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Publié le 6 janv. 2021

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Le  mercredi 6 janvier 2021

Réflexions sur la laïcité

Evelyne Bechtold, IA-IPR de philosophie et référente.

  • Crédits Jebulon

    Réflexions sur la laïcité

    Les débats qui agitent la société française à l’heure actuelle sont pour une part déjà présents lors des discussions ayant précédé et entouré l’adoption de la loi du 9 décembre 1905. Quand on lit les transcriptions des débats, on constate que deux conceptions — au moins — de la laïcité s’opposent : faut-il contrôler étroitement les Églises, en s’inscrivant dans la logique du concordat napoléonien, et faire par exemple des prêtres des fonctionnaires comme les autres ? Ou séparer, ce qui signifie mettre fin de façon radicale au pouvoir des Églises dans la sphère publique, mais aussi garantir la liberté religieuse ?

    L’ordre des articles de la loi indique clairement de quel côté la balance a finalement penché. La première disposition votée affirme que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Laïcité rime avant tout avec liberté. Ce n’est qu’après que la loi dispose que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

    La loi de 1905, « juste et sage » selon les mots de Jaurès, est une loi d’apaisement, dans une période d’affrontements violents entre l’Église catholique et les anticléricaux. C’est aussi et surtout une loi de liberté.

    Liberté religieuse et neutralité de l’État

    Contrairement à une idée encore répandue, la loi du 9 décembre 1905 ne renvoie pas les religions à l’espace privé. Elle établit au contraire dès le premier article le droit à pratiquer un culte et à manifester ses croyances, dès lors que cela ne nuit pas à la paix civile. Cette liberté est en revanche bornée par la nécessité de traiter tous les citoyens français de la même façon, quelles que soient leurs croyances ou absence de croyance, et pour cela l’État et ceux qui le représentent doivent respecter une stricte neutralité. C’est ainsi que les fonctionnaires qui ont affaire au public ont l’interdiction d’arborer un signe religieux, quel qu’il soit. Cette interdiction traduit le fait que l’État ne reconnaît aucun culte, ce qui ne signifie pas qu’il ne les accepte pas, bien au contraire, mais qu’il ne reconnaît aucune religion comme étant une religion d’État. L’État ne reconnaît aucun culte, et par cette neutralité active, tous les citoyens, quelles que soient notamment leurs options religieuses, sont égaux devant la loi.

    La stricte neutralité des représentants de l’État est donc garante de l’égalité de traitement des citoyens. Cette neutralité ne concerne pas les élus, qui sont désignés en connaissance de cause par le vote, et qui peuvent à l’occasion être des religieux, comme le fut par exemple l’Abbé Pierre, élu député de Meurthe-et-Moselle en novembre 1945. Elle ne concerne pas non plus les usagers du service public, qui eux, ne représentent pas l’État, et sont donc libres de porter les signes religieux qu’ils souhaitent, à l’exception du voile intégral interdit en 2010 pour des raisons de sécurité publique. Les élèves des écoles et des établissements secondaires, en raison de leur jeune âge, sont considérés comme influençables. C’est pourquoi la loi de 2004 interdit le port des signes religieux ostensibles au sein des établissements scolaires primaires et secondaires, ce qui n’est pas le cas à l’Université, qui scolarise des adultes.

    Mais de quelle liberté parle-t-on ? Si l’ensemble des citoyens est favorable à la liberté religieuse, il est parfois difficile pour nos concitoyens d’accepter les expressions religieuses différentes de celles dont ils ont l’habitude, de la même façon d’ailleurs qu’on peut éprouver un rejet à l’égard d’une nourriture ou d’une pratique sexuelle qui ne sont pas les nôtres.

    La devise de la République française lie liberté et égalité, comme le fait la loi du 9 décembre 1905, en affirmant la liberté dans son premier article et l’égalité dans le deuxième. Tenir ensemble ces deux principes est un enjeu essentiel de la laïcité française.

    Histoire et étymologie, deux approches contrastées

    L’approche historique du sens de la laïcité met en lumière l’aspect libérateur de la laïcité : l’État accepte, garantit même, la libre expression des cultes, tant qu’elle ne trouble pas l’ordre public. Dans cette approche, on met en avant la progressive autonomisation du pouvoir politique par rapport à l’Église catholique. L’autonomie permet la sécularisation, qui se traduit par exemple par l’acceptation du pluralisme religieux.

    Si l’on privilégie une approche étymologique et la filiation avec le laos grec, on va insister davantage sur le fait que la laïcité requiert l’égalité. En considérant le laos comme un tout indivisible où nul n’a une charge particulière, comme un peuple d’égaux où nul ne domine ni n’est dominé, on met l’accent sur l’idée d’une liberté des égaux. La priorité est dès lors de garantir cette absolue égalité des membres du corps social, sur le plan juridique, matériel et symbolique.

    La laïcité, liberticide ou créatrice de liberté ?

    La difficulté à s’entendre sur ce que signifie l’idéal laïque, la difficulté qu’on peut avoir aussi à l’expliciter à l’étranger, est sans doute liée à cette tension. Les Anglo-saxons notamment sont tenant d’une conception de la laïcité libérale, caractérisée par le pluralisme et la tolérance. Ils considèrent comme liberticide une laïcité dont l’acteur principal serait l’État.

    Un court détour philosophique peut éclairer cette opposition. Pour le philosophe anglais John Locke, la priorité de tout contrat social est de protéger la liberté naturelle de chaque citoyen. L’objectif de Locke est de trouver un moyen d’empêcher que le pouvoir de l’État ne s’étende au-delà du nécessaire en matière de bien public, c’est-à-dire de l’empêcher de porter atteinte aux droits naturels de chacun sous prétexte d’intérêt général.

    L’État est donc destiné à donner une consistance juridique et à offrir la protection de la force publique à des droits pré-politiques. Cela implique que si l’État porte atteinte aux droits individuels ou exige plus que le bien public ne le nécessite, alors il rompt de fait le contrat, ce qui autorise en retour les individus à se révolter.

    Cette forme de régime correspond à ce que Hegel appelle l’État extérieur, c’est-à-dire extérieur à la vie sociale, qui n’y intervient que comme régulateur des conflits sociaux et comme protecteur des droits que les individus ont indépendamment de lui.

    Cette conception des rapports entre liberté et État est encore prégnante aux Etats-Unis, où la vie privée et la vie professionnelle sont centrales et la vie publique et politique secondaires. Leur conception des rapports entre l’Etat et les religions repose avant tout sur la tolérance et le respect du pluralisme religieux, comme on peut le voir dans la Constitution américaine. Le rôle de l’État n’est pas d’engendrer des semblables, mais de protéger les libertés des individus.

    La société française est davantage marquée par l’idée de Rousseau d’une communauté des égaux. Sa conception du Contrat social a pour but de préserver la liberté de chacun, aussi longtemps qu’il écoute la voix de sa raison. Mais puisque chacun a cédé à la communauté l’ensemble de ses droits, nul ne peut faire valoir des droits individuels contre la volonté générale. Dans cet État, c’est le droit qui crée la liberté, et l’égalité est la condition d’existence de la démocratie. Cette conception est inaudible pour les héritiers de Locke, qui voient parfois en Rousseau un théoricien du totalitarisme et dans la « laïcité à la française » une atteinte insupportable aux libertés des individus et des communautés.

    Égalité de principe ou égalité réelle ?

    Mais cette égalité, condition de la démocratie, est-elle effectivement garantie par l’État ? N’est-il pas, comme le dit Marx, un instrument de domination au service de la classe dominante ? Comment parler d’égalité réelle quand les inégalités sociales sont si grandes ?

    Cette interrogation peut aussi concerner le système représentatif actuel. Peut-on maintenir que tous les citoyens sont égaux quand les lois sont votées par une assemblée nationale, et plus encore un sénat, dont les élus sont très majoritairement blancs, de culture chrétienne, masculins, notables, etc. ? Certes, les élus représentes tout le corps social, indépendamment de leurs particularités, et une loi est une loi quand elle s’applique à tous de la même façon. Mais quand ceux qui la rédigent et la votent ne semblent pas directement concernés par son application, cela soulève un certain nombre de difficultés et peut rendre peu crédible l’idéal républicain d’égalité. Le sentiment d’injustice vient peut-être moins de la loi elle-même que du sentiment que les uns légifèrent sur les autres.

    La crédibilité de la laïcité comme outil de liberté passe par son efficacité dans la lutte contre les discriminations, afin que l’égalité qu’elle promeut soit réelle et non fictive.

    La raison à l’épreuve de la dictature de l’émotion

    Enfin, le Contrat social est un accord dans lequel la raison de chaque être humain lui permet de vouloir ce qui est bon pour le corps social tout entier, même si cela peut lui nuire dans un premier temps. Payer des impôts est bon pour le groupe, désagréable de prime abord pour l’individu, mais bénéfique finalement puisqu’il profitera par exemple de la gratuité des services publics. Mais dans une société dominée par les réseaux sociaux, où règne la tyrannie de l’émotion, il est plus facile de séduire que d’argumenter. Comment rendre « la raison populaire » selon les mots de Condorcet, une raison nourrie et éclairée par les émotions partagées, mais toujours soucieuse de vérité et de justice ? La liberté des égaux a besoin de l’école, une école où l’esprit critique et le respect de chacune et chacun s’enseignent et se vivent.