Chères et chers élèves,
Il faut l’avouer, nous avons conçu ce numéro de Liens citoyens en le destinant à vos professeurs ainsi qu’à toutes celles et à tous ceux qui interviennent à leurs côtés dans une école ou un établissement. Mais au moment de le clore, il nous est apparu qu’il était impossible de le diffuser sans qu’on ait sollicité, même un peu, votre intérêt pour un sujet, l’égalité des sexes, qui vous touche depuis la tendre enfance et pourrait encore plus vous concerner dans l’avenir ; que vous soyez une fille ou un garçon. C’est pourquoi cette lettre vous est destinée.
Le monde dans lequel vous grandissez et où vous serez un jour des adultes a bien changé et, à bien des égards, dans le bon sens pour ce qui concerne l’égalité filles-garçons. L’école en est largement responsable. Au siècle dernier, les préjugés qui limitaient l’accès des filles aux mêmes enseignements que ceux des garçons ont été en partie levés ; de nos jours, elles réussissent mieux qu’eux. Contrairement à leurs aînées, elles peuvent librement imaginer leur avenir professionnel et prétendre à un salaire qui leur assure une indépendance financière et l’égalité avec les garçons. Cette évolution a été aussi rendue possible grâce aux progrès médicaux qui permettent aux couples de contrôler les naissances. La contraception repose encore aujourd’hui largement sur les femmes ; elle a permis de faire reculer une peur ancestrale enfouie au plus profond des individus, celle d’une grossesse non désirée. Ainsi, les traditions qui maintenaient les femmes dans la dépendance financière et la soumission à leur mari ont désormais beaucoup reculé.
Mais pourquoi vous faudrait-il défendre cet héritage ? Vos professeurs vous apprennent généralement tous les avantages qui découlent de l’application dans les pays pauvres de ce droit humain fondamental qu’est l’égalité des sexes. Le principal bienfait est la scolarisation des petites filles qui fait généralement reculer la fécondité et la pauvreté. La protection des acquis liés à ce droit s’impose également à vous qui vivez dans un pays riche et développé. C’est que contrairement à une idée reçue, certaines inégalités dans un pays comme le nôtre persistent, tandis que de nouvelles apparaissent.
Parmi celles qui persistent et qui sont aujourd’hui bien identifiées, il y a la sous-représentation des femmes dans la vie politique. Des progrès ont bien été réalisés, mais ils demeurent insuffisants. Les laisser perdurer c’est continuer d’admettre que le féminin serait moins important et efficace que le masculin. C’est inacceptable comme l’est encore la répartition très inéquitable des tâches ménagères. Certains chercheurs affirment même que le maintien de cette inégalité dans les familles conduit très tôt les petites filles à ne pas se donner des ambitions professionnelles aussi grandes que celles des garçons. Et puis il y a les nouvelles injustices produites par l’évolution de l’économie et de la société. Quand l’emploi est rare, comme c’est le cas depuis quelques années, ce sont les femmes qui sont plus souvent victimes du chômage. À travail égal, elles sont moins bien payées que les hommes et leur situation s’aggrave de manière considérable si les couples se défont.
On comprend tout l’intérêt que les filles ont à défendre l’égalité puisque si ce droit leur est contesté, elles peuvent en souffrir dans leur vie de femmes. Mais quel est l’intérêt des garçons à le faire aussi ? La protection des libertés des filles ne risque-t-elle pas de diminuer celles des garçons ? Penser ainsi conduit à opposer les hommes et les femmes, à imaginer que leurs libertés pourraient être fondamentalement différentes ; comme s’ils constituaient des groupes se disputant une domination et à perdre de vue la nécessaire solidarité qui de toute façon les unit à chaque moment de la vie. Ce fut pendant des siècles une manière de concevoir la société et de justifier l’inégalité par une prétendue supériorité naturelle des hommes sur les femmes. En faisant de l’égalité un droit fondamental, la Révolution française a rendu impossible — et inacceptable — tout retour à une telle situation. L’égalité est une condition de la liberté, définie comme un droit naturel qui n’a d’autres bornes que celles définies par la loi et qui permet de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.
Vos professeurs vous enseignent tout cela et vous aident à préférer le savoir à l’ignorance, la solidarité à la domination, le respect mutuel à l’arrogance. Mais la persistance des inégalités vous impose la vigilance à l’égard de ces préjugés dont on a beaucoup de mal à se défaire et qui laissent entendre qu’il y aurait des qualités qui prédestineraient les filles à ne réussir que dans des « métiers de filles » et les garçons dans des « métiers de garçons ». Non, des filles peuvent aussi faire d’excellents officiers de l’armée de terre et des garçons se passionner pour le métier de sage-femme ; les métiers n’ont pas de sexe.
Au moment de conclure cette lettre, je voudrais vous rappeler que si toute une tradition laisse penser que c’est à l’âge adulte que l’on devient responsable, elle n’est qu’en partie vraie. C’est dès le plus jeune âge, à l’école, et plus encore au collège et au lycée que chacune et chacun apprend à se connaître, à se respecter et à accepter la liberté de l’autre.
C’est sans doute l’un des plus importants apprentissages de la vie que vous ferez !