’actifs ou debt deflation. Le poids de la dette réel augmente par rapport aux prix (alors que les dettes fondent avec l’inflation). Le risque est de tomber dans l’effondrement total de la dette privée. Quand la dette privée s’effondre il faut créer de la dette publique pour compenser l’effondrement de la dette privée.

     

    Intervention de Claire Silvant :

    Les aspects historiques : les débats du XIXème siècle sur la dérégulation.

    L’instabilité financière doit être reliée à la question du rôle et du statut banques centrales. La controverse porte sur l’opposition entre le monopole de l’émission (= la défense des banques centrales) et la banque libre (autorégulation, émission de la monnaie confiée au marché). Ce débat révèle des enjeux qui étaient différents il y a deux siècles.

     

    Le contexte du milieu du XIXème siècle :

    • La Banque de France est liée au pouvoir politique presque depuis sa création. Elle détient le monopole d’émission des billets.
    • Des pratiques qui suscitent autant de méfiance (liaisons dangereuses avec le pouvoir) que d’approbation (gestion prudente de la Banque de France).

                Or le monopole n’a rien de naturel, ce qui suscite de vifs débats.

     

    Les arguments des partisans du monopole :

    • la monnaie est une prérogative de l’État
    • moins de risque de sur-émission et de crise, moins d’instabilité
    • facilités de financement pour le Trésor Public (la Banque de France peut financer le Trésor avec des conditions avantageuses).

     

    Les arguments des défenseurs de la banque libre :

    • un niveau d’émission impropre en cas de monopole
    • risque de sur-émission amoindri (grâce aux faillites des établissements inefficaces)
    • incitation à la hausse des dépenses publiques.

     

    Un deuxième débat a lieu en parallèle sur le principe d’émission le moins vecteur d’instabilité. L’opposition entre deux écoles :

    • le currency principle : limitation de l’émission par une règle de couverture en métaux précieux (totale ou partielle)
    • la banking principle : auto-régulation de l’émission.

     

    Quelles sont les résonances actuelles de ces débats ?

    • la question du monopole de la Banque de France
    • la question des liens entre la banque centrale et les pouvoirs politiques (loi de 1973, puis 1993 : transfert à la BCE du monopole de l’émission des billets en euros)
    • les règles d’émission dans un contexte différent car pas de réserves en or (fin du système de Bretton Woods). La régulation de l’offre de monnaie par la Banque Centrale reste un enjeu crucial.

     

    Intervention d’Éric Monnet :

    Qu’est-ce qu’une crise bancaire, financière ?

     

    Comment et pourquoi une crise bancaire, financière a-t-elle des effets sur l’économie réelle ?

    Les réponses habituelles (notamment pour analyser la crise des années 1930 aux États-Unis) :

    • les faillites bancaires provoquent un gel des dépôts donc moins de crédit : il s’agit d’explications monétaires (cf. travaux d’A Schwartz et de M Friedman)
    • les faillites bancaires conduisent à une hausse du coût de l’intermédiation financière (Cf. B Bernanke)

     

    Qu’en est-il de la crise de 2008 ?

    Les banques ont été sauvées, on a une assurance des dépôts et des interventions de la Banque Centrale (injection de liquidités).

    Pourquoi a-t-on tout de même des effets réels ?

    On assiste à une fuite vers la sécurité : les déposants, banques, investisseurs vont préférer investir dans des actifs très sûrs (dettes publiques, dépôts à la Banque Centrale pour les banques de second rang) plutôt que de prêter aux entreprises (cf. travaux de Gary Gorton, mais pas de traduction française de ses livres, autre référence : le livre Crashed de l’hitorien Adam Tooze paru en 2018). En fait ce phénomène n’est pas nouveau. Lors de la crise financière de 1930-31 et de la grande dépression en France on a vu l’épargne se diriger vers les caisses d’épargne ou vers les grandes banques jugées plus sûres. La crise a été plus forte pour les petites banques. Les grandes banques ont placé leurs dépôts à la Banque Centrale et celle-ci a acheté de l’or et a moins prêté à l’économie. L’État se désendette. Les dépôts ne disparaissent pas mais ils changent de lieu. Par contre le crédit diminue. Finalement un ratio pertinent pour observer les crises financières et le rapport entre le crédit et la quantité de monnaie.

                Quelles sont les implications en termes de politiques économiques ?

    Sauver les banques ne suffit pas, il faut réorienter les fonds dans l’économie.

     

    Intervention d’André Cartapanis :

    Deux grandes questions seront traitées.

    Quel est le rôle de la mondialisation financière (notamment la dérèglementation des mouvements de capitaux) dans les crises financières depuis les années 1970 ? Ma réponse sera : celle-ci a un rôle amplificateur.

    Comment y répondre ?

     

    L’instabilité financière est liée aux mécanismes de retour à l’équilibre, mais c’est aussi un phénomène empirique : de la volatilité, des chocs disruptifs, des basculements sur des marchés. Exemple à l’échelle internationale: prix d’actifs notamment les taux de change. La crise conduit souvent alors à une interruption dans les échanges, à respecter des contrats.

    À partir des années 1970 et surtout 1980 pour les pays développés, et des années 1990 pour les pays émergents, on a un parallélisme entre la récurrence des crises et l’ouverture internationale.

     

    Quels sont les liens entre la globalisation financière et les crises financières ?

     

    Trois explications :

    • la globalisation financière est le miroir de l’instabilité financière domestique endogène : la finance est procyclique, elle dépend d’anticipations qui sont révisées. La nouveauté est alors l’échelle internationale.
    • la finance internationale a un rôle catalyseur dans l’alimentation des fragilités et crée de nouvelles sources d’instabilité financière à cause des volumes concernés et à cause de nombreux déséquilibres des balances des paiements.
    • la finance globale amplifie les crises à cause des interdépendances entre els pays. Un choc en Asie, au Mexique prend une importance planétaire. Les chocs ont des effets mondiaux par effets de diffusion et de contagion. Ainsi la crise des subprimes est devenue systémique.

     

    Quelles réponses apporter ?

    Il faut dé-globaliser, revenir en arrière car on est allé trop loin dans la mondialisation, il faut re-réglementer massivement (ex : créer une taxe Tobin). Cette solution signifie qu’on a dépassé un seuil : mais quel est ce seuil et comment le mesurer ? La taille de la finance internationale est complexe à mesurer. Cela supposerait aussi que les effets ne tiennent qu’à un effet volume alors que la finance n’existe pas indépendamment des institutions où elle est encastrée. Les marchés financiers ne sont jamais autonomes. Les institutions ne doivent pas être défaillantes, elles doivent permettre de tempérer les risques d’instabilité.

    La finance est nécessairement instable car il s’agit de paris sur l’avenir. Il faut des réponses visant à encadrer ces paris, ces comportements à risques. Ces comportements ne sont pas indépendants du contexte macroéconomique. Ainsi en 2008-2009 les taux d’intérêt sont longtemps restés trop bas (problème de pilotage des dispositifs macroéconomiques).

    Donc plutôt que revenir en arrière, il faut s’engager dans une amélioration du contrôle pour limiter les excès de la finance. Il s’agit d’une double réorientation :

    • -du point de vue macroéconomique, la stabilité financière a été négligée pendant les années 1990-2000 (grande modération dans les politiques macroéconomiques)
    • -le contrôle des mouvements de capitaux. Il est normal de contrôler les excès d’entrée, cela est toutefois difficile à mettre en place car cela crée des pertes à court terme alors que les gains se font ressentir à moyen terme. Les échéances électorales n’incitent pas à agir à moyen et long termes.

    À problème global, réponse globale mais peut-être vaut-il mieux maîtriser les sources nationales d’instabilité ?

     

     

    Réponses aux questions de l’auditoire

     

    Où en sommes-nous ? Sommes-nous dans un moment Minsky ?

     

    Pierre Dockès :

    On a tendance à vouloir prévoir la prochaine crise. Sommes-nous à la veille d’un moment Minsky autrement dit d’un retournement ? La crise de 2008 a été suivie d’une expansion jusqu’en 2016-16 réelle mais modeste y compris aux États-Unis, et d’une expansion plus forte entre 2016 et 2018. L’oubli de la catastrophe n’a pas eu lieu. La croissance actuelle de l’endettement privé n’est pas comparable à celle des années 2000, sauf en France. S’il existe un risque de surendettement privé pouvant déboucher sur un retournement, cela viendrait de Chine mais celle-ci a un système politico-économique spécifique. L’autoritarisme étatique est très poussé, on a très peu de risque de crise en Chine.[3]

     

    André Cartapanis :

    Reinhart et Rogoff ont montré quels indicateurs témoignaient de risques de retournement. Actuellement les indicateurs inquiétants sont la remontée des taux d’intérêt aux États-Unis, une forte hausse des déficits aux États-Unis qui capte une part importante de l’épargne mondiale, un niveau d’endettement mondial et privé beaucoup plus important qu’avant la crise. Néanmoins deux éléments atténuent ces pronostics : on est loin d’une bulle immobilière similaire à celle d’avant 2008 et les banques sont plus solides après la re-régulation. Cela ne signifie pas toutefois que la crise est impossible.

     

    Les économies sortent-elles renforcées après avoir traversé des crises ?

    André Cartapanis :

    Il y a les bonnes et les mauvaises crises. Dans le cas de crises du change, des balances des paiements, les dévaluations fortes sont un instrument pour rebondir.  Les mauvaises crises se propagent à l’échelle planétaire. Les crises portant sur des chutes de l’investissement font diminuer le PIB potentiel : le pays en ressort donc amoindri.

     

    Éric Monnet :

    Selon JA Schumpeter, les crises ont du positif pour l’économie. Par exemple la bulle immobilière a permis un réajustement de l’investissement dans certains secteurs. Pour se renforcer, une économie doit adapter ses politiques économiques. On peut toutefois être sceptique sur la destruction créatrice : s’interroger sur les arguments des gagnants à la crise.

     

    Claire Silvant :

    Il faut se demander que devient le PIB potentiel après la crise. Si le PIB potentiel a reculé alors le pays ne sort pas renforcé.

     

    Pierre Dockès :

    Est-ce qu’il y a des bonnes crises comme on aurait des bonnes guerres ? Certains économistes sont partisans d’une bonne purge. Ces thèses liquidationnistes ont justifié l’abandon de Lehman. Le débat est ancien et dangereux, avec une dimension politique.

     


    [1] Il est possible de télécharger l’opuscule de 112 pages d’André Orléan  De l’euphorie à la panique : penser la crise financière, 2009, sur le site du Cepremap : http://www.cepremap.fr/depot/opus/OPUS16.pdf

    [2] P Dockès a rapidement rappelé en quoi consistait le concours de beauté et l’attitude à adopter pour gagner (voir 16 et 17èmes minutes de la vidéo). (Utilisation possible pour le cours d’économie approfondie)

    [3] Lors de la conférence des Jéco 2018 « une crise grave est-elle encore possible ? », Patrick Artus a avancé le même argument et a expliqué que le fort taux d’épargne intérieure pourrait financer les défauts de paiement éventuels des investisseurs chinois.