Regards d'historiens

Publié le 29 avr. 2020 Modifié le : 4 mai 2020

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Le  mercredi 29 avril 2020

Quand le travail d’historien peut aider à regarder avec sagesse et humilité le présent

Article réalisé par Marie-Christine de Riberolles—CMI Citoyenneté

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    Quand le travail d’historien peut aider à regarder avec sagesse et humilité le

     

    présent 

     

    Souvent évoquées dans les articles de presse de ces dernières semaines, les expériences des épidémies ou pandémies d’autrefois, retiennent l’attention de chacun, en ces temps où l’incertitude nous amène à chercher des réponses stables et construites. Et la tentation est grande de donner à l’Histoire, le pouvoir de nous renseigner sur les conduites à tenir et les solutions pour sortir de cette crise.

    L’histoire de l’humanité est jalonnée d’épidémies puisque les recherches des paléontologues et les premiers textes de l’humanité relatent la présence de maladies infectieuses comme la variole ou la tuberculose dès l’antiquité. Selon P Boucheron1, on peut repèrer 3 temps épidémiologiques : le temps de la peste, le temps du choléra et le temps des grippes. Ces temps se définissent comme des états d’équilibres entre une pathologie dominante, un régime politique, un état sanitaire, physiologique et psychologique des populations et peuvent se superposer. Ces temps nous indiquent l’évolution des échanges économiques et des déplacements humains ainsi que les rapports entre les sociétés humaines et leur environnement. Si le temps de la peste est celui de la récurrence du triptyque famines, guerres et épidémies dans un territoire européen fragmenté, le temps du choléra celui du contexte du capitalisme et d’une globalisation qui s’affirme, le temps des grippes est incontestablement celui de la démesure par son imprévisibilité, son volume de victimes et son caractère indomptable malgré les connaissances scientifiques de sociétés très avancées.

    Dans l’imaginaire collectif, l’épidémie est introduite par un facteur extérieur agressif comme si le territoire touché ne pouvait lui-même produire un virus ou le véhiculer. Cela explique les adjectifs associés à la détermination médicale « grippe asiatique, grippe espagnole ». Les recherches des historiens, des anthropologues, des paléopathologistes ont permis d’élaborer des hypothèses pluridisciplinaires quant aux causes génériques de ces épidémies et de comprendre en partie le mécanisme de la diffusion. C’est ainsi que l’on sait à présent que la peste de 1720, dernière épidémie en France qui a décimé 50 % de la population de Marseille et s’est répandue en Provence, était due au même pathogène (bacille Yersinia pestis) ne venant pas d'Asie, comme on le croyait jusqu'alors, mais directement responsable de la première pandémie ayant ravagé l'Europe au 14e siècle2.

    A l’inverse, nos sociétés assument moins l’idée que nous ayons été nous même à l’origine d’épidémies. Pourtant, l’européanisation du monde a eu comme corollaire l’extinction de peuples comme les indiens du Canada au XVIIe siècle suite à la malaria3.

    A ce jour, les chercheurs n’ont pas investi de la même manière, le champ d’études sur la disparition des épidémies. Bien que les conséquences en soient tracées par les démographes, les économistes, les sociologues, les géographes et les historiens, aucune explication épidémiologique des fins d’épidémies ne peut nous satisfaire.

    C’est pourquoi P Boucheron nous rappelle que « Face à ceux qui lui réclameraient un catalogue de précédents, d’analogies ou de concordances des temps, elle (L’Histoire) peut d’abord reconnaître son impuissance, ou son humilité... » Cette humilité est le début de la sagesse, une sagesse nécessaire à la reconstruction de sociétés dont l’urbanité et la sociabilité ont été brutalement immobilisées, tandis que les mémoires traumatiques de notre humanité s’écrivent et subsisteront dans le temps long de l’Histoire.

    (1) P Boucheron- En quoi aujourd’hui diffère d’hier - article de Joseph Confavreux- Médiapart—14 avril 2020

    (2) https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/la-grande-peste-de-marseille-de-1720-n-est-pasvenue-d-asie-le-bacille-tueur-etait-sur-place_104165

    (3) Encyclopaedia Universalis https://www.universalis.fr/encyclopedie/epidemies/