Témoignages

Publié le 13 sept. 2020 Modifié le : 4 oct. 2020

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Le  dimanche 13 septembre 2020

Témoin dans le retour vers la normalité

Marie-Christine de Riberolles

  • Visuel Marie-Christine de Riberolles

    Témoin dans le retour vers la normalité

     

    23/05/2020

    Après l’effroi de l’entrée dans la crise et le pic de l’épidémie avec son flot de mortalité quotidienne, le confinement qui a réduit nos libertés puis la progressivité du déconfinement, voilà que s’annonce une nouvelle étape, celle de la reprise d’une vie dite normale.

    Préparée par la presse nationale depuis plusieurs jours, cette annonce du gouvernement provoque un certain étonnement quant à sa libéralité. Nous étions entrés en guerre, avons participé à un combat national en prenant soin des autres, et voilà qu’à présent, il nous faut reprendre notre vie là où nous l’avions laissé, dans nos espaces de travail, dans nos lieux de loisir, dans nos choix de vacances. Si les indicateurs statistiques de notre pays permettent une telle décision, si la raison l’explique, notre sentiment national, lui, est incertain. Comment entrer dans l’après-guerre, sans avoir goûté à la Victoire ?

    Cette annonce a suscité chez moi, un sentiment d’inquiétude. Faire face au virus, par des mesures nationales où chacun était impliqué et où la cause des malades était portée par tous, me paraissait une évidence qui nous fortifiait dans notre identité citoyenne. L’empathie envers le corps médical, la compassion envers les malades permettaient de mettre au cœur de nos relations, la crise sanitaire. La relance de la vie économique, sociale et touristique, sur la base d’une amélioration de la situation sanitaire, renvoie les Français à leur individualité : reprendre le chemin du travail ou le souci du chômage, envisager des vacances ou un changement de logement pour assumer les baisses de revenus, revenir à l’Ecole, consommer ou épargner…telles seront les conversations des semaines prochaines. Déjà, peu à peu, nous avons abandonné de regarder les chiffres des décédés. Nous nous écartons des souffrances de ceux qui sont touchés. Nous fermons nos oreilles à la détresse de ceux qui ne se relèvent pas de la maladie, du deuil, de l’épuisement. Cela signifie que les nouveaux contaminés nous intéressent moins. Nous entrons dans la mentalité du « pas de chance ». C’est ainsi que l’usage populaire décrit les situations inexpliquées. Dans le cas précis, d’une épidémie dont la contagion est difficile à déterminer, la minorité touchée sera considérée comme « des perdants ». La Victoire sera celle des résistants au virus. Se gloseront, les plus rebelles aux gestes barrières qui montreront leur force de ne pas être vaincus.

    Je connais parfaitement ce que signifie « être dans la minorité statistique ». L’annonce empesée du grand spécialiste qui vous annonce l’anomalie terrifiante de votre enfant, argumentée du « il n’y a que 0.5% de cas en France ». Certes, 99.5 % des enfants sont en bonne santé ce qui me réjouit mais ce 0.5% est injuste. C’est ce qu’exprime souvent les porteurs de maladies génétiques rares. Le « pas de chance » se cache et intéresse peu. Il induit des réactions étranges lors des échanges : une réaction compassée, une envie de fuir pour éviter d’être touché soi-même, un regard supérieur de ceux qui y ont échappé. Le « pas de chance « touche aussi la réussite professionnelle. Tandis que vous léchez vos plaies, d’autres ont trouvé les opportunités, d’autres ont su se préserver pour réussir. Pour rebondir et reprendre une vie normale après un deuil, une maladie ou des problèmes personnels, il faut croire à ses seules forces car les mains tendues seront rares. Une question se pose à moi : Hormis, le suivi des services sociaux, qu’adviendra t’il des professionnels de notre institution, touchés par le virus dans l’exercice de leurs fonctions ? Comment seront accompagnés ceux qui ont été engagés aux premières heures du confinement pour accueillir en classe, soutenir les élèves mais aussi des familles endeuillées ? Comment allons-nous aider les « pas de chance » ?

    07/06/2020

    Le contexte de cette 2e phase de déconfinement, a fait resurgir de ma mémoire, la lecture d’une vie cachée d’Etty Illesun. Elle y décrit dans un passage, la forme d’insouciance qu’elle observe autour d’elle, alors qu’elle voit le pire se préparer et expose avec sagesse, son évolution intérieure face à la montée du péril qui la conduira à mourir à Auschwitz. Je retrouve dans l’atmosphère actuelle, une partie de cette insouciance généralisée sur fond de crises latentes. Avons-nous vraiment évolué pendant le confinement ? J’en doute. Ceux qui se sont tus pendant de longues semaines, sont aujourd’hui les plus actifs à vouloir produire et engager un rythme effréné : réunion, organisation, projets…tout reprend avec force. Dans quel but ? Pourquoi certains ont-ils besoin de maintenir artificiellement le monde d’avant ?

    La crise du coronavirus a mis en avant le courage. Celui des soignants, des métiers de l’ombre, des accompagnants et de ceux qui ont maintenu en télétravail, jour après jour, leur activité. Je me souviens du sentiment d’abandon que j’ai ressenti pendant une semaine en mars, alors que j’ouvrais ma boîte de messagerie vide. Chaque jour, face à ce vide, je me mobilisais intérieurement pour construire une nouvelle journée de travail en anticipant des activités, produisant une réflexion nécessaire pour l’avenir. Cette mobilisation quotidienne a été une force pour traverser avec sérénité les évènements. Outre, l’avancement de nombreux dossiers, elle m’a permis de constater ce qui était essentiel dans ma tâche professionnelle et ce qui alimentait les moulins à vent. Les leaders du monde de demain seront ceux qui auront su développer et montrer leur courage dans les moments sombres du mois de mars.

    Arriverons-nous à continuer à nous préserver et à utiliser les gestes barrières ? J’en doute fortement. A chaque week end du mois de mai, les distanciations, notamment dans les champs amicaux et familiaux se sont rapprochées. Plus nous retrouvons avec plaisir, ceux que nous aimons, plus, la distance à maintenir est brisée. Avec la chaleur, le port du masque se raréfie. Notre bonne volonté est laminée par la réalité de l’étouffement dans le masque, de la différence des rapports sociaux qu’il induit et de l’entravement que cela implique dans nos gestes. Chaque jour, nous lâchons un peu plus les contraintes que nous nous étions fixées. Cela est bien visible dans les services et les bureaux. Derrière le protocole annoncé, chacun décline sa version, laissant le masque sur une oreille, s’approchant un peu plus, restant longuement dans les couloirs…Plus la vie du service reprend, plus nos réflexes antérieurs réapparaissent. Et plus nous retrouvons un rythme accéléré dans nos actions quotidiennes et le stress du travail, plus les gestes barrières deviennent impossibles.

    Ayant la chance de vivre en maison à la compagne, les visites se sont annoncées dès les premières heures du déconfinement. Les marseillais et les aixois sont venus les premiers, heureux de bénéficier de verdure et de calme après les mois d’enfermement dans les appartements. En qualité de maîtresse de maison, j’ai mis en place tous les moyens nécessaires au maintien des gestes barrières : nombreux points pour se laver les mains, éloignement des chaises à table, présentation de plats individuels etc… Un mois après, je peux dire que je me sens bien seule à respecter cette prophylaxie. Chacun justifie à sa manière, son accommodement des règles sanitaires : le virus est moins présent, moins intense... Sommes-nous vraiment égaux dans notre capacité à nous adapter à des contraintes et à les accepter au nom de l’intérêt collectif ?

     

    12/06/2020

    Au sortir de ces mois « terrés » dans nos domiciles, centrés sur nos peurs et nos vies, il nous faut ouvrir les yeux sur le monde. Crises économiques, alimentaires, montée des tensions internationales, durcissement des oppositions dans les démocraties, discriminations…le covid 19 n’a fait que renforcer ce qui était latent à toutes les échelles (dans les couples, les familles, dans les gouvernements, les sociétés etc…). Dans notre institution scolaire, il a fait ressurgir les problématiques humaines et professionnelles. La question écologique est devenue moins urgente alors que les précautions sanitaires ont renforcé l’utilisation du jetable. La rentrée scolaire, d’ores et déjà questionne sur la capacité de nos structures à s’engager dans la nouveauté. A expérimenter le plaisir de retrouver ses collègues de travail, il est possible de dire que l’enjeu de demain sera de réinventer le collectif, avec un management adapté. Cela signifie qu’il faut former et réapprendre ce collectif comme un formidable rempart au malheur. La jeunesse déjà nous montre la voie, en créant des occasions de se retrouver autrement.

    Alors que je clôture ces 3 témoignages, et bien que ma nature optimiste me laisse croire en des changements profonds de notre société, je dois avouer que je suis sceptique devant l’amnésie, l’individualisme et le peu de visée prospective de beaucoup de ceux qui ont, entre leurs mains, les moyens de transformer et revitaliser. Si je reste persuadée que c’est à chacun d’œuvrer, je sais aussi que seuls, certains engagements professionnels et politiques permettent d’activer les leviers du changement. J’ai le regret d’avoir eu la faiblesse de ne pas me situer à un niveau de responsabilité qui le permettrait aujourd’hui. Humble témoin dans une période si mouvementée, petit rouage dans un monde si bouleversé, femme fortifiée par les aléas de la vie, j’espère que la lecture de ces écrits aura pu rejoindre vos propres questionnements, vos regards ou susciter des réactions qui amènent au débat, si vivifiant et nécessaire dans une démocratie qui se cherche.

    Si vous êtes arrivés à cette dernière ligne sans vous perdre, je vous remercie infiniment de votre lecture dont je suis très touchée.

     

    Marie-Christine de Riberolles