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Publié le 6 janv. 2021

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Le  mercredi 6 janvier 2021

Une brève histoire juridique de la laïcité scolaire

Yann Buttner, responsable du service juridique. Eric Rusterholtz, référent académique laïcité

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    Une brève histoire juridique de la laïcité scolaire

     

    Yann Buttner, responsable du service juridique

    Eric Rusterholtz, référent académique laïcité

     

    La laïcité est un principe phare de notre République, indissociable de la notion de Fraternité. Pour autant, aucune définition concrète ne lui a jamais été donnée. L’École a joué un rôle majeur dans l’émergence et la mise en œuvre de ce principe.

     

    La laïcisation de l’École: prélude et condition de la laïcité.

     

    La commémoration du 9 décembre est récente. Initiée par une résolution du Sénat en 2011, elle a été intégrée dans le calendrier des actions éducatives après les tragiques événements qu’a connus la France en janvier 2015. Cette référence confère au vote de la séparation des Églises et de l’État, le 9décembre 1905, le caractère d’une loi fondatrice.

    Art. 1: « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.»

    Art. 2: « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Un principe qui n’est pas rigide et admet des exceptions: « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».

    Cependant, cette loi est l’aboutissement d’une réflexion sur les relations entre la religion et la politique qui débute avec la Révolution française et trouve une première traduction dans deux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée le 26août 1789 :

    Art. 10: « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

    Art. 11: « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

    La volonté de fonder une éducation pour des citoyens libres et égaux a incontestablement permis d’initier puis d’élargir cette réflexion. Nicolas de Condorcet, mathématicien, philosophe des Lumières et député, a proposé dans son Rapport sur l’instruction publique un plan d’instruction des garçons et des filles, affranchi de tout dogmatisme politique ou religieux, car fondé sur la raison critique. Si son plan ne fut pas adopté, celui-ci posait néanmoins les bases d’un enseignement laïque. Celui-ci a vu le jour avec la IIIe République et l’institution d’un enseignement primaire gratuit et obligatoire. Le processus de laïcisation débute dès 1880 avec le vote d’un certain nombre de lois scolaires, mais c’est la Loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire, dite loi Goblet, qui achève complètement de le réaliser :

    Art. 17: « Dans les écoles publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque ».

    L’adjectif laïque prend ici son sens premier: « n’appartenant pas au clergé ». Les instituteurs et institutrices sont désormais des fonctionnaires. La laïcisation de l’École a été un terrain privilégié d’expérimentation de la laïcité. En conséquence, la Constitution de la Ive République, adoptée le 27 octobre 1946, reconnaît que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». Le principe de laïcité acquière alors valeur constitutionnelle et se trouve renforcé dans la Constitution de la Ve République du 4 octobre 1958 :

    Art. 1: « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

    Le principe de laïcité fait désormais pleinement partie du bloc de constitutionnalité.

     

    La laïcité scolaire: renforcement des principes et adaptation aux transformations de la société

     

    Contrairement à une idée reçue, la loi de 1905 a été plusieurs fois modifiée sans toutefois que l’équilibre et le sens n’en soient changés. De la même manière, la laïcisation de l’École a bénéficié d’ajustements soit pour conforter l’esprit de la laïcité scolaire, soit pour l’adapter aux évolutions de l’École et de la société.

    Les circulaires du ministre de l’Instruction scolaire du gouvernement de Front populaire, Jean Zay, relèvent manifestement du premier cas. Dans la continuité de l’action entreprise depuis Jules Ferry, le ministre rappelle la nécessité de conserver à l’École son caractère de sanctuaire en mettant les enfants à l’abri de toutes les tentatives de manipulation politique ou religieuse :

     

    « Tout a été fait dans ces dernières années pour mettre à la portée de ceux qui s’en montrent dignes les moyens de s’élever intellectuellement. Il convient qu’une expérience d’un si puissant intérêt social se développe dans la sérénité. Ceux qui voudraient la troubler n’ont pas leur place dans les écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas. » Circulaire du 31décembre 1936

    « (...) Il va de soi que les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements, je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance. » Circulaire du 15mai 1937

     

    À la fin des années 80, la société est confrontée à un certain nombre d’affaires qui posent la question du voile islamique dans les classes. Les controverses suscitées par ces affaires donnent lieu à une intense activité juridique qui a pour but de tenir les élèves à l’abri de toute tentative de manipulation des esprits, sans remettre en cause les fondements de la loi de 1905 : la liberté de conscience et la neutralité des agents publics. On peut suivre dans les textes qui définissent ce que sont les signes religieux et l’attitude qui doit être celle de l’École à leur égard, la maturation progressive d’un principe de discrétion.

    Dans son avis du 27 novembre 1989, le Conseil d’État énonce d’abord la règle: « Les élèves ont le droit de porter des signes par lesquels ils manifestent leur appartenance à une religion » (suivant en cela le principe de liberté d’expression) ; puis fixe un certain nombre de limites au port de ces signes1 ; confie enfin l’appréciation des limites de la règle aux directeurs et aux chefs d’établissements, responsables de l’ordre dans l’établissement, sous contrôle du juge administratif. Les établissements scolaires peuvent réglementer le port des signes si cela est nécessaire selon leur contexte donné dans le respect de la loi. La procédure est précisée, puis affinée dans une série d’instructions ministériels. Sur la base de l’avis du Conseil d’Etat, la circulaire Jospin du 12 décembre 1989 charge l’équipe éducative, les directeurs d’école et les chefs d’établissement du soin d’évaluer si un signe pose problème ou pas: « le caractère démonstratif du vêtement ou des signes portés peut notamment s’apprécier en fonction de l’attitude des propos des élèves et des parents. » En cas de conflit, les chefs d’établissement et les équipes éducatives doivent engager un dialogue avec le jeune et ses parents pour qu’il renonce au port des signes « dans l’intérêt de l’élève et le souci du bon fonctionnement de l’école», avoir d’abord « recours à la persuasion plutôt qu’à la contrainte, en appréciant la situation concrète et son contexte»; enfin, si le conflit persiste « au terme d’un délai raisonnable», faire appliquer les règles de laïcité dans l’école « selon les procédures de droit» et sous contrôle du juge administratif.

    À la faveur de l’affaire Kherouaa2, le Conseil d’État a redéfini le rôle des règlements intérieurs d’établissement dans une décision prise le 2 novembre 1992. Le règlement intérieur des établissements scolaires n’est plus une simple mesure d’ordre intérieure. Il devient une « mesure faisant grief » c’est-à-dire une mesure susceptible d’être attaquée devant le tribunal administratif. L’interdiction générale et absolue de tout signe distinctif imposée par un règlement intérieur est illégale ; elle serait contraire à la liberté d’expression des élèves.

    Il revient au ministre Bayrou d’avoir indiqué d’abord dans une première circulaire en 1993 que « L’assiduité aux enseignements obligatoires s’impose à tous [...] » et que « seules des raisons médicales, dûment constatées, peuvent justifier qu’une dispense soit accordée pour les cours d’éducation physique. Aucune autre dérogation ne peut être admise. »

    La seconde circulaire, en 1994, revient sur la question des règlements intérieurs. Elle propose d’inscrire l’interdiction des « signes ostentatoires » dans le règlement intérieur, tout en tolérant les signes « discrets» (rappel CE 1989) et conforte la procédure qui repose sur l’information des parents et aux élèves en vue d’expliquer que « La République est, par nature, respectueuse de toutes les convictions (...) », mais « exclut l’éclatement de la nation en communautés séparées, indifférentes les unes aux autres, ne considérant que leurs propres règles et leurs propres lois, engagées dans une simple coexistence. [...] »

    À bien des égards, la loi du 15mars 2004 dite «sur le respect de la laïcité» revient sur les principes dé-gagés par les circulaires dites « Jospin » et « Bayrou », et traduit l’expérience désormais acquise par l’institution scolaire dans le traitement du « port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ». Cette loi, restrictive des droits, qui doit être d’application stricte dispose :

     

    « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

     

    Transposée dans l’article L.141‐5‐1 du Code de l’éducation, cette loi a permis d’atténuer les difficultés rencontrées dans les établissements et peu de contentieux ont été générés par ce texte. Enfin, la loi a été acceptée par l’ensemble de la communauté éducative.

    Suite à un jugement du TA de Montreuil, la question des accompagnateurs en sortie scolaire a fait l’objet d’une circulaire importante en mars 2012 (circulaire Chatel). Elle a tenté d’étendre le principe de l’interdiction du port de signes aux parents. Le Conseil d’État a rendu un avis rappelant que les parents d’élèves ne pouvaient pas être légalement soumis aux « exigences de neutralité religieuse»applicables aux agents du service public.

    Le principe de laïcité est toujours en réflexion et en évolution; il demeure un principe essentiel à la fraternité, pilier de notre République trop souvent mis à mal.

     

     

    1. Ces signes ne doivent pas constituer un acte de pression/provocation/prosélytisme/propagande ; porter atteinte à la liberté/la dignité de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative ; poser un problème de santé ou de sécurité ; perturber le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants ; troubler l’ordre de l’établissement ou le fonctionnement normal du service public.

    2. https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/1992-11-02/130394