Vous êtes ici  :   Accueil > Ressources pédagogiques > Terminale
Connectez-vous

Accueil

S'INFORMER ENSEIGNER ÉVALUER SE FORMER ORIENTER

Terminale

Publié le 29.02.2020

Écrire à l'auteur

Le  Samstag, 29. Februar 2020

C/r régulation financière

P. Artus. C/r B. Herbelot

  • Formation sur le nouveau programme de Terminale – 5 février 2020

    Patrick Artus - Crise et régulation financière

     Voir aussi l'onglet "Documents" pour les formats .docx et .pdf

     

    1) L’origine des crises

     

    Afin de comprendre l’origine des crises, il faut préalablement expliquer ce que signifie la financiarisation des économies. Une économie financiarisée est une économie dans laquelle la taille de la finance est devenue tellement grande que ce sont les chocs financiers qui déclenchent des crises, comme c’est le cas depuis les années 1990. Avant la financiarisation des économises, c’étaient les chocs réels qui déclenchaient les crises financières.

     

    Les crises financières sont causées par deux phénomènes : un excès d’endettement et un choc sur le prix des actifs. La crise américaine de 2008 commence avec la diminution des prix de l’immobilier (à partir de 2006), qui entraîne une envolée du taux de défaut de paiement des ménages. Cela conduit les ménages à chercher à se désendetter, ce qui fragilise les entreprises. En 2008, le défaut des entreprises a donc été causé par le défaut des ménages. A l’inverse, la crise de 2000 (e-krach) avait débuté avec un retournement des cours boursier qui avait provoqué un défaut de paiement des entreprises.

     

    La mécanique des crises financières est la même depuis la crise du Japon au début des années 1990, et ces crises sont amplifiées par le rôle des banques :

    -          augmentation de l’endettement et du prix des actifs, qui conduit à un emballement de l’endettement et à des prix d’actifs trop élevés,

    -          s’en suit une correction des prix des actifs, qui fait apparaît un excès d’endettement.

    -          l’excès d’endettement conduit au désendettement, donc à des coupes dans les dépenses, et à une contraction du crédit qui entraînent une crise de l’économie réelle.

     

    Le facteur qui déclenche la crise est l’augmentation des taux d’intérêt des Banques centrales : à partir de 2004/2005, les taux d’intérêt de la FED augmentent, ce qui va provoquer la crise de 2008. Il y aurait eu crise quand même en 2008, du fait des perversions de la finance américaine (titrisation des crédits subprimes). Une bulle sur les actions ou l’immobilier peut en effet éclater sans hausse des taux d’intérêt, mais dans le cas présent, c’est la hausse des taux d’intérêt qui a déclenché la crise.

    La hausse des taux d’intérêt est une réaction à l’accélération de l’inflation. La crise financière déclenche donc la crise réelle, mais à l’origine de la chute du prix des actifs, il y a une hausse des taux d’intérêt entraînée par l’inflation, qui provient de l’économie réelle.

     

    Les crises financières sont de plus en plus graves, car l’endettement et le prix des actifs augmentent de façon de plus en plus importante. La sophistication financière joue également un rôle aggravant (les crédits structurés, type ABS, avaient un montant aux Etats-Unis 5 fois plus important avant la crise de 2008 qu’aujourd’hui).

     

    2) Aujourd’hui, quel risque de crise financière ?

     

    Le contexte est une déglobalisation de l’économie réelle. Par exemple, les investissements étrangers en Chine s’élevaient à 400 milliards de dollars en 2014, contre seulement 100 milliards en 2019.

    Mais la finance continue elle à se globaliser : les pays se prêtent de plus en plus entre eux. Une exception : la zone euro, qui connaît un rééquilibrage de ses balances courantes. L’Allemagne ne prête plus aux autres pays européens, mais finance le Trésor américain. La zone euro se déglobalise.

     

    Le montant de dette est encore plus important qu’en 2007 (mais la finance est moins complexe). La dette privée a légèrement diminué, mais la dette publique a très largement augmenté, et les dettes sont plus imbriquées.

    La très grande différence avec la période précédente, la crise de 2008 est qu’il n’y a plus d’inflation, malgré le plein emploi. Depuis 10 ans, aux Etats-Unis et en Europe, les niveaux de chômage sont proches du plein emploi (3 à 4% aux Etats-Unis, 7,5% en Europe, ce qui correspond à des taux de chômage équivalents, du fait des différences de mesure). Malgré le plein emploi, il n’y a pas d’accélération des salaires et pas d’inflation (le taux d’inflation est entre 1,5 et 2% dans la zone euro). Il n’y a donc plus de courbe de Philipps.

    Cette situation s’explique par :

    -          les nouveaux emplois créés dans de petites entreprises de services, dans lesquelles les syndicats ont un faible poids.

    -          Les réformes du marché du travail, ex. la réforme de l’assurance chômage qui réduit le salaire de substitution.

    -          La position dominante des entreprises sur le marché des biens et services et sur le marché du travail. Dans certaines zones régionales, peu d’employeurs créent des emplois. Les autorités de la concurrence américaines ont laissé des positions dominantes s’installées.

    Ces facteurs expliquent l’austérité salariale. L’absence d’inflation fait que les BC n’augmentent plus les taux d’intérêt. Cela fait que rien n’arrête l’endettement. Par exemple, l’Etat français s’endette à – 0,25%. La dette n’a plus aucune importance tant que ce monde dure. Avoir plus de dettes qu’en 2007 ne créée donc pas plus de crise, car les taux d’intérêt sont à 0 : tout le monde est solvable.

     

    Les taux d’intérêt sont plus bas que les taux de croissance. Par exemple, en France, le taux d’intérêt sur la dette publique est à – 0,25%, et le taux de croissance nominal à 2,5%. Il s’agit d’une version moderne de la taxe inflationniste : une taxe sur les détenteurs de titres de dette publique. L’Etat français devrait s’endetter à 5%, il s’endette à – 0,25%, ce qui équivaut à une taxe cachée de 3 points de PIB sur les épargnants détenteurs de titres de dette publique (« taxe sur les riches »). Cette taxe sur les épargnants soulève assez peu de contestation, elle est efficace dans le sens où elle permet le désendettement des Etats.

     

    Il existe un débat quant à l’attitude que devrait avoir les BC dans cette situation. Une position est que les BC devraient adopter une attitude de « leaning against the wind ». Dans les périodes de croissance, même en cas de faible inflation, les BC devraient mener une politique monétaire restrictive pour réduire les risques de crises financières futures, en limitant la formation de bulles et de situations d’endettement excessifs.

    Cette position suscite un débat très tendu. La hausse des taux d’intérêt avant 2008 n’a pas empêché la hausse du prix des actifs (qui ont augmenté de 15% par an aux Etats-Unis de 2000 à 2006). De nouveau aujourd’hui, les prix de l’immobilier augmentent, et dépassent ceux de 2007. Ces faits sont utilisés comme argument par ceux qui rejettent le leaning against the wind, tels que l’économiste suédois Lars Svensson. Selon lui, il faudrait des taux d’intérêt tellement élevés pour enrayer la hausse du prix des actifs que cela tuerait la croissance. Il vaut mieux selon lui accepter les crises, pour avoir plus de croissance à long terme, et pratiquer le « cleaning afterwards » (intervenir après la survenance d’une crise pour limiter ses effets sur l’économie réelle). Les BC rejettent le leaning against the wind, malgré les recommandations de la BRI.

    Les partisans du leaning against the wind recommandent la prise en compte par les BC des prix de l’immobilier et non du seul prix des biens. Les BC refusent, arguant que la prise en compte du prix des actifs relève de la politique macroprudentielle, et non de la politique monétaire. Mais : les Etats-Unis ne font pas du tout de macroprudentiel, les Etats européens un peu (ex. le gouverneur de la Banque de France a récemment recommandé de limiter l’attribution de crédits immobiliers en encadrant la durée – 25 ans au maximum – et le montant – 1/3 du revenus en mensualités maximum). D’autres Etats vont plus loin : le Canada, qui a instauré une taxe sur les plus-values, la Chine (apport minimum pour acheter un bien immobilier, croissant avec le nombre de biens possédés).

     

    En l’absence de hausse des taux d’intérêt, les prix des actifs et de l’immobilier vont continuer à monter. Une bulle peut toutefois exploser toute seule (J. Tirole a montré que si les prix de l’immobilier augmentent, arrive un moment où les jeunes ne peuvent plus acheter de biens immobiliers).

    Est-ce que l’inflation peut revenir ? Si l’inflation revient et que les taux d’intérêt augmentent, la crise sera pire qu’en 2008. Il existe des arguments en faveur d’un retour de l’inflation :

    -          le vieillissement démographique (augmentation de la part de la population non productive).

    -          Ralentissement des gains de productivité.

    -          Concentration des entreprises.

    -          Passage à des chaînes de valeur régionales.

    -          Austérité salariale (qui constitue le principal frein à l’inflation). qui finira par cesser.

    L’austérité salariale finira par conduire à un retour de la social-démocratie, qui provoquera alors une crise financière. La question est donc : comment retourner à la social-démocratie sans provoquer de crise financière, vu l’importance de la dette accumulée ?

     

    3) Les pays émergents

     

    La libéralisation des flux de capitaux a conduit à une grande instabilité de l’économie des pays émergents. Ces pays connaissent des alternances d’entrées et de sorties de capitaux (les investisseurs y investissent, puis n’y investissent plus pour des raisons spéculatives), qui sont très déstabilisantes. Lorsque les capitaux rentrent, cela entraîne une baisse du taux de change, de l’inflation importée et une hausse des taux d’intérêt, une perte de pouvoir d’achat et une récession, inversement quand les capitaux rentrent.

     

    Les pays émergents connaissent une très forte fluctuation des leurs taux de change par rapport au dollar (ex. Inde, Brésil), cette volatilité des taux de change est associée à de fortes fluctuations du PIB (ex. Inde), sauf pour la Chine, qui contrôle les flux de capitaux.

     

    Même le FMI commence à reconnaître que le contrôle des capitaux peut être légitime. Une possibilité pour contrôler les capitaux et discriminer entre les investisseurs est d’instaurer une taxe à la sortie des capitaux, qui diminue avec le temps, comme cela a été fait au Chili ou au Brésil, par exemple.

     

    Cela fait 20 ans que les pays émergents subissent des crises financières à répétition du fait des fluctuations du taux de change.

     

    4) Régulation

     

    Il faut distinguer deux finances : une finance régulée, et une finance non régulée, le « shadow banking ». Le Financial Stability Board fait un rapport annuel sur le shadow banking.

     

    Le shadow banking regroupe tout ce qui n’est pas les banques. Au sein du shadow banking, il faut distinguer un sens large, qui intègre les assureurs, les OPCVM…  (ces institutions sont très régulées, par exemple, les assurances vies sont très régulées) et un sens restreint, qui comprend les hedge funds, les fonds monétaires… (qui ne sont pas régulés).

    Il faut d’intéresser au shadow banking non régulé (40 000 milliards de dollars dans le monde). Par exemple, les hedge funds représentent 13 000 milliards de dollars dans le monde. Le fait qu’ils ne soient pas régulés ne représentent pas vraiment un problème : les épargnants assument le risque. Ce qui est important pour le régulateur, c’est la transparence de l’information (c’est la logique du test « MIFID 2 » auquel sont soumis les épargnants).

     

    L’enjeu de la régulation est que les banques ont un actif risqué et un passif (les dépôts) qui doit être protégé, pour éviter les paniques bancaires systématiques. Les coussins de fonds propres prévus par les accords de Bâle ont alors pour objectif d’absorber les chocs sur l’actif afin de protéger le passif (la séparation des banques ne résoudrait quant à elle pas le problème, car les banques de dépôts en sont pas moins risquées que les banques d’affaires).

    Comme l’a montré Martin Hellwig, cela rend les banques très chères dans leur fonctionnement : les fonds propres coûtent très cher, car il faut rémunérer les actionnaires qui ont amené ces fonds propres (12% de leurs encours en fonds propres à rémunérer, cela est trop coûteux).

    Le coût du financement bancaire incite les entreprises à se financer sur les marchés plutôt qu’auprès des banques. En Europe, cela devrait conduire à une probable convergence vers le modèle américain, où les entreprises se financent sur les marchés, et où seuls les ménages se financent auprès des banques pour leurs crédits immobiliers (ce qui explique pourquoi les banques américaines sont plus petites que les banques européennes).

    Les banques devraient disparaître du fait du coût des fonds propres, et se limiter à être les financeurs des ménages. 

     

    L’assurance vie rencontre le même problème de rentabilité. Les accords « solvabilité II » impose de garantir les dépôts d’assurance vie sous forme de fonds en €. Les assurances vie sont de ce fait concurrencées par des intermédiaires non régulés, comme Black Rock : pas de minimum de fonds propres requis, des placements en conséquence plus rémunérateurs, mais plus risqués.

     

    Le problème est donc que l’on souhaite que les intermédiaires financiers aient des actifs et des passifs ayant des caractéristiques très différentes, ce qui est très cher, et a comme conséquence que les intermédiaires régulés (banques et assurances) se font prendre des parts de marché par des intermédiaires non régulés. Tant que les épargnants ne veulent pas prendre de risques, les intermédiaires auront un problème de rentabilité.

     

    5) Solutions

     

    On n’évitera pas l’idée que les épargnants prennent des risques. Quand les taux d’intérêt sont élevés, un peu d’intérêt permet de couvrir les risques, mais ce n’est pas possible si les taux d’intérêt sont bas.

     

    Pratiquer le leaning against the wind (Claudio Borio le recommande, il avait annoncé la crise des subprimes – Nouriel Roubini l’avait fait également, mais il prédit une crise tous les ans depuis 25 ans).

     

    Remettre du contrôle des capitaux pour les pays émergents.

     

    Pratiquer une coordination internationale des politiques monétaires : aujourd’hui, il n’y a pas de coordination. La coordination se fait par défaut par l’ajustement des taux de change. Les externalités entraînées par la politique monétaire américaine (et les fluctuations du dollar qu’elle entraîne) ne sont aujourd’hui pas internalisées.

     

    Retour de l’inflation : beaucoup d’agents opèrent en faisant comme si les taux d’intérêt allaient rester faibles jusqu’à la fin des temps. Les Etats sont notamment incités à faire des déficits, ce qui n’est pas une bonne idée (ils s’exposent au risque de hausse des taux d’intérêt). Il ne faut faire que des dépenses publiques très efficaces (dans la transition énergétique, l’innovation), et non financer des dépenses courantes.

     

     

    Questions :

     

    Qu’aurait dû faire les banques centrales avant la crise de 2008 : augmenter les taux d’intérêt plus tôt, en prenant en compte l’évolution des prix de l’immobilier et non seulement les prix à la consommation ?

     

    Les BC auraient dû augmenter les taux d’intérêt plus tôt. Selon l’économiste irlandais Philip Lane, il faudrait passer d’un indice des prix à la consommation à un indice des dépenses, qui intégrerait les prix de l’immobilier (afin d’éviter la formation des bulles sur l’immobilier, qui sont plus dangereuses que les bulles sur les actions). Il faudrait donc changer l’objectif des BC. Les BC sont réticentes à le faire, partant du principe que la surveillance du prix des actifs devrait être du ressort de la politique macroprudentielle. L’objectif d’inflation pourrait également passer de 2 à 4% pour la BCE.

     

    Y a-t-il des risques d’explosion de bulles de crédits aux Etats-Unis ?

     

    Les prêts étudiants, qui représentent 120 000 $ de dette en moyenne à la sortie de l’Université, sont garantis par l’Etat fédéral (le taux de défaut sur ces prêts est de l’ordre de 14%).

    Les crédits automobiles peuvent représenter un problème, car ils sont intégrés à des produits structurés.

    L’immobilier commercial pourrait également être une source de crise du crédit : le prix de l’immobilier commercial continue à augmenter, alors que le commerce connaît une crise aux Etats-Unis avec la concurrence la vente en ligne.

    Il s’agit toutefois de risques localisés, sans commune mesure avec la crise des subprimes (les crédits subprimes représentaient aux Etats-Unis 16 à 17 000 milliards de $ avant la crise).

     

    Comment ralentir la hausse des prix de l’immobilier ?

     

    Une mesure macroprudentielle consisterait à augmenter l’apport minimum requis pour acheter un bien immobilier (« loan to value »). Il y a toutefois une peur de l’impopularité de cette mesure, car elle revient à exclure les classes moyennes inférieures de l’accès au logement (exclusion du crédit par le bas).

    En France, un problème de fond sur le marché de l’immobilier est le manque de construction. 4 millions de Français habitent dans un logement de mauvaise qualité. La construction de 400 000 logements par an serait nécessaire. La politique de soutien à la demande (APL et prêt à taux zéro) a conduit à une augmentation du prix des logements. Le plafonnement des loyers risquerait de réduire l’investissement locatif. Une solution serait de densifier les centres-villes, et de rendre l’urbanisme à l’Etat (à l’échelle locale, les électeurs propriétaires peuvent faire pression pour limiter la construction qui pourrait entraîner une baisse des prix des logements).

     

    Faut-il réguler davantage tous les intermédiaires financiers ?

     

    Il faut réguler les intermédiaires qui fournissent de l’épargne sans risques. Il n’y a pas de raison de réguler les autres, il faut se limiter à assurer la transparence de l’information.

    Aux Etats-Unis, même les PME se financent sur les marchés : les marchés représentent 85% du financement des entreprises, contre 15% pour les banques.

    Serait-ce une bonne idée de financer les PME et les ETI sur les marchés ? Non, la relation d’une banque avec une entreprise est une relation de long terme, alors que les marchés peuvent se fermer complètement. Dans ce cas, il faut une forte flexibilité du marché du travail si les entreprises ne peuvent plus se financer sur les marchés, comme c’est le cas aux Etats-Unis : il faut un modèle cohérent, et ce modèle est peu envisageable en Europe.

    Le problème est que le financement bancaire est de plus en plus cher (12€ de fonds propres, donc des actionnaires à rémunérer, pour 100€ de crédits, cela augmente le coût d’intermédiation). Cela conduit à une désintermédiation progressive en Europe.