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2014

Publié le 16 nov. 2014

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Le  dimanche 16 novembre 2014

Disparités H. / F.

Cr Jéco 2014. L. Auffant

  • Jéco 2014

    Vendredi 14 Novembre 2014 – 14h-15h30

    Compte rendu de L. Auffant, Aix-Marseille

     

    Disparités hommes femmes : discriminations ou préférences ?

     

    Intervenants :

    • Cécilia Garcia Peñalosa : directrice de recherches CNRS, Aix Marseille School of Economics
    • Dominique Meurs, professeure sciences économiques, Paris Ouest Nanterre, EconomiX (UMR7235) et chercheuse associée à l’INED
    • Mario Piacentini, économiste statisticien à l’OCDE
    • Marie-Claire Villeval, Directrice du GATE (groupe d’analyse et de théorie économiques)

     

    Modérateur : Jean-Paul Coulange, Liaisons sociales magazine

     

    Présentation dans la plaquette des Jéco

    Bien que les femmes aient largement rattrapé les hommes en termes d’éducation et d’expérience professionnelle, l’accès aux emplois les mieux rémunérés est toujours plus difficile pour elles que pour leurs homologues masculins, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. En matière d’entrepreneuriat, les écarts de genre sont importants dans le taux de création des nouvelles entreprises mais aussi dans la taille et la profitabilité de ces entreprises.

    Plusieurs mécanismes concourent pour expliquer ce phénomène persistant. Du côté de la demande, les imperfections de marché comme la discrimination et les différences d’accès au capital sont en partie responsables. Du côté de l’offre, l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle apparaît toujours un frein à l’égalité professionnelle et à l’entrepreneuriat.

    Récemment, de nouvelles explications ont émergé de la recherche en économie comportementale : les femmes ont une attitude au risque et compétitivité différentes de celles des hommes. Ces préférences contribuent à expliquer que les femmes s’engagent moins dans les filières éducatives sélectives, candidatent moins à des promotions et s’engagent moins dans des négociations.

    Distinguer ces sources d’inégalité de genre est un défi pour la recherche économique et pour la justification des politiques de discrimination positive.

     

    Introduction

     

    Jean-Paul Coulange : une couverture de Liaisons sociales magazine titrait « Fini les potiches ? » en 2010 en référence à un film avec Catherine Deneuve. Au même moment aux États-Unis, les femmes devenaient majoritaires dans la population active. En France en 2010, les femmes représentaient 47% des actifs mais 70 % des filles ont le bac contre 59% des garçons, elles représentent aussi 65 % des étudiants en première année de médecine et plus de la moitié des magistrates. On a également de des proportions croissantes d’embauche de femmes (et représentant plus de 50 %) dans les banques, les assurances et malgré tout, les femmes restent toujours moins bien rémunérées que les hommes. Et ce, en dépit aussi de nombreuses lois favorisant l’égalité entre hommes et femmes depuis une quarantaine d’années : 1972, 1975 (modification du cade du travail sur les discriminations), 1983 (loi Roudy), 2001 (loi Génisson), 2006, puis 2013-2014 (loi sur congé parental partagé entre les deux parents).

     

    Exposés des intervenants

     

    Dominique Meurs : présentation de la situation française en matière d’égalité professionnelle des hommes et des femmes.

    L’égalité professionnelle entre hommes et femmes est un thème très fort en France pour plusieurs raisons :

    -          attachement culturel à l’égalité
    -          évolutions longues dans la société et transformations de la famille (recul de l’âge au premier enfant, hausse du nombre de divorces)
    -          intérêt de la part des entreprises dans le cadre de la responsabilité sociale élargie : attention des firmes pour ce thème pour des raisons de dynamique interne (productivité, compétitivité) et pour des raisons de marché (clientèle)
    -          politiques publiques nombreuses. La loi de 2013 concerne la sphère  du travail et le non-marchand.

     

    1 / La persistance de l’inégalité de salaires entre hommes et femmes…

    Graphique sur le salaire médian des hommes et des femmes depuis les années 1990 (source : INSEE). Un écart : le salaire médian des femmes est inférieur de 20 % à celui des hommes, qui est stable au cours du temps. Cette stabilité de l’écart est troublante car des facteurs auraient pu faire réduire cet écart :

    -          Les femmes étudient plus que les hommes : cf. statistiques sur la poursuite d’études supérieures.
    -          Les femmes participent de plus en plus au marché du travail.
    -          Le taux de temps partiel des femmes s’est stabilisé depuis les années 2000 (autour de 20 %).
    -          Et les femmes font face au même risque de chômage que les hommes depuis les années 2010.

     

    2 / … provient essentiellement de ségrégations professionnelles, elles-mêmes liées aux contraintes familiales.

    Le rôle central de la ségrégation professionnelle dans l’écart de salaires s’explique de plusieurs manières :

    -          Les femmes sont moins présentes dans les emplois qualifiés : les femmes occupent 62 % des emplois non qualifiés, 51 % des professions intermédiaires, 39 % des emplois de cadres.
    -          Les femmes travaillent plus souvent dans des petites entreprises, qui sont moins rémunératrices.
    -          À entreprise et postes donnés il y a très peu d’écart mais les femmes ont un positionnement défavorable dans la grille hiérarchique (Blau, 2012), on peut parler de « plafond de verre » (Albrecht 2003) : moins de femmes en haut et de « planchers collants » (Alison Booth, 2003) : quand les femmes progressent, elles augmentent moins leurs salaires que leurs homologues masculins.

     

    Quels sont les facteurs explicatifs ?

    -          comportements des employeurs : on peut parler de discrimination goût, et de discrimination statistique : les employeurs anticipent une interruption de carrière.
    -          comportement d’offre de la part des femmes.
    -          interaction entre les deux explications (prophéties auto réalisatrices mais aussi cercle vicieux).

    Il est très difficile de départager avec des méthodes indirectes de décomposition ces différents facteurs en raison de l’interaction avec les « choix » d’activité domestique. Les répercussions des naissances sur la vie professionnelle :

    -          aménagements d’horaires, temps partiel, interruptions de carrières (Pailhé et al. 2006)
    -          39 % des mères déclarent un changement, 6 % des pères
    -          pour le 3ème enfant, 58 % des mères se retirent du marché du travail.

    Un autre déséquilibre stable dans le temps : la part des hommes et des femmes dans les tâches domestiques notamment les soins aux enfants.

     

    3 /  Le congé parental du père : un moyen de favoriser l’égalité hommes femmes ?

    Le congé parental est une aspiration des parents malgré des effets négatifs sur les carrières. Partager le congé avec les pères est en essor depuis peu notamment dans les pays nordiques. En France la loi de 2013 fait du congé parental paternel le troisième pilier avec 6 mois réservés au père (en réalité au « 2ème parent »), sinon le congé est perdu.

    Quels sont les effets recherchés de cette loi ?

    À court terme : diminuer les interruptions de carrière des femmes. À long terme : augmenter la part des pères dans les tâches domestiques, changer les mentalités y compris dans les entreprises.

     

    Conclusions et perspectives

    L’impression générale est que nous sommes arrivés au point le plus difficile pour encore progresser en termes d’égalité professionnelle hommes femmes car on touche désormais aux normes sociales. Le congé parental du père est un levier puissant pour changer mais insuffisant à lui seul. Perspectives : le caractère crucial du développement des services collectif de garde des enfants.

     

     

    Cécilia Garcia Peñalosa 

    Octobre 2014 : rédaction d’une note (CAE) sur la réduction des inégalités de salaires entre hommes et femmes (http://www.cae-eco.fr/Reduire-les-inegalites-de-salaires-entre-femmes-et-hommes.html). Enjeu : définir une politique pour réduire ces inégalités. Cela implique de connaître les causes de ces inégalités.

     

    Situation des hommes et des femmes sur le marché du travail : des inégalités substantielles

    Statistiques INSEE sur le revenu salarial annuel moyen en 2012 : hommes 23 004 euros/ femmes 17 376 euros : 24,5 % d’écart. Comment expliquer l’écart de 24,5 % ?

    • Durée du travail et temps partiel : 10,9 % de l’écart
    • Ségrégation par secteur (ex secteur moins rémunéré : soins à la personne) et par poste (postes plus bas dans la hiérarchie) : 7,3 %
    • Écart non expliqué (= dû à aucune différence que l’on peut mesurer) = 6,3 %. On peut assimiler ce reste à une discrimination. Mais il est extrêmement difficile d’assimiler le reste à de la discrimination. La partie non expliquée est principalement due à l’imprécision des données de l’enquête emploi. L’écart disparaît avec des données plus fines, plus précises. Les efforts pour identifier la discrimination se sont focalisés sur le recrutement et les promotions.

     

    Exemples d’études pour mesurer les discriminations à l’embauche

    Dans les années 1970-80, aux États-Unis, une étude a été menée sur les chefs d’orchestre qui devaient recruter des musiciens cachés par un écran. Des études récents s’appuient sur le testing, avec des CV qui ne diffèrent que sur le genre (ou un autre critère) : ces études trouvent surtout des discriminations ethniques, peu de discriminations hommes femmes. La discrimination concerne seulement les femmes jeunes et sans enfant : on peut alors se poser la question des anticipations et des stéréotypes.

     

    Études sur les promotions

    Les candidates et candidats ont le même taux de promotion pour des métiers bien précis mais les femmes sont moins souvent candidates : aspects comportementaux des inégalités salariales (autocensure, peur de la discrimination).

     

    Quelles politiques mener ?

     

    Plusieurs considérations :

    Le faible rôle de la discrimination implique que les lois sur l’égalité des droits ne suffiront pas. Il faut se focaliser sur les anticipations dues aux stéréotypes (ex : travail sur l’orientation à l’école), les facteurs comportementaux et les incitations économiques.

    Les quotas sont utilisés de manière limitée. Comités de direction : les expériences de quotas des pays nordiques sont plutôt négatives : femmes manquent d’expérience, faibles performances des firmes. Comités de recrutement : effet négligeable ou négatif de la présence des femmes sur le recrutement et la promotion des femmes.

    La répartition du travail domestique : il s’agit de respecter les préférences individuelles. Le choix d’un arrêt professionnel a des conséquences sur la carrière, renforce les stéréotypes (ex : l’attitude des hommes envers le travail des femmes est fortement influencée par le travail de leur mère). Il faut inciter au partage des congés de parentalité.

     

    Les incitations fiscales :

    Impôt sur le revenu : suppression du quotient conjugal (en maintenant la prise en compte des personnes à charge via un abattement) aura des effets positifs sur la participation des femmes.

    Droits familiaux de retraite : dispositions peu adaptées à l’évolution de l’emploi (ex le temps partiel), certains dispositifs amplifient les inégalités (ex bonifications pour 3 enfants profitent plus aux hommes), pensions de reversion supprimées dans les pays scandinaves pour inciter les femmes à ne pas se retirer du marché du travail.

     

    Mario Piacentini

    Étude d’un cas restreint : les différences de genre dans le taux d’entrepreneuriat et dans la performance des entreprises. Ces différences sont évidentes, comment les expliquer ? On a deux types d’explications :

    -          Les imperfections des marchés, les discriminations contraintes de genre.
    -          Les différences de comportements et d’attitudes entre les hommes et les femmes (= préférences). Si les différences sont dues aux préférences individuelles, il est difficile de justifier des politiques de discriminations positives.

     

    Présentation de données de l’OCDE sur ces différences

    (http://www.oecd.org/gender/data/indicatorsofgenderequalityinentrepreneurship.htm)
    (www.oecd.org/gender/data)
    (www.oecd.org/std/business-stats)

     

    Le taux d’entrepreneuriat est faible pour les femmes : 15 à 30 % des travailleurs indépendants ayant des salariés. Dans la plupart des pays de l’OCDE, ce pourcentage ne progresse pas au cours du temps. Les femmes qui travaillent à leur compte ont des revenus nettement inférieurs à ceux des hommes (32 % de moins). Cependant l’écart diminue si on rapporte le revenu au nombre d’heures travaillées. La taille des entreprises diffère aussi : très peu de grandes sociétés (1er décile en terme de valeur des actifs) appartiennent en majorité à des femmes (ex : 8 % en France).

     

    Comment expliquer de telles disparités ?

    -          Ségrégation sectorielle : barrières à l’entrée pour des femmes dans des secteurs traditionnellement masculins avec une intensité capitalistique plus forte et des profits plus élevés.
    -          L’expérience managériale : les femmes ont moins d’expérience or cette expérience est cruciale pour la survie des entreprises.
    -          La disponibilité de temps. Le temps de travail des travailleurs indépendants diminue avec la naissance d’un enfant pour les femmes, mais augmente pour les hommes !
    -          L’accès aux réseaux sociaux : la majorité (70% voire presque 100% en Corée du Sud ou au Japon) des cadres dirigeants des sociétés de capital-risque sont des hommes.

     

    Quelles sont les explications liées aux préférence et attitudes ?

    -          Moins de femmes (37 % en France) que d’hommes (44% en France) préféreraient exercer une activité indépendante s’ils avaient le choix.
    -          Les femmes entrepreneurs peuvent être plus réticentes à prendre des risques que les hommes (cependant les preuves sont peu concluantes).
    -          La croissance et les profits ne sont pas toujours prioritaires chez les femmes entrepreneurs.

     

    Conclusion : plusieurs facteurs sont à l’origine des écarts de genre des travailleurs indépendants. Il est difficile de distinguer les facteurs liés aux préférences et ceux liés à des contraintes réelles qui peuvent être ciblées par les politiques. Les politiques ont un rôle central à jouer dans cette réduction d’écart. Et ce domaine est un domaine de recherches important.

     

    Marie-Claire Villeval

    La dimension comportementale éclaire la question des disparités. Souvent pour aborder les questions de préférence nous sommes démunis du point de vue des outils de mesure. Il s’agit de comprendre les préférences à partir de travaux menés en laboratoire : reproduction de comportement en laboratoire par des individus payés pour être observés (économie comportementale).

    On va chercher à démontrer le moindre attrait pour la compétition des femmes. C’est un enjeu important : comment être élue par exemple si on ne se présente jamais à une élection, si on se retire de la compétition ?

     

    Expérimentation menée sur des adultes en laboratoire : exemple d’un protocole : choisir entre deux modes de rémunération pour une même tâche (ex : labyrinthe, calculs…) :

    -          Rémunération à la pièce (à la performance absolue) = xx euros par bonne réponse
    -          Rémunération en compétition (à la performance relative) = xx euros si le sujet a réalisé la meilleure performance dans un groupe de 4 personnes anonymes et 0 euro sinon.

     

    Résultat : quelle que soit la tâche à réaliser, la performance moyenne est identique entre hommes et femmes mais les choix de rémunération diffèrent : 35 % des femmes font le choix de la compétition contre 75 % des hommes. On retrouve ces mêmes résultats en Allemagne, aux USA. Cette disparité se retrouve quel que soit le niveau de performance : même pour les femmes meilleures et pour les hommes moins bons.

    Les tests en laboratoire ont-ils une valeur prédictive de la vraie vie ? Oui, exemple de test sur des élèves de troisième : la différence de compétitivité explique près de 20 % de différence de choix de filières éducatives scientifiques.

     

    Pourquoi les femmes sont-elles moins attirées par la compétition ?

    - moindre appétence des femmes pour le risque : cf. tests sur des choix de loteries : les femmes choisissent les loteries les moins risquées alors que les hommes choisissent davantage de loteries risquées. Cependant cette explication ne suffit pas.
    - moindre confiance en soi des femmes : cf. prédiction du rang dans le groupe de quatre personnes (test mentionné ci-dessus) : 75 % des hommes pensent être les meilleurs contre 42 % des femmes : les deux se  surestiment mais les hommes davantage que les femmes. Et même les femmes qui pensent être les meilleures choisissent moins la compétition que les hommes.

     

     Est-ce un phénomène naturel ou culturel ?

    Même expérience conduite à divers moments du cycle ovarien : les femmes dans la phase hormonale basse du cycle ont une probabilité de choisir la compétition 16 % inférieure par rapport à la phase haute du cycle (J 18-25).

    Autre expérience : les différences de genre en matière de compétition existent déjà à l’âge de trois ans. Entre 3 et 8 ans il n’y a pas de différence de performance entre des filles et des garçons dans une épreuve de type petite course. Ici la récompense du gagnant est un cadeau, une friandise. Dès 3 ans les filles choisissent déjà moins la compétition.

    Mais la nature n’explique pas tout ! Mêmes expériences conduites dans des sociétés patriarcales (Massaï de Tanzanie) et matriarcales (Khasi en Inde) : dans les sociétés patriarcales, les hommes choisissent deux fois plus la compétition alors que dans les sociétés matriarcales c’est l’inverse.

     

    Pourquoi la discrimination positive peut-elle diminuer le différentiel ?

    Quotas = garantir un nombre minimum de femmes parmi les vainqueurs. Le choix des hommes reste le même alors que celui des femmes change : davantage de femmes choisissent la compétition. L’introduction de quotas élimine le gap de compétitivité sans éliminer les hommes les plus compétents et en plus cela convainc les femmes les plus compétentes d’entrer dans la compétition.

     

    Les autres pistes que les quotas :

    -          Les écoles unisexes : davantage de filles choisissent la compétition
    -          La compétition par équipes plutôt qu’entre les individus. Dans ce cas aussi, plus de femmes choisissent la compétition.

     

    Références complémentaires 

    sur les écarts de rémunérations entre hommes et femmes en France : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1436#sommaire

    sur le rôle de l’éducation y compris dans la construction du cerveau, les liens entre les neurones :

    • Catherine VIDAL et Dorothée Benoît-Browaeys, Cerveau, sexe et pouvoir
    • Catherine VIDAL Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ?