« Qu’est-ce qu’un journaliste ? C’est un homme qui d’abord est censé avoir des idées. C’est ensuite un historien au jour le jour, et son premier souci doit être de vérité. Peut-on dire aujourd’hui que notre presse ne se soucie que de vérité ? Comme il est difficile de toujours être le premier, (…) on se précipite sur le détail que l’on croit pittoresque ; (…) la rédaction fait appel à l’esprit de facilité et à la sensiblerie du public. On crie avec le lecteur, on cherche à lui plaire quand il faudrait seulement l’éclairer¹.» Ces mots qui résonnent particulièrement aujourd’hui sont pourtant ceux d’Albert Camus, en 1944. « Eclairer », voilà ce qu’ont souhaité faire de nombreux élèves accompagnés par leurs professeurs pendant ce confinement. Comment ? Par le biais de l’EMI, l’éducation aux médias et à l’information. Et quelle meilleure pédagogie que de rendre les élèves acteurs pour comprendre le fonctionnement de l’information et des médias ? C’est cette démarche qui est à la base de la réussite de nombreux projets menés au cours de cette période : notons parmi d’autres la web-tv du collège Jean Lurçat de Brive², celle du collège de Sèvre dans les Hauts-de-Seine³, le journal Confiné du collège Edgar Quinet dans l’académie d’Aix-Marseille⁴ ou encore la web-radio CDS du LP Schuman à Avignon⁵. Tous ont proposé « d’éclairer », de rendre compte d’une période singulière avec le souci de la vérité, de la sincérité. Un autre projet media a cependant retenu notre attention, un projet qui, quelques heures avant que la population ne se claquemure, a réuni les élèves de la classe de 1ère Bac Pro Maintenance nautique du lycée des métiers de l’Estaque, à Marseille. Zakari, Angel, Alexandre et El Fayed ont les mains dans le moteur. Ils sont en tenue de travail. Autour d’eux, quatre caméras, une régie, un public nombreux, un décor installé au cœur de leur atelier transformé pour quelques heures en « un lieu de culture ». C’est dans ce cadre que va être enregistré le MAG’ de l’Estaque. Les élèves nous accueillent pour une émission de 45 minutes rythmée par de nombreux reportages et des interviews avec des spécialistes : journalistes, dessinateurs, réalisateurs…. Ils interrogent des problématiques qui les touchent… et qui nous touchent. La démarche citoyenne est une réussite, son contenu aussi. Retour sur ce très beau travail d’EMI (éducation aux médias et à l’information) exigeant, chronophage et source de fierté réalisé par ces apprentis-journalistes et leur professeur de lettres-histoire Nicolas Voisin. Le premier sujet est lancé par quatre présentateurs en chemise blanche amidonnée : le FIDEP, le Festival International de la caricature, du dessin de Presse et de la satire de l'Estaque. Le fil rouge de l’exposition cette année : « Tous migrants ». Nous voyons ces élèves, dans ce jeu de miroirs incessant, s’interroger et nous interroger, accueillir et être accueillis. Expositions et ateliers à l’espace Mistral de l’Estaque. Rencontres et débats au lycée. Thierry Barrigue, dessinateur caricaturiste, nous explique qu’il souhaite « partager sa passion et […] transmettre l’idée de la démocratie, du dessin de presse et de ce que cela représente ». Le retour au plateau est le moment d’échanges particulièrement poignants avec Fathi Bourayou, fondateur du FIDEP. Menacé et poursuivi dans son pays, ce dessinateur de presse algérien revient sur les raisons qui l’ont poussé à fuir son pays et créer ce festival : la mort de ses amis journalistes, la soif de liberté. Ému, il se remémore les attentats de janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo devant une assistance captivée. Deuxième sujet : l’usine Scop-Ti (ex Fralib) ou comment illustrer l’enseignement du sujet d’étude, en histoire, « Être ouvrier en France de 1830 à 1975 » ? Les élèves se sont déplacés dans cette usine située à Gémenos qui produit le thé « 1336 ». Si le sujet n’oublie pas de souligner la diversité du monde ouvrier, la spécificité de ce mouvement, il met aussi en évidence la prise de conscience des employés face à la fermeture annoncée de leur usine. L’enseignement de l’histoire fait pleinement sens et permet de mieux comprendre Carmaux, la conscience de classe qui se forme, les grèves de 1936, les bouleversements qui font suite à la Seconde Guerre mondiale, l’impact de la mondialisation… Un lien se tisse de 1830 à nos jours. Le réalisateur Claude Hirsch et le journaliste Franck Weil-Rabaud répondent ensuite aux questions des élèves sur le plateau. Tout est parfaitement orchestré, pétri de professionnalisme et de sérieux. Un reportage sur le concours de pétanque, véritable institution dans l’établissement estaquéen, et sur le futsal vient clore ces 45 minutes d’émission. Au final, c’est une belle leçon d’éducation aux médias qui a été donnée par ces élèves du lycée des métiers l’Estaque. Dans la lignée de ce qui a déjà été fait dans cet établissement par « Les petits Estaquéens » en 2017. Finalement, engager ses élèves dans des activités de production et de diffusion de contenus, c’est leur permettre de prendre conscience des problématiques liées à la fiabilité des sources, à l’interprétation et la construction de l’information. Espérons que cette émission – disponible sur le site de l’établissement⁶ - donnera les moyens aux élèves et à leurs professeurs d’en produire d’autres toutes ouvertes sur l’Autre et symboles de cette école capable de sortir de ses murs pour mieux s’ouvrir à la citoyenneté.

1 Jacqueline Lévi-Valensi (éd), Camus à « Combat ». Éditoriaux et articles d'Albert Camus (1944-1947), éditions Gallimard, 2002.

2 https://www.youtube.com/channel/UCxNmqely9cpCNM5ZWMWNBlw

3 http://www.clg-sevres.ac-versailles.fr/spip.php?article1520

4 http://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10780120/fr/le-journal-confine-du-reseau-edgar-quinet

5 https://cdsradio.jimdofree.com/

6 http://www.lyc-estaque.ac-aix-marseille.fr/spip/spip.php?article935