Les mots du confinement

Publié le 2 juin 2020 Modifié le : 28 oct. 2020

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Le  mardi 2 juin 2020

Les mots du déconfinement. Distance

Article réalisé par Gérald ATTALI, IA-IPR HG

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    Distance

    Voilà un mot auquel la pandémie aura donné une fortune exceptionnelle. Associé à l’adjectif « physique » ou « sociale », il désigne un geste barrière, le premier, et sans doute celui qui a le plus contribué à faire prendre conscience que la lutte contre l’épidémie nécessitait de nouvelles règles de proxémie. Ce n’est, toutefois, pas cet usage que l’on choisit d’éclairer, mais celui qu’il prend dans l’expression « enseignement à distance ».

    La mise en œuvre de la continuité pédagogique a reposé sur l’enseignement à distance. Inventé pour parer à la situation créée par une entrée en guerre1, l’enseignement à distance s’est imposé comme l’instrument permettant de maintenir un lien pédagogique à un moment où les écoles et les établissements devaient fermer. La plateforme numérique du CNED, Ma classe à la maison, jusque-là connue que de quelques bénéficiaires a dû s’adapter pour accueillir plusieurs millions d’élèves. La continuité pédagogique vise à « entretenir les connaissances déjà acquises par les élèves tout en permettant l’acquisition de nouveaux savoirs »2. Quels enseignements dégager de cette situation alors même que le déconfinement impose de combiner le rétablissement de la forme scolaire traditionnelle et le retour en classe de quelques élèves, avec le maintien de l’enseignement à distance ?

    L’Éducation nationale n’a pas encore produit de bilan de la mise en œuvre de l’enseignement à distance. Néanmoins, les études qui analysent les effets de la continuité pédagogique sont déjà nombreuses dans la presse spécialisée et permettent d'établir un premier bilan. À les lire, celui-ci est nettement favorable.

    Si l’on met à part les difficultés techniques d’accès au numérique, universellement dénoncées, c’est l’abondance, la variété et la qualité des ressources que les observateurs mettent en avant. Cependant, ce que la plupart pointent aussi, c’est un nouveau rapport aux apprentissages que permet d’établir l’enseignement à distance. Cette situation radicalement nouvelle conforte une posture, celle de l’enseignant dans un rôle d’accompagnateur de l’élève dans ses apprentissages, et un postulat, cher aux « pédagogies nouvelles », celui selon lequel l’élève n’apprend que s’il le veut et quand il le veut. L’autonomie, traditionnellement visée par tous les enseignements, devient nécessité avec la distance. Finalement, celle-ci faciliterait la mise en œuvre d’une « pédagogie digitale » fondée sur quelques principes simples consistant pour l’élève à apprendre en faisant (« learning by doing »), à son rythme, parfois avec l’aide de ses pairs et, finalement, sans trop de risque. Individualisation des parcours, communauté virtuelle et évaluation forcément bienveillante, parce que formative ; tels seraient les bienfaits d’une virtualisation de la classe finalement accoucheuse d’une révolution pédagogique. Tous ces bienfaits n’apportent-ils pas la preuve qu’il est possible d’apprendre en se passant de l’École ?

    Sans doute ! Et dans le contexte du confinement, l’enseignement à distance aura permis de surmonter en peu de temps l’effet de sidération consécutif à la fermeture des écoles et des établissements. C’est sa principale vertu ; il a toutefois aussi quelques limites. La principale, l’aggravation des inégalités scolaires liée aux insuffisances d’accès aux ressources numériques a été très rapidement dénoncée. Néanmoins, la « pédagogie digitale » a également d’autres faiblesses. La fréquentation des écrans ne peut totalement se substituer aux contacts qui s’établissent dans une classe et permettent d’obtenir aide, conseil, reconnaissance et, quelquefois, réprobation. L’autonomie ne peut être complète sous peine d’être confondue avec l’isolement. La profusion des ressources, si souvent louée, est un leurre si l’apprentissage n’est pas guidé. S’il est désormais possible de s’informer sur tout, l’accessibilité à une quantité phénoménale de données ne garantit ni la construction du savoir ni la qualité de la réflexion. L’École a besoin d’objectifs précis d’apprentissage, d’une transmission progressive des savoirs et des compétences, d’une vérification des acquisitions sur la base de procédures partagées et équitables.

    Il y a bien d’autres lieux où un enfant peut recevoir une éducation et être socialisé : dans la famille, dans la fréquentation des médias ou d’Internet, etc. ; et cette éducation peut avoir les atours d’une formation plus proche de la vie. Mais, il n’y a qu’à l’école qu’il peut recevoir une instruction. On peut imaginer un avenir prometteur à l’enseignement à distance, à la condition toutefois de ne jamais oublier que « s’il existe des écoles, c’est parce que la vie n’en est pas une. »3

    3Reboul Olivier, Qu’est-ce qu’apprendre ? Pour une philosophie de l’enseignement, PUF, 2010