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TES, UE, mars 2017

Publié le Mar 27, 2017

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Le  Monday, March 27, 2017

Stage UE. Dossier docs

Plutôt pour enseignants

  • Un dossier documentaire pour le chapitre 2.2

    Quelle est la place de l’Union européenne dans l’économie globale ?

     

     

    Liste des documents :

    Document n°1 : extrait d’un article extrait du HS 105 d’Alternatives économiques (avril 2015) : la monnaie et ses mystères, page 48 : article écrit par Agnès Bénassy-Quéré : « Coûts et avantages de la monnaie unique »

    Document n°2 : Sophie Brana, « Les défauts de construction de l’union monétaire : ce que la crise a révélé », in Cahiers Français n ° 387 (Crise de la zone euro : où en sommes-nous ?), La Documentation française, Juillet-août 2015.

    Document n°3 : extraits de Michel Dévoluy, Comprendre le débat européen, Petit guide à l’usage des citoyens qui ne croient plus à l’Europe,  Points, Essais, 2014.

    Document n°4 : extraits de Michel Dévoluy et Gilbert Koenig (dir.), Les politiques économiques européennes, Seuil, coll. Points, 2015 (2ème édition)

    Document n°5 : extraits de : Aujourd’hui l’Union européenne, Questions ouvertes, Scérén, CNDP et CRDP de l’académie de Montpellier, Jean-Pierre Comert (dir.), 2012.

    Document n°6 : David Siritzky, Parlons Europe en 30 questions, La Documentation française, Doc’en poche, 2014 (2ème édition).

    Document n°7 : Jézabel Couppey-Soubeyran, Marianne Rubinstein, L’économie pour toutes : un livre pour les femmes que les hommes feraient bien de lire aussi, La Découverte, 2014. (Chapitre 9)

    Document n°8 : extraits de Patrick Artus, Isabelle Gravet, La crise de l’euro, Comprendre les causes. En sortir par de nouvelles institutions, A Colin, 2012.

    Document n°9 : extraits de Laurent Braquet, David Mourey, Comprendre les fondamentaux de l’économie, De Boeck, 2015

     

    NB : autres articles du numéro d’Alternatives économiques sur la monnaie et ses mystères (HS 105) :

    • Pages 38 à 41 : « Pourquoi on a fait l’euro » (Sandra Moatti)
    • Pages 42-43 : « Il n’y a pas de monnaie sans souveraineté » (entretien avec  André Orléan)
    • Pages 44-47 : « L’euro, une crise annoncée, une crise dépassée ? » (Sandra Moatti)
    • Pages 49-51 : « Comment la BCE a géré la crise » (Emmanuel Carré et Edwin Le Heron)
    • Pages 53-54 : « Défaire ou réparer l’euro ? » (présentation par Sandra Moatti)
    • Page 54 : entretien avec Jacques Sapir : « Il faut dissoudre la zone euro »
    • Pages 55-56 : entretien avec Hans-Werner Sinn : « Laisser les États endettés faire faillite et sortir de l’euro », entretien avec Thomas Coutrot : « Une sortie de l’euro renforcerait la guerre économique entre les peuples européens »
    • Page 55 : entretien avec Paul de Grauwe : « Toute union nécessaire une forme de solidarité »

     

    NB : autres articles du numéro des Cahiers français sur la crise de la zone euro (n° 387) :

    • Crise de la dette en zone euro : quelles réformes pour quels résultats ? (Bruno Ducoudré)
    • Les trajectoires post-crise des pays de la zone euro : vers une dualisation sociale et économique de l’Europe (Bruno Palier, Marine Boisson-Cohen)
    • Le couple franco-allemand à l’épreuve de la crise (Claire Demesmay)
    • Le risque déflationniste dans la zone euro (Jérôme Creel)
    • Sortir de l’euro : quels coûts, quels avantages ? (Anne-Laure Delatte)
    • La dette grecque : le tonneau des Danaïdes ? (Jean-Marc Figuet)
    • La réforme de la surveillance et de la gestion des déséquilibres (Franck Lirzin)
    • La réforme de la gouvernance bancaire et financière Yamina Tadjeddine
    • La politique de la Banque centrale européenne depuis 2007 (Jean-Pierre Patat)
    • Bilan de l’austérité budgétaire dans la zone euro (Gilbert Koenig)

     

     

    Document n° 1

    Article extrait du HS 105 d’Alternatives économiques (avril 2015) : la monnaie et ses mystères

    Page 48 : article écrit par Agnès Bénassy-Quéré : « Coûts et avantages de la monnaie unique »

     

    La monnaie unique a permis des économies et une coordination des politiques monétaires. Mais en cas de crise, les pays en difficulté perdent un instrument central de la politique économique.

     

    Faire l’euro en valait-il le coût ? La question s’invite régulièrement dans les débats sur la crise que traverse la zone euro depuis plusieurs années. La théorie économique la plus souvent convoquée pour y répondre est celle de la zone monétaire optimale, développée en 1961 par l’économiste Robert Mundell. Selon ce dernier, deux pays peuvent avoir un intérêt à partager la même monnaie si les gains l’emportent sur les pertes.

     

    Un avantage micro et macroéconomique

                Du côté des avantages, on trouve deux arguments. Le premier est microéconomique : la monnaie unique supprime à la fois les coûts de conversion liés au change et l’incertitude liée au taux de change. Elle permet donc de réaliser des économies, surtout dans les pays les plus ouverts. Elle encourage les échanges de biens et de services, et facilite les investissements dans d’autres pays de la zone, améliorant l’allocation des ressources. Enfin, la monnaie unique accroît la transparence des prix, ce qui accentue la concurrence. En bref, la monnaie unique complète le marché unique.

                Le second argument en faveur de la monnaie unique est macroéconomique : dans une zone très intégrée comme l’Europe, une coordination des politiques monétaires est de toute façon nécessaire pour éviter les politiques déloyales consistant à « exporter » son chômage par la dévaluation. Le mécanisme de change européen, qui empêchait les monnaies européennes de trop diverger entre elles, a pu constituer une réponse pendant un temps. Mais la liberté de mouvement de capitaux, qui complète elle aussi le marché unique, a rendu ce mécanisme impraticable de manière durable en faisant varier les monnaies européennes entre elles en dehors de tout contrôle. L’euro, en tant que monnaie unique, est une réponse coordonnée de l’Europe à la volatilité des capitaux : quelle que soit la pression des marchés, il est désormais impossible à un État membre de se désolidariser de la zone en dévaluant sa monnaie pour limiter l’effet d’une dégradation de la conjoncture mondiale sur son activité, au détriment de ses partenaires européens.

     

    Divergences d’intérêts

                Face à ces avantages, un inconvénient essentiel : la perte, pour chaque pays, d’un instrument central de la politique économique, la monnaie, qui permet pourtant de faire face aux crises. Dans l’union monétaire que forme la zone euro, chaque pays participe aux décisions sur la politique monétaire, ce qui représente un progrès par rapport au mécanisme de change européen. Mais il n’est pas seul à prendre les décisions, et celles-ci peuvent ne pas aller dans le sens de ses besoins.

                Or, ces divergences peuvent être responsables de catastrophes. En effet, lorsqu’un pays a besoin d’une politique monétaire expansionniste, un autre peut avoir besoin au contraire d’un resserrement des taux. En provoquant la convergence des taux d’intérêt à court et à long termes, la monnaie unique a créé l’illusion d’une convergence du coût du crédit dans toute la zone euro. En réalité, il y avait bien distorsion des taux réels. De fait, dans les pays périphériques de la zone, là où l’inflation était la plus importante, le taux réel était particulièrement faible, incitant notamment le secteur privé à s’endetter au-delà du raisonnable jusqu’à ce que la bulle éclate.

                La crise financière de 2007-2008 illustre la force tant des coûts que des avantages de la monnaie unique. D’un côté, l’euro a protégé les pays membres de la volatilité des marchés mondiaux et la Banque centrale européenne est intervenue de manière centralisée et efficace pour assurer la liquidité des marchés financiers de la zone. De l’autre, un pays comme l’Espagne n’a pas disposé d’instrument autre que budgétaire pour relancer une économie gravement affectée par le retournement du marché immobilier, plongeant l’État à son tour dans la crise.

     

    Document n° 2

    Sophie Brana, « Les défauts de construction de l’union monétaire : ce que la crise a révélé », in Cahiers Français n ° 387 (Crise de la zone euro : où en sommes-nous ?), La Documentation française, Juillet-août 2015.

     

    Pages 5-6

    La crise a révélé les défaillances de la gouvernance européenne.

    Un défaut de surveillance des déséquilibres macroéconomiques

                Tout d’abord, les institutions européennes ont négligé la surveillance et la correction des déséquilibres. Dans une union monétaire, il n’est plus possible de répondre aux divergences de compétitivité-prix par des dévaluations. Pourtant, les divergences d’évolution des coûts de production et des prix nationaux n’ont pas fait l’objet d’une surveillance particulière. Les écarts se sont creusés, notamment en termes de compétitivité, la rigueur salariale en Allemagne ou aux Pays-Bas contrastant avec la dégradation de la compétitivité-prix dans les pays périphériques. L’afflux de capitaux dans ces pays a permis la hausse des dépenses, notamment dans les secteurs abrités de la concurrence à faibles gains de productivité (tels que la construction), alimentant les hausses des prix et des salaires. Ces capitaux, non contraints, ont favorisé les bulles et non les gains de productivité.

     

    Un manque de coordination des politiques budgétaires

                La crise a ensuite révélé le coût du manque de coordination des politiques budgétaires, seul instrument conjoncturel permettant de réagir aux chocs asymétriques au sein de la zone euro. Malgré les règles du Pacte de stabilité et de croissance, les États n’ont pas adopté un jeu coopératif. La coordination des politiques économiques n’a jamais été effectivement pratiquée, bien que l’article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne indique que « les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun, et les coordonnent au sein du conseil ». Au cours des années 2000, la Commission européenne a adressé des recommandations d’ajustement via les GOPE (grandes orientations des politiques économiques), dont la plupart ont été ignorées par les gouvernements, en plus grande proportion au sein de la zone euro. Selon une étude faite par le Parlement européen, moins de 10 % des recommandations par pays ont ainsi été mises en œuvre en 2013. Comme le notent Bénassy-Quéré et Coeuré (2014),  plutôt que d’être un aiguillon, l’euro a permis à certains pays de surseoir aux réformes indispensables.

     

    Une sous-estimation des interdépendances entre les États membres

                Ensuite, la crise a révélé une sous-estimation profonde des interactions entre États membres. Le manque de réformes ou les difficultés économiques d’un pays peuvent avoir des implications considérables pour l’ensemble de la zone. La vulnérabilité des membres de l’union monétaire à des crises de liquidité ou de solvabilité a été largement sous-estimée au moment de sa création, en dépit de l’intégration financière croissante. La crise a mis à jour des failles du système. Quand un pays connaît des difficultés budgétaires, les investisseurs surréagissent en relevant les primes de risque, ce qui provoque une hausse des taux, creuse davantage le déficit budgétaire, qui devient de plus en plus difficile à financer. Les crises de solvabilité sont auto-réalisatrices. Les banques sont exposées aux crises de la dette souveraine dans la mesure où elles détiennent des obligations publiques nationales –ainsi, le pourcentage de dette souveraine au bilan des banques atteint 94 % en Grèce, 90 % en Espagne, 79 % au Portugal ou 78 % en Italie. Dans le même temps, les États étant les seuls responsables du sauvetage des banques nationales, sont eux-mêmes très vulnérables au coût des crises bancaires. Compte tenu de l’intégration financière dans la zone euro et des interdépendances bancaires, les difficultés financières d’un pays peuvent se propager aux économies les plus vulnérables. Dans un contexte de marchés financiers intégrés, l’absence de filets de sécurité communs (régulation et supervision bancaire, assurance de dépôts, mécanismes de résolution des crises organisés à un niveau supranational) rend difficiles la détection et le contrôle des problèmes bancaires, et encourage la contagion. Ces risques ont été sous-estimés, et l’Union européenne ne possédait alors pas de mécanismes de résolution des crises, qu’elles soient souveraines ou bancaires.

               

                Ainsi, en définitive, alors que la Grèce, l’Irlande ou l’Espagne ont connu un choc économique d’ampleur similaire à certaines régions américaines, telles que la Floride, l’Arizona ou le Nevada, la crise a persisté du fait de la vulnérabilité des finances publiques de ces pays, du défaut de mécanismes de transferts contracycliques et du lien entre risque bancaire et risque souverain. En l’absence de politiques budgétaires et financières communes, il n’a pas été possible de compenser la faible mobilité du travail, les rigidités nominales et la faible coordination budgétaire.

     

    Document n°3

    Comprendre le débat européen, Petit guide à l’usage des citoyens qui ne croient plus à l’Europe,  Michel Dévoluy, Points, Essais, 2014.

     

    Pages 89-90 :

    Une monnaie unique

                Les gains escomptés de la monnaie unique étaient doubles : dynamiser l’activité économique et favoriser la création d’une identité européenne. Seule nous intéresse ici la monnaie comme vecteur d’identité.

                Chacun d’entre nous se reconnaît dans sa monnaie. Elle est une forme de bien public dans le sens où sa présence permet à tous les acteurs qui utilisent la même monnaie de compter et de penser dans la même unité, d’échanger commodément des biens et des services, et d’épargner. La monnaie est une forme d’institution politique et sociale. Pour être acceptée par tous, aujourd’hui et demain, elle demande un consensus et une confiance collective. La monnaie exige la présence d’un pouvoir souverain.

                La perte des monnaies nationales au profit d’une monnaie européenne est donc un acte fondateur et symbolique puissant. En suivant cette logique, il est légitime de penser que l’euro représente un vecteur d’identité et donc un vecteur d’intégration politique. Le lancement de l’euro en 1999 fut un moment d’enthousiasme pour tous les partisans d’une Europe fédérée. À l’inverse, le refus de l’euro exprimait une volonté de préserver l’identité nationale. Le Royaume-Uni a été de ce point de vue d’une très grande clarté. Il a rejeté la monnaie unique car il ne voulait pas d’une souveraineté monétaire qui allait entraîner, immanquablement, le besoin d’une souveraineté politique. Pour Mme Thatcher, qui était la Première ministre à l’époque, refuser l’euro était synonyme de refuser toute perspective d’union politique. Nous voilà ainsi face à une conclusion bien singulière : c’est la cohérence monétaire des Britanniques qui devrait nous persuader qu’une monnaie unique implique un pas significatif vers une union politique.

     

    Pages 92 à 94 : des impôts européens pour un vrai budget commun

                La formation de l’identité passe pour chacun d’entre nous par le paiement de l’impôt. De même, nous nous identifions à une collectivité à travers les caractéristiques de son budget. La preuve : c’est sans doute parce que nous ne payons pas d’impôts à l’Europe et parce que son budget est négligeable que l’Europe nous apparaît encore assez lointaine.

    Renforcer le budget

                Les politiques publiques représentent toutes les actions des États. Pour les définir, il suffirait de consulter la liste des dépenses de toutes les administrations. On se contentera ici de citer leurs axes principaux : les mécanismes de répartition et de couverture des risques, la gestion des services publics, l’éducation, la sécurité intérieure et extérieure, le soutien de la conjoncture, la création et l’entretien des infrastructures.

                Les politiques publiques améliorent notre bien-être, favorisent les solidarités et préparent notre avenir commun. Elles constituent par conséquent de puissants vecteurs de formation de notre identité. Ces politiques nécessitent beaucoup de ressources financières. Jusqu’à présent, elles dépendent quasi exclusivement des États. En Europe, sur 100 euros dépensés par les administrations publiques et sociales, 2 euros sont payés par l’UE tandis que 98 euros proviennent directement des États membres. Présenté autrement, le budget annuel de l’UE atteint au maximum 1,2 % du PIB de l’Union. Il s’agit de beaucoup d’argent en absolu (environ 140 milliards d’euros en 2013). Mais cela reste bien modeste en termes relatifs (moins de 1 euro par jour et par habitant).

                Sachant que l’Europe est partie de rien, les dépenses de l’UE traduisent déjà une belle avancée. Mais elles restent faibles au regard de la constitution d’une identité européenne. Rien d’étonnant alors que nos identités nationales restent saillantes.

     

    Payer un impôt à l’UE

                Nous, citoyens européens, ne payons aucun impôt à l’Europe. En première analyse, cette absence de participation financière peut nous réjouir. En réalité, il faut la déplorer. Qu’on le veuille ou non, payer l’impôt est un acte fondateur de l’appartenance à une communauté (nation, région, commune). Aussi longtemps que nous ne payerons pas directement un impôt bien identifiable, nous ne serons pas citoyens de l’Union à part entière. Et l’Europe restera lointaine.

    Naturellement, cet impôt ne devrait pas a priori alourdir la somme globale de nos contributions individuelles. Ce que l’Europe prendrait en charge n’incomberait plus aux États membres.

     

    Pages 101 : Europe sociale, un bilan décevant

                L’intégration européenne produit un résultat très mitigé en matière sociale. Elle impose des normes minimales, mais elle défend l’idée que trop de social fragilise la compétitivité dans un monde globalisé où doit régner la concurrence. De ce point de vue, l’Europe a participé à une rétractation du social et au recul de l’État-providence.

    La démonstration d’un bilan globalement décevant de l’Europe en matière sociale ressort des agendas sociaux proposés par l’UE. L’agenda social est un document préparé par la Commission et adopté par le Conseil européen. Chaque agenda couvre une période de cinq années. L’enjeu est de soutenir les stratégies européennes telles que définies dans la stratégie de Lisbonne puis Europe 2020. L’accent est systématiquement mis sur la nécessité de construire une politique sociale qui accompagne le mouvement d’innovation, de création d’emploi, de formation tout au long de la vie et de hausse de la compétitivité. Sur le fond, ces agendas sociaux poussent à la dérégulation du marché du travail et à l’allègement des charges salariales. Ils sont ainsi en parfaite résonance avec la doctrine libérale défendue par la Commission au nom des choix politiques des États membres.

     

    Pages 104-105 : les bénéfices provenant de l’euro

                L’euro a été conçu pour couronner le marché unique. L’enjeu était d’éliminer les coûts liés à l’utilisation de plusieurs devises et de favoriser l’efficience économique. Effectivement, la monnaie unique apporte des bénéfices tangibles. Les principaux sont aisés à identifier :

    -          disparition des crises de change au sein de la zone monétaire ;

    -          élimination des frais et commissions de change nécessaires pour échanger les anciennes monnaies nationales, ce qui permet de voyager et de commercer plus facilement ;

    -          comparaison plus facile des prix pratiqués sur l’ensemble de la zone euro ;

    -          acquisition par l’euro du statut de monnaie internationale au même titre que le dollar.

    Tous ces gains sont indéniables. D’ailleurs, ils furent systématiquement mis en avant dans les discours officiels destinés à soutenir le traité de Maastricht. Mais le bilan ne s’arrête pas à ces seuls aspects positifs.

     

    Quelques extraits du passage sur « le délicat abandon des taux de change »

     

    Page 109 : la réussite de la monnaie unique doit passer par une homogénéisation des économies nationales.

    Page 111 : Un déficit public important et une dette publique trop grande peuvent peser sur le taux d’inflation et sur le taux d’intérêt long. Il est donc tout à fait cohérent d’accorder une attention spéciale à l’impact des finances publiques sur les taux de change.

    Page 113 : Clairement, le Traité [de Maastricht] a sous-estimé l’immense question de l’hétérogénéité des économies. Le test de la convergence, à partir des quatre critères de Maastricht était nécessaire, mais il n’est pas suffisant.

    Pages 113-114 : Les mécanismes de substitution aux taux de change

                En prenant les propos précédents au pied de la lettre, toute unification monétaire semble déraisonnable. La parfaite homogénéité entre les États est impossible. Ainsi, aucun État souverain ne devrait renoncer à son taux de change. En poussant ce raisonnement plus loin encore, on peut se demander si deux régions d’un même État remplissent vraiment tous les critères listes plus haut. Ne faudrait-il pas alors une monnaie pour chaque région ? Une observation attentive d’une économie politiquement intégrée montre que des différences entres les économies des régions d’un État existent. Mais certains mécanismes sont à l’œuvre pour compenser ces écarts. La mobilité des travailleurs est l’un d’eux. Mais ce n’est pas essentiel. Le mécanisme le plus puissant en la matière est l’intégration fiscale. Avec un budget fortement centralisé, une région en difficulté n’a pas besoin de se relancer par une évaluation de sa monnaie. Elle est aidée par les autres régions grâce au budget central et aux budgets sociaux. C’est exactement ce qui se passerait si la zone euro était fédérée. Mais l’absence d’union politique et l’extrême faiblesse du budget européen, dont l’enveloppe globale est, rappelons-le, de 1% du PIB de l’UE, rendent le mécanisme d’intégration fiscale totalement inopérant. La zone euro semble donc dans une impasse.

     

    Pages 114-115 : Comment se passer des taux de change

    Trois mécanismes standards

    Si un État (ou une région) possédant sa propre monnaie est en récession, une dévaluation sur les marchés des changes relancera son économie. Si cet État (ou cette région) appartient à une fédération avec une monnaie unique, d’autres mécanismes sont à l’œuvre pour combler une récession.

    -La mobilité des travailleurs est souvent mise en avant. Elle permet aux chômeurs d’une région en dépression de se déplacer vers les régions prospères. Mais cela semble plus aisé aux États-Unis qu’à l’intérieur de la zone euro. Encore que même les États-Unis n’échappent pas au chômage.

    -L’intégration financière joue également un rôle positif en permettant la mobilité des placements des régions excédentaires vers les régions déficitaires. La zone euro offre cette possibilité grâce à la libre circulation des capitaux.

    -La flexibilité des prix et des salaires à la baisse permet elle aussi de relancer la compétitivité d’une région. En conclusion, il peut être optimal de choisir une monnaie unique pour une zone économique si les conditions énoncées ci-dessus sont remplies. Mais l’essentiel n’est pas là.

     

    Le rôle majeur de l’intégration fiscale

    Très concrètement, une région en difficulté reçoit des aides de tous ordres et paye moins d’impôts et de charges sociales. À l’inverse, les régions dynamiques versent plus aux budgets centraux (impôts et charges sociales) et reçoivent moins. Cette stabilisation automatique entre régions est un mécanisme fondamental qui compense l’hétérogénéité des situations régionales en s’appuyant sur les solidarités et les soutiens à l’économie. Elle est absente dans l’UE.

     

    Pages 115-117 Des dévaluations externes aux dévaluations internes

    Par hypothèse, la disparition des taux de change dans la zone euro interdit à un État membre d’avoir recours à une dévaluation externe. Il ne peut plus faire baisser le prix de sa monnaie pour augmenter sa compétitivité et regagner des parts de marché. Par ailleurs, l’intégration fiscale ne joue pas et la solidarité entre les États membres est inexistante. Alors que faire lors d’une crise semblable à celle que l’Europe connaît depuis 2008 ? L’Europe a choisi la dévaluation interne. Cette politique impose aux États en difficulté des cures d’austérité radicales. Selon cette logique, plus l’économie est fragilisée, plus le traitement doit être sévère.

    Concrètement, la dévaluation interne se traduit par une baisse autoritaire du coût du travail (chute des salaires et des prestations sociales), par une diminution des dépenses publiques et par une menace sur les acquis sociaux. Les retraites sont également touchées et les services publics sont en régression. En principe, les impôts doivent également augmenter. Au total, les coûts humains et sociaux d’une dévaluation interne sont considérables. Le cas de la Grèce depuis 2010 est ici exemplaire. Pour ce qui concerne l’Europe, ce choix politique est doublement dévastateur : les populations sont appauvries et l’image de l’Europe est dévalorise.

    Sans intégration politique, la décision de renoncer aux taux de change entre des économies hétérogènes était donc risquée. Mais l’euro est là. Se lamenter est vain. Revenir en arrière serait irresponsable. Les deux solutions possibles sont connues. Soit recourir aux dévaluations internes en cas de crise. Soit opter pour une Europe fédérée. La première solution menace très sérieusement la zone euro sur le long terme. La seconde exige du courage politique.

     

    Pages 124-125 : extrait du passage sur la surveillance coercitive des budgets nationaux

    Depuis la création de l’euro, le bilan du PSC est médiocre. Les règles n’ont pas été respectées y compris par l’Allemagne et la France. Les sanctions ont seulement prix la forme d’avis négatifs émanant de la Commission et du Conseil des ministres. Aucune amende n’a été infligée. Cette retenue dans les sanctions paraît d’ailleurs très sage car le paiement de ces amendes aurait détérioré encore davantage la situation de l’État concerné.

     

    Document n°4

    Michel Dévoluy et Gilbert Koenig (dir.), Les politiques économiques européennes, Seuil, coll. Points, 2015 (2ème édition)

     

    Pages 29-30

    La gestion de l’interdépendance

                Plus des économies nationales sont interdépendantes, plus il devient nécessaire de les coordonner. La seule présence d’un marché unique, comme c’est le cas en Europe depuis 1993, oblige à accentuer le mouvement de coordination. Lorsque ces économies partagent en outre la même monnaie, la seule coordination ne suffit plus. Il faut alors basculer vers une forme  d’intégration plus poussée.

    L’interdépendance entre des économies se développe à partir de plusieurs sources.

    -L’interdépendance  structurelle résulte de l’intensité des relations commerciales et financières nouées entre les agents économiques des différents pays.

    -L’interdépendance des politiques économiques provient des « effets de débordement » - on dit aussi de « contagion »- (spill-over effects) de la politique menée par un État sur ses partenaires.

    -L’interdépendance face aux perturbations exogènes s’impose lorsque les États ont intérêt à réagir collectivement face à des chocs ou des événements exogènes comme une crise financière.

    -L’interdépendance des objectifs des politiques économiques résulte d’une démarche d’interaction stratégique dans certains domaines décidées par des gouvernements. La surveillance des finances publiques nationales relève de cette logique.

     

    Pages 30 à 34

    L’impératif de coordination

                L’article 120 du TFUE pose le principe général suivant : « Les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil [...]. » Cela dit, la coordination est une notion à géométrie variable : elle peut être très lâche ou, à l’opposé, fortement coercitive. La théorie des jeux aide à comprendre et à formaliser les problèmes et les enjeux de la coordination. Lorsque des joueurs décident de s’entendre, il y a coopération. On parle de non-coopération dans le cas contraire. Un comportement non-coopératif n’est pas une démarche optimale du point de vue de l’ensemble des acteurs. En général, la solution non coopérative apporte moins de satisfaction collective que la situation coopérative, comme le démontre le jeu présenté par Nash en 1951 (le célèbre dilemme du prisonnier). Mais, pour se coordonner, c’est-à-dire pour coopérer efficacement, il faut que tout le monde joue clairement le jeu. Or les accords de coordination sont fragiles car les tentations de se soustraire aux règles ou de tricher ne sont pas à exclure. Une bonne coordination doit couper court à deux risques : le comportement de passager clandestin et l’aléa moral. Un État se compote en passager clandestin lorsqu’il cherche à profiter des efforts de coordination de ses partenaires sans qu’il s’engage lui-même à en supporter les contraintes. L’aléa moral existe quand un État possède les moyens de ne pas tout révéler à ses partenaires. Le but est ici d’obtenir des avantages liés à l’asymétrie d’informations. Le meilleur moyen de faire respecter les décisions communes consiste à mettre en place des règles assorties de procédures de surveillance fortes et crédibles. Suivant cette logique, il devient rationnel d’introduire des mécanismes de sanctions, notamment financières.

                Jusqu’à la crise, l’examen de la pratique de la coordination au sein de l’UEM a fait apparaître trois modes de coordination.

    -La coordination indicative fixe des lignes directrices à tous les États membres. Les États sont encouragés à les suivre, mais il n’existe pas de sanctions lourdes. Il peut s’agir tout au plus d’avertissements ou de recommandations proposées par la Commission et décidés par le Conseil des ministres. Les lignes directrices proposées par l’UE concernent essentiellement les grandes orientations des politiques économiques (Gope), prévues dans l’article 121 du TFUE, ainsi que les lignes directrices pour l’emploi (LDE), prévues dans l’article 148 du TFUE. Les LDE doivent être compatibles avec les Gope. La coordination indicative s’inscrit dans une logique de surveillance multilatérale. Pour les besoins de cette surveillance, les États membres transmettent à la Commission des informations sur les mesures importantes qui ont été prises. Dans la pratique, les lignes directrices européennes sont proposées dans une perspective triannuelle. Les stratégies initiées en 2000 afin de fixer des ambitions et des objectifs de long terme pour l’Europe relèvent également de cette démarche de coordination indicative. La stratégie Europe 2020 reste dans la même veine.

    -La coordination coercitive est plus contraignante et plus lourde que l’indicative. Elle recouvre un ensemble de règles imposées aux États membres. La principale contrainte est représentée par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Avec le PSC, la Commission a pour mission de surveiller l’évolution de la situation budgétaire des États membres (déficit budgétaire et dette publique). Elle propose les sanctions en cas de dépassement. On doit également inclure dans la coordination coercitive deux autres types de règles préventives : celles qui interdisent le financement monétaire des déficits publics (art. 123 TFUE) et celles qui imposent l’absence de solidarité financière entre les États membres (art. 125 TFUE).

    -Les dialogues figurent une autre forme de coordination. Ils sont nés du besoin de mettre en place des rencontres informelles entre les décideurs des politiques économiques des États membres. Ces dialogues concernent essentiellement l’Eurogroupe qui rassemble les ministres de l’Économie et des Finances de la zone euro. Depuis le traité de Lisbonne, signé en 2008, l’Eurogroupe est devenu une instance à part entière de l’UEM (art. 137 TFUE).

     

    Page 132        

                La nécessité d’une coordination budgétaire internationale s’impose pour une seconde raison exprimée par l’article 120 du TFUE selon lequel «  les États membres conduisent leurs politiques économiques en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union ». Les objectifs économiques qui sont définis dans l’article 3 du TFUE comportent essentiellement une croissance économique équilibrée, la stabilité des prix et une économie qui tend vers le plein-emploi. Les politiques budgétaires nationales peuvent contribuer à la réalisation de ces objectifs grâce aux effets des stabilisateurs automatiques et aux réactions budgétaires de certains gouvernements dont les économies subissent des chocs d’offre ou de demande spécifiques. Ces politiques contribuent à stabiliser l’activité économique européenne. Cette contribution se manifeste par des politiques menées dans le respect d’une discipline budgétaire consistant à maintenir les déficits et endettements publics dans des limites qui permettent d’obtenir les taux d’intérêt les plus avantageux sur les marchés financiers internationaux et un taux de change de l’euro favorable à la compétitivité. De plus, le respect d’une discipline budgétaire est nécessaire pour permettre à la BCE de remplir son objectif de stabilité des prix. En effet si les endettements publics deviennent trop importants, la banque centrale peut se voir obliger d’intervenir en tant que prêteur en dernier ressort et de monétiser une partie de la dette publique, ce qui risque de faire dévier l’inflation de son objectif et de mettre en cause son statut d’indépendance de la BCE (Sargent et Wallace, 1981).

     

    Page 143 : les faiblesses de la stratégie européenne

                Les ressources mobilisées par le programme européen de relance représentent 1,5 % du PIB européen, alors que celle prévues par le plan des États-Unis correspondent à 4,2 % de leur PIB. Cette différence ne s’explique pas seulement par la détérioration de la situation économique plus forte aux États-Unis qu’en Europe. […] la modestie du plan européen […] peut être attribuée essentiellement à deux facteurs.

                Le premier réside dans la faible capacité des autorités européennes à mener une politique budgétaire européenne due à l’insuffisance du budget européen et à l’absence d’un système fiscal européen. De plus, le manque de solidarité entre les États n’a pas permis de constituer un fonds européen à même de financer des actions communes. […]

                La seconde cause de la modeste relance européenne se trouve dans les réticences des membres de la Commission à faire des concessions sur les principes soutenus jusqu’ici, comme ceux relatifs à la discipline budgétaire et au caractère discrétionnaire des politiques budgétaires.

     

    Document n°5

    Extraits de : Aujourd’hui l’Union européenne, Questions ouvertes, Scérén, CNDP et CRDP de l’académie de Montpellier, Jean-Pierre Comert (dir.), 2012.

    NB : livre écrit avant l’entrée de la Croatie (d’où 27 membres) et avant le Brexit.

     

    37 questions suivies d’une documentation cartographique

    Questions 1 à 8 : soixante ans de construction européenne

    Questions 9 à 21 : la gouvernance politique de l’UE

    Questions 22 à 32 : les politiques européennes

    Questions 33 à 37 : l’UE dans le monde

     

    Question 22 : Le marché unique peut-il encore favoriser la croissance de l’Union européenne ?

    Le « marché commun » instauré par le traité de Rome (1957) a dynamisé la croissance des pays participants. Jusqu’au début des années 1970, les six pays de la Communauté économique européenne (CEE) ont connu une croissance forte.  Dans les années 1970-1980, confrontés au ralentissement généralisé de la croissance des pays développés, ils ont choisi d’approfondir leur union. L’Acte unique européen (1986) relance le processus d’intégration économique en construisant un marché unique sans frontières économiques, regroupant aujourd’hui les 27 États membres et les 500 millions d’Européens qui y vivent.

     

    Du marché unique à l’intégration économique

    La construction du marché unique européen…

    Le traité de Rome (1957) supprime les barrières douanières entre les États membres : il organise donc la libre circulation des biens et services. En même temps, il pose le principe de la libre circulation des hommes et des capitaux. Cependant, le « marché commun » ne supprimait pas les « frontières économiques » entre les pays : les douanes contrôlaient les biens et services au passage des frontières, vérifiant notamment les documents administratifs et le respect de normes nationales (normes techniques, sanitaires…), ce qui entraînait des coûts pour les entreprises et pénalisait les importations.

    L’Acte unique européen (1986) supprime les frontières économiques entre les États membres, pour les biens, les services, mais aussi les hommes et les capitaux. Il organise également l’harmonisation des normes techniques et administratives. En 1993, les marchés nationaux ont disparu et ont été remplacés par un vaste marché européen des biens, services, capitaux. Les conditions d’une libre circulation des hommes sont également réunies : harmonisation des diplômes par le Processus de Bologne, reconnaissance des qualifications professionnelles dans de nombreux cas (infirmiers, médecins…). Toutefois, l’obstacle de la langue, l’attachement au mode de vie du pays d’origine, à la famille et aux amis, la diversité des systèmes sociaux… freinent la circulation des travailleurs.

    En rassemblant aujourd’hui 27 pays dans un même espace économique, l’Union européenne est devenue le premier producteur mondial de biens et services, devant les États-Unis et la Chine. Réalisant près de 17 % des exportations mondiales, elle est également la première puissance commerciale.

     

    … est à l’origine de l’intégration économique de l’Union européenne

    La suppression des frontières économiques signifie le décloisonnement des marchés nationaux qui se fondent dans le vaste marché européen. Les économies nationales deviennent ainsi interdépendantes, l’activité économique de chaque pays étant inexorablement liée à la situation des autres : il y a intégration économique. Cela explique que, face à la crise de 2008, les Européens ont adopté un plan de relance concerté. De même, les difficultés des pays lourdement endettés (Grèce, Irlande, Portugal…) concernent directement tous les autres pays.

    L’intégration économique redéfinit les relations commerciales internationales. Si la France et l’Allemagne appartiennent au même marché et si leurs économies sont intégrées, les échanges entre ces deux pays sont-ils encore du commerce international ? Il est devenu nécessaire de distinguer le commerce entre les États membres de l’Union européenne ou commerce intra-UE et le commerce extra-UE, entre les pays de l’Union et les autres pays du monde. Tous les pays de l’UE ont pour principaux partenaires commerciaux les autres pays membres, ce qui montre l’ampleur de l’intégration économique de la zone.

    Marché unique et intégration économique ont profondément transformé le cadre structurel de l’activité. Ainsi, le marché européen est devenu l’espace économique des entreprises, grandes ou petites. C’est sur ce marché qu’elles s’approvisionnent en biens de production, qu’elles se financent et, enfin, qu’elles vendent leurs biens et services. Leurs premiers concurrents sont également les entreprises des 27 États membres. Alors que les grandes entreprises nationales avaient acquis une position dominante et un « pouvoir de marché » dans leur pays d’origine, la suppression des barrières douanières puis des frontières économiques a restauré une concurrence forte. L’harmonisation des législations et règlementations engagée par l’Acte unique européen est la condition pour que cette concurrence soit loyale. En ce sens, le marché unique bouleverse les conditions de l’offre, en construisant une économie de marché européenne intégrée  caractérisée par une concurrence forte et loyale.

     

    Le marché unique est source de croissance potentielle

    Avec 500 millions de consommateurs dotés d’un pouvoir d’achat parmi les plus élevés du monde, le marché unique est particulièrement attractif pour les firmes du monde entier. Il favorise durablement la croissance de l’Union à travers quatre avantages ou gains collectifs.

    Gain d’efficience ou de spécialisation

    À l’intérieur du marché européen, les pays et les entreprises peuvent se spécialiser dans les activités pour lesquelles ils sont les plus productifs, tandis que les activités les moins productives sont abandonnées. Cette division du travail à l’intérieur de l’Union produit un gain d’efficience ou de productivité doublement avantageux : d’une part, le prix des biens et des services diminue, ce qui bénéficie aux acheteurs ; d’autre part, les salaires et profits augmentent.

    La spécialisation des pays européens dans des activités complémentaires, c’est-à-dire le commerce inter-branches, explique environ 1/3 des échanges intra-UE. Elle a permis par exemple à certains pays de moderniser et développer les activités agricoles (Espagne, Grèce, France…) tandis que d’autres renforçaient leur secteur industriel (Allemagne, Suède,…), ou développaient des services (Royaume-Uni, France). Les grandes entreprises, à travers les investissements directs à l’étranger (IDE), ont été des acteurs importants de ce mouvement de spécialisation. Par exemple, Renault avec Dacia, Volkswagen avec Skoda, ont renforcé la spécialisation de la Roumanie et de la République tchèque dans le secteur automobile, tandis que l’Irlande développait les services informatiques.

     

    Gain de dimension

    Un marché de grande dimension permet aux entreprises d’augmenter leur taille. Elles bénéficient alors d’économies d’échelle : en amortissant leurs coûts fixes sur une plus grande production, elles réduisent leurs coûts unitaires. Elles gagnent en compétitivité-prix, ce qui bénéficie aux acheteurs mais permet également aux firmes de conquérir de nouveaux marchés en exportant dans et au dehors de l’Union européenne. En outre, une grande taille permet d’accroître l’effort de Recherche-Développement, source d’innovations. Les firmes gagnent alors en compétitivité-qualité.

    Pour accroître leur taille, les entreprises ont souvent eu recours à la concentration horizontale. Dans un premier temps, les concentrations ont concerné des firmes du même pays : Peugeot prenant le contrôle de Citroën, les Banques Populaires et le Groupe Caisse d’Épargne formant Natixis… Mais les concentrations se sont rapidement développées à l’échelle européenne, entraînant la formation de groupes européens dont EADS est (avec Airbus) la figure emblématique. Le marché unique est donc à l’origine de gains de dimension, favorisant la modernisation des entreprises et augmentant leur compétitivité prix et qualité. Il se traduit par l’augmentation des échanges intra-branches et intra-produits qui représentent les 2/3 du commerce intra-UE.

     

    Commerce intra-branches : échanges portant sur des biens proches mais de qualités différentes, produits dans les mêmes secteurs d’activité. Exemple : voitures haut de gamme importées d’Allemagne (BMW, Audi…) et voitures de moyenne gamme de Renault et Peugeot vendues en Allemagne.

    Commerce intra-produits : échanges portant sur des biens et services de même qualité (Twingo-Polo).

     

    Gains de concurrence et de variété

    Si la concentration des entreprises européennes est nécessaire pour qu’elles puissent affronter la concurrence mondiale, elle ne doit pas donner pour autant à la grande firme un avantage de monopole sur le marché européen. Seul un marché unifié de grande dimension, comme le marché unique européen (ou le marché intérieur des États-Unis), peut permettre de concilier concentration des entreprises et concurrence. Dans chacun des États membres, le nombre de firmes diminue, mais à l’échelle européenne le nombre de firmes est suffisamment grand pour que s’exerce une concurrence effective et loyale. Celle-ci contraint les entreprises à investir sans cesse pour réduire leurs coûts, innover et accroître leur compétitivité.

    Il appartient à la Commission européenne de veiller au respect d’une concurrence loyale sur le marché européen. Elle interdit les concentrations qui détruisent la concurrence en donnant aux firmes une position dominante. Elle sanctionne par des amendes élevées les firmes qui s’entendent sur les prix ou pour se partager le marché, par exemple les opérateurs de téléphonie mobile français, des banques, fabricants de lessive…

    Enfin, le consommateur est doublement gagnant à ce choc de concurrence. D’une part, il bénéficie de la baisse des prix résultant des économies d’échelle et de la concurrence entre firmes. D’autre part, la gamme des produits offerts s’élargit lui permettant de trouver les biens et services mieux adaptés à sa demande, ce qui se traduit par un « gain de variété ».

     

    Le marché unique connaît également des limites et défaillances

    L’intégration dans le marché unique constitue un choc

    À court terme, le marché unique a des effets destructeurs sur certaines activités et emplois nationaux. Les entreprises peu compétitives qui ne peuvent résister à la concurrence des autres firmes disparaissent. À l’exemple de Renault produisant la Logan en Roumanie, ce mouvement est accentué par la délocalisation de certaines firmes vers d’autres pays à plus faible coût de main-d’œuvre et/ou à moindre imposition. Cela a favorisé la croissance des pays européens les plus en retard, d’abord l’Irlande, l’Espagne et le Portugal, puis les pays baltes, la Hongrie, la Roumanie… Cependant, les activités et emplois créés dans ces pays le sont parfois aux dépens des autres pays, ce qui caractérise un jeu à somme nulle, c’est-à-dire où les gains des uns correspondent aux pertes des autres.

    Cet effet pervers ne peut être évité que par l’harmonisation des politiques sociales et fiscales des pays participant au marché unique. Le bon fonctionnement du marché unique exige donc l’approfondissement de l’intégration européenne et la coordination des politiques économiques et sociales. La Grèce, l’Espagne et le Portugal avaient pu converger dans les années 1990 grâce au soutien des politiques structurelles de l’Union. Pour des raisons budgétaires, celles-ci n’ont pas accompagné de la même façon l’intégration des douze derniers membres, ralentissant leur convergence.

    À long terme, dans les pays qui, comme la France, se spécialisent dans des activités incorporant du travail hautement qualifié et de la technologie, l’emploi des actifs peu qualifiés est menacé. Certes, de nouvelles activités et de nouveaux emplois sont créés, mais la compensation n’est pas automatique. Il faut donc amortir le choc concurrentiel par des politiques publiques. Celles-ci doivent notamment améliorer la formation initiale et continue des actifs, mais également favoriser l’innovation par le financement de la Recherche-Développement. Parallèlement, il faut développer les activités accessibles aux actifs peu qualifiés et non-délocalisables, comme les emplois de services aux personnes (aide-soignant, aide aux personnes âgées…). Enfin, dans une logique de flex-sécurité, la politique de l’emploi doit prendre en charge financièrement les chômeurs et organiser leur reconversion professionnelle.

     

    Le marché unique n’assure pas spontanément la convergence des économies nationales

    Le marché unique réduit les inégalités de développement entre pays lorsqu’il permet aux pays en retard de croître plus vite que les pays les plus avancés (Allemagne, France…). Ce fut le cas pour l’Espagne, le Portugal et l’Irlande dans les années 1990. Les douze nouveaux pays participant au marché unique depuis 2004 et 20007 représentent un peu plus de 20 % de la population européenne mais seulement 4 % du PIB européen au milieu des années 1990. En 2008, à la veille de la crise, leur PIB atteignait 8 % du PIB européen. S’ils sont encore très en retard (leur productivité et leur niveau de vie par personne sont environ la moitié de ceux des autres membres), leur entrée dans l’Union européenne a favorisé leur croissance et leur convergence.

    Cependant, ces pays sont durement touchés par la crise actuelle. En outre, à l’intérieur du marché européen, toutes les spécialisations ne se valent pas. Au jeu du marché unique, certains pays gagnent plus que d’autres. Les pays, les firmes (et leurs salariés) qui offrent des services à forte demande et à forte compétitivité-qualité peuvent conserver un niveau de prix élevé et distribuer sous forme de profits et de salaires une partie des gains de productivité réalisés. Mais, les pays en retard sont le plus souvent spécialisés dans les biens et services exploitant une technologie banalisée et répondant à une demande régressive ; la concurrence conduit alors à la baisse des prix. Celle-ci est bénéfique pour le consommateur mais peut être perverse pour les entreprises, leurs salariés et leurs fournisseurs. En outre, les politiques nationales peuvent fausser cette concurrence. De 1999 à 2007, l’Allemagne a pratiqué une « rigueur » salariale qui lui a permis de réduite le coût du travail de 2,6 % ; sur la même période, les pays de la zone euro les augmentaient en moyenne de 12,4 %, la France de 15,6 % et l’Espagne de 27,6 %. De tels écarts sont insoutenables et l’Allemagne a donc gagné des parts de marché aux dépens de tous les autres pays. Une zone économique intégrée ne peut fonctionner correctement que si les pays membres partagent les mêmes objectifs de politique économique.

     

    Question 30 : L’Union européenne a-t-elle une politique budgétaire ?

    27 pays et 28 budgets, pour quels objectifs ?

    Depuis 1999, la Banque centrale européenne mène la politique monétaire de l’Union. En revanche, les politiques budgétaires restent de la compétence des États, dont les parlementaires nationaux votent le budget. Parallèlement, l’Union européenne dispose d’un budget spécifique.

    Le budget permet à l’État de remplir ses missions. Aux fonctions régaliennes traditionnelles (police, justice, défense et administration) s’ajoutent les fonctions modernes regroupées en trois catégories par R Musgrave : allocation des facteurs pour produire les infrastructures, biens collectifs et services publics ; redistribution des revenus pour réduire les inégalités ; régulation macroéconomique pour lutter contre les déséquilibres économiques. La politique budgétaire conjoncturelle agit à court terme sur la demande globale et permet la régulation de l’activité : relance pour lutter contre les récessions par exemple. La politique budgétaire structurelle agit à long terme sur l’offre : le système de prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) et la nature des dépenses (investissements ou fonctionnement) influencent la compétitivité, la croissance potentielle, l’emploi et le bien-être.

    La politique budgétaire doit concilier l’efficacité économique, la justice sociale et la protection de l’environnement conformément aux objectifs fixés par l’article 3 du traité sur l’Union européenne : l’Union « œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein-emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement ».

     

    Budget européen et politique budgétaire commune

    L’Union dispose d’un budget proposé par la Commission européenne puis discuté et adopté par le Conseil et le Parlement européen (codécision). Voté chaque année, il s’inscrit dans un cadre pluriannuel de 7 années (2007-2013, 2014-2020).

    Un embryon de politique budgétaire commune

    Le budget de l’Union donne les moyens d’une action structurelle. Les fonds structurels représentent le premier poste de dépense (45%) ; ils organisent un transfert de ressources des pays et régions les plus riches vers les autres. Ils participent par exemple à la création d’infrastructures accélérant la modernisation

     

     Et la convergence économique des régions en retard. Ils lutent également contre le chômage dans ces régions en soutenant les projets nationaux ou régionaux. En réduisant les inégalités régionales, ils renforcent la cohésion économique et sociale de l’Union. Le budget finance également la politique agricole commune (PAC) qui absorbe actuellement 40 % des ressources et a fait de l’Union une puissance agricole mondiale. La place accordée à la protection de l’environnement et de l’espace rural s’est accrue ces dernières années ; la création d’un réseau européen de sites naturels (Natura 2000) est un exemple de ce type d’action.

    Cependant, cette politique reste minimale. Tout d’abord, le budget européen est d’une ampleur limitée. Les dépenses actuelles sont plafonnées à 1,25 % du revenu national brut de l’Union, ce qui est à comparer aux dépenses publiques françaises qui dépassent 50 % du PIB ! En outre, le budget européen doit être voté en équilibre ; il n’a donc aucun effet sur la situation conjoncturelle. Certains ont ainsi regretté que pour participer à la politique de relance destinée à lutter contre la crise de 2008, l’Union n’ait pas pu mener une politique de grands travaux financés par l’emprunt et soutenant la demande européenne.

     

    Les arguments en faveur du fédéralisme budgétaire

    La comparaison avec les États-Unis et le Canada montre que l’Union européenne est très éloignée d’une structure budgétaire fédérale. Pourtant, un véritable budget fédéral présenterait plusieurs avantages.

    Tout d’abord, comme dans les États fédéraux, un budget plus important faciliterait la définition et la conduite d’une politique conjoncturelle mixte, combinant politique monétaire de la BCE et politique budgétaire commune. Ensuite, les régions ou États en difficulté pourraient bénéficier de transferts contra-cycliques ; dans la crise de 2011-2012, des dépenses publique fédérales auraient permis aux États très endettés (Grèce, Portugal, Irlande) d’assainir leurs dépenses publiques sans pour autant subir les effets pervers de l’austérité. Enfin, un budget fédéral prendrait en compte l’interdépendance entre les territoires, tant en ce qui concerne les infrastructures que les activités à fortes externalités positives comme les dépenses en Recherche-Développement. Sans atteindre le niveau des budgets fédéraux américain ou canadien, un budget représentant 3 à 10 % du PIB de l’Union donnerait déjà une véritable marge d’action.

     

    Budgets nationaux et politique budgétaire européenne coordonnée

    « Les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil […] Le Conseil, sur recommandation de la Commission, élabore un projet pour les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l’Union » (traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, art. 121). La coordination des politiques budgétaires peut pallier l’absence de véritable politique budgétaire commune.

     

    Une coordination budgétaire effective

    La crise de 2008, d’une ampleur inégalée depuis 1929, a entraîné une réponse budgétaire concertée des pays européens. Le Conseil européen et la Commission ont proposé une relance cordonnée de la demande de l’ordre de 1,5 % du PIB européen. L’effet attendu était celui d’une relance keynésienne où la demande publique pallie l’effondrement de la demande privée. En outre, cette dépense publique devrait préparer la croissance future en privilégiant l’investissement dans les technologies d’avenir (économies d’énergie, énergies renouvelables) et soutenir l’emploi par l’investissement immobilier, les travaux publics et l’aide au secteur automobile. Chaque pays a ensuite mis en œuvre cette politique à travers son propre budget. C’est ainsi que le déficit public de l’ensemble des pays de l’Union européenne est passé de 2,4 % du PIB en 2008 à 6,8 % en 2009 (de 3,3 % à 7,5 % pour la France).

    La stratégie de Lisbonne (2000) et la Stratégie Europe 2020 sont des exemples de coordination des politiques budgétaires structurelles. Elles s’inscrivent dans la logique de la « méthode ouverte de coordination » qui se déroule en quatre temps : la Commission propose une liste d’objectifs discutés et adoptés par le Conseil européen ; chaque État décline la politique commune en objectifs nationaux et prend les mesures appropriées : chaque État rend compte annuellement de sa politique et de ses résultats ; les meilleures pratiques servent de références tandis que les pays qui n’atteignent pas les objectifs sont avertis par la Commission.

     

    Une coordination budgétaire efficace

    La coordination des politiques améliore leur efficacité dans chacun des pays. L’Union économique et à plus forte raison l’union monétaire ont rendu les économies interdépendantes. Chaque pays bénéficie donc de l’action budgétaire engagée par les autres : l’effet global est supérieur à la somme des effets individuels. La coordination renforce également la crédibilité des politiques en modifiant les anticipations. Par exemple, en période de récession, si les agents anticipent la réussite de la politique concertée de relance, ils accroissent immédiatement leurs investissements, ce qui rend la politique plus efficace. Enfin, les politiques structurelles réduisent les disparités entre les pays membres et contribuent à la convergence des économies et à la cohésion de l’Union.

    La coordination des politiques budgétaires est nécessaire mais elle doit laisser une marge de manœuvre suffisante à chaque pays pour faire face à des difficultés spécifiques. Un « choc asymétrique » est beaucoup plus fort dans un pays que dans le reste de l’Union. La politique budgétaire nationale est alors la seule disponible pour réduire ce choc, la politique monétaire commune ne pouvant pas répondre aux besoins spécifiques d’un pays.

    Enfin, les politiques économiques combinent les divers instruments disponibles : recettes, dépenses et soldes budgétaires, taux d’intérêt, taux de change… La coordination des politiques budgétaires nationales ne résout pas le déséquilibre entre la politique monétaire commune de la BCE et l’absence de budget à l’échelle de la zone euro. Dans cette perspective, il serait souhaitable de coordonner au sein de l’Eurogroupe (Conseil des ministres de l’économie et des finances des pays de la zone euro) les politiques budgétaires des membres de la zone euro.

     

    Budgets nationaux et règles de politique budgétaire dans la zone euro

    Les pays appartenant à la zone euro, conservant la maîtrise de leurs budgets nationaux, risquent de mener des politiques budgétaires nuisibles à l’ensemble de la zone euro et à sa stabilité monétaire. Ils pourraient en particulier adopter un comportement de passager clandestin, profitant de la fiabilité de la monnaie unique pour financer des dépenses excessives, génératrices d’inflation et de déséquilibres financiers pour l’ensemble de la zone. Ce risque n’est pas virtuel. Ainsi, le gouvernement grec a réduit artificiellement son déficit afin de remplir les critères d’adhésion à l’Union monétaire. En 2009, les autres pays apprenaient que le déficit annoncé de 3,7 % du PIB atteignait en fait 12 à 15 %, ce qui enclenchait la crise de la zone euro.

     

    Les limites du Pacte de stabilité et de croissance

    Le Pacte de stabilité et de croissance (1997) a été conçu pour éviter de tels comportements. Il impose aux pays de la zone euro le respect d’une discipline budgétaire. Sauf circonstances exceptionnelles, le déficit public ne doit pas dépasser 3 % du PIB et la dette publique 60 % du PIB. La politique budgétaire des pays membres se trouve donc encadrée par des règles communes.

    Pour les pays fortement endettés et déficitaires, le Pacte impose une politique budgétaire de rigueur ou d’assainissement financier. Le budget doit être ramené vers l’équilibre, en réduisant les dépenses et/ou en augmentant les recettes. Un tel effort est particulièrement difficile en période de récession (2001-2002, 2008-2009) ou de faible croissance. L’assainissement budgétaire exige un excédent des recettes sur les dépenses budgétaires pour compenser la charge financière de l’endettement. Une telle politique budgétaire est donc « pro-cyclique », elle ralentit l’économie au moment où une relance par la demande serait légitime. Au final, les rentrées fiscales se contractent et la politique d’assainissement risque de ne pas atteindre son objectif.

    Le coût social (chômage) du retour à l’équilibre des comptes publics est particulièrement élevé. Les déficits des budgets sociaux (retraites, maladies…) étant comptabilisés dans le solde public, l’assainissement financier exige leur réduction par des mesures structurelles. La réforme des retraites (recul de l’âge de départ, augmentation du nombre d’années de cotisation…), les déremboursements dans le système d’assurance maladie et les économies sur les systèmes sociaux en général sont très impopulaires et donc électoralement dangereux.

    Dans ces conditions, de nombreux pays, dont la France et l’Allemagne, n’ont pas rempli les objectifs du Pacte. Les pays endettés avant 2008 ont vu leur situation se dégrader fortement avec la politique de relance budgétaire destinée à lutter contre la crise. En 2010, le déficit public de la zone euro atteignait en moyenne 6,2 % et son endettement public 85,4 % du PIB.

     

    À la recherche d’une nouvelle politique budgétaire

    Le principal problème de l’endettement est qu’il s’auto-entretient à partir d’un certain niveau. Un pays dont la dette publique atteint 80 % du PIB et qui emprunte à 2% supporte une charge financière de l’endettement de 1,6 % de son PIB (0,8 x 0,02 = 1,6 %). Si les taux d’intérêt montent à 3 %, sa charge financière atteint 2,4 % de son PIB. Les États peuvent alors être amenés à emprunter pour financer leurs déficits ! Une dette est insoutenable lorsque la charge financière  qu’elle induit ne peut plus être payée qu’en contractant de nouveaux emprunts qui augmenteront à nouveau l’endettement. Ce risque d’insoutenabilité des dettes entraîne la hausse des taux d’intérêt qui accroît la charge financière qu’elle représente. C’est une telle situation qui menace la zone euro et plus particulièrement les États aux déficits les plus marqués (Grèce, Espagne ou Portugal).

    Le Pacte de stabilité s’étant révélé inefficace, le Conseil européen envisage de le renforcer en le rendant contraignant. Les États membres doivent déjà s’engager dans un programme pluriannuel de retour à l’équilibre du budget au plus tard en 2014. Chaque État devrait également traduire dans ses propres dispositions légales une règle d’équilibre des finances publiques conforme aux objectifs européens. Enfin, la surveillance des finances publiques devient préventive, l’équilibre budgétaire étant vérifié par la Commission avant le vote définitif du budget.

    Ce Pacte renforcé est destiné à réduire progressivement l’endettement des pays de la zone euro. S’il est perçu comme crédible par les créanciers, il devrait ramener la confiance et permettre une baisse des taux d’intérêt des emprunts publics. En réduisant la charge financière de la dette, cette baisse des taux d’intérêt accélèrerait le retour à l’équilibre.

    Mais le retour à l’équilibre des finances publiques ne peut à lui seul résoudre la crise de la zone euro qui appelle une réponse globale. Les effets pervers du rééquilibrage financier doivent être pris en compte et compensés par une politique économique dépassant le cadre budgétaire. La politique monétaire doit soutenir la croissance ; parallèlement, la banque centrale, comme elle l’a fait depuis 2011, devrait continuer à racheter des obligations des États endettés. La solidarité entre États pourrait se concrétiser par le renforcement du Mécanisme européen de stabilité permettant aux États fortement endettés d’emprunter à des taux d’intérêts réduits. Enfin, le cas spécifique de la Grèce justifie la restructuration de sa dette.

     

    Question 31 : L’euro, atout ou handicap ?

    En bref…

    À partir de 1973, l’intégration économique européenne a été confrontée au défi de l’instabilité monétaire internationale.

    L’union monétaire est apparue comme une solution nécessaire pour préserver les acquis de l’union économique et la renforcer ; en ce sens, l’euro est un atout essentiel dans le jeu européen. Mais une monnaie unique se traduit aussi par des contraintes qui peuvent handicaper la croissance des pays membres de la zone euro. La résolution de ce dilemme exige de poursuivre l’approfondissement de l’Union, puisqu’il n’y a pas de monnaie sans État.

     

    À la fin des années 1980, les pays européens ont fait le choix de l’approfondissement de l’Union européenne, concrétisé par le traité sur l’Union européenne ou traité de Maastricht (1992). Il organise l’union monétaire : « L’Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l’euro » (art. 3 alinéa 4). L’euro apparaît alors comme le symbole d’une intégration régionale réussie.

     

    À marché unique, monnaie unique

    Au début des années 1990, le marché unique supprime les frontières économiques entre les pays membres de l’Union européenne. Cependant, chaque pays conserve sa propre monnaie. Le commerce entre les pays de l’Union exige donc des opérations de change, par exemple entre le franc français, le mark allemand ou la lire italienne. Elles perturbent le bon fonctionnement du marché unique et plus particulièrement la concurrence.

    En outre, le principal handicap des monnaies nationales est que leurs taux de change peuvent varier dans le temps modifiant ainsi les prix du même bien dans les différentes monnaies. Par exemple, si le mark allemand s’apprécie de 10 % par rapport au franc français ou à la lire italienne, les prix des biens exportés par les entreprises allemandes en France ou en Italie augmentent eux aussi de 10 %. Inversement, les firmes des pays dont la monnaie se déprécie deviennent plus compétitives. On constate finalement que la multiplication des monnaies et les variations de change génèrent une incertitude nuisible aux échanges intracommunautaires.

    Il paraît donc logique et cohérent que le processus d’intégration qui a permis de construire un marché unique se prolonge par une union monétaire. Cette volonté de parachever l’intégration réelle par une intégration monétaire est exprimée par le rapport de la Commission Delors (1989) présentant les modalités de l’union monétaire et le traité de Maastricht (1992) qui l’organise. La monnaie unique s’inscrit dans la logique d’un processus d’intégration à long terme, tel que Robert Schuman le pensait : «  l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ».

    En supprimant les opérations de change, la monnaie unique d’une part réduit les coûts sur les transactions à l’intérieur de la zone euro et d’autre part supprime les avantages dont disposaient les entreprises nationales par rapport à leurs concurrentes européennes. La tarification en euro accroît la transparence du marché, en même temps qu’elle facilite les achats dans les autres pays de la zone. Il est, par exemple, plus facile pour des consommateurs de comparer le prix d’un vol aérien au départ de Marseille, Lisbonne ou Milan, d’une location dans le sud de la France, en Grèce ou au Portugal. De même, une entreprise peut immédiatement comparer le coût d’une prestation de service ou d’une pièce détachée fournie par différents sous-traitants implantés dans les 17 pays de la zone euro…. Ainsi, la monnaie unique dynamise le marché unique. De 1999 à 2011, l’emploi total a progressé quatre fois plus vite dans la zone euro (+ 12 %) qu’aux États-Unis (+3 %).

    Enfin, en intensifiant la concurrence pour certains biens et services, la monnaie unique incite à l’innovation et à la baisse des prix. Paradoxalement, les consommateurs français accusent l’euro d’avoir favorisé l’inflation. Cela peut s’expliquer par l’attention portée par les ménages à la hausse des prix de produits fréquemment achetés : carburants, produits alimentaires frais… Le passage du franc à l’euro a pu également faciliter la hausse des « petits prix » tels que ceux d’une baguette de pain ou d’un café. Finalement, les nouveaux prix et les hausses de certains produits ont engendré un décalage entre l’inflation mesurée et l’inflation perçue. De 1999 à 2010, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 25 % dans la zone euro, de 22,5 % en France, à comparer aux hausses de 28 % au Royaume-Uni et de plus de 30 % aux États-Unis.

     

    Les contraintes macroéconomiques de l’union monétaire

    Une zone monétaire sous-optimale ?

    L’adhésion à l’union monétaire et l’adoption de l’euro ont pour corollaires l’abandon définitif de la monnaie nationale, le renoncement à une politique monétaire nationale et, enfin, la perte de la variable d’ajustement que représente le taux de change (dévaluation, réévaluation). Ce choix n’est pas sans risques.

    Robert Mundell (prix Nobel 1999) est le premier à avoir posé la question des conditions à réunir pour que les avantages de l’union monétaire soient supérieurs à ses inconvénients. Les pays seront gagnants s’ils forment une zone monétaire optimale, c’est-à-dire s’ils réunissent certaines caractéristiques structurelles dont les deux premières justifient l’union monétaire par l’interdépendance des économies :

    1. Les pays doivent être étroitement liés commercialement et financièrement les uns aux autres.
    2. Les facteurs de production, travail et capital, doivent circuler librement entre ces pays.

    Même si le travail ne circule pas parfaitement au sein de l’Union européenne, ces deux conditions semblent suffisamment remplies par de nombreux pays européens au début des années 1990. Les deux conditions suivantes minimisent les inconvénients de l’union monétaire.

    1. Les pays doivent partager les mêmes objectifs de politiques économiques, puisqu’ils mèneront désormais la même politique monétaire.
    2. Enfin, en cas de difficultés spécifiques à un pays, l’union monétaire doit prévoir des transferts budgétaires, une certaine solidarité économique, pour compenser l’impossibilité de dévaluer (ou de réévaluer) la monnaie. Ces deux conditions n’étaient pas remplies, en particulier la dernière.

    La décision de former une union monétaire européenne apparaît ainsi comme un choix politique volontariste : en adoptant une monnaie unique, les pays membres s’obligent à renforcer leur cohésion économique et sociale, poursuivant ainsi l’approfondissement de l’Union. Mais cette décision était également risquée, puisque toutes les conditions nécessaires n’étaient pas réunies.

     

    Les critères de convergence…

    Pour limiter les risques d’échec, le traité de Maastricht prévoit que seuls pourront participer à l’union monétaire les pays qui remplissent des « critères de convergence ». Ceux-ci, au nombre de cinq, vérifient que les pays sont dans des situations monétaires proches :

    -          le taux d’inflation ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point la moyenne des trois pays les moins inflationnistes ;

    -          le taux d’intérêt à long terme des emprunts publics ne doit pas dépasser de plus de 2 points la moyenne des trois pays les moins inflationnistes ;

    -          l’endettement public ne doit pas dépasser 60 % du PIB du pays ;

    -          le déficit public ne doit pas dépasser 3 % du PIB du pays ;

    -          enfin, les pays candidats doivent respecter des marges de fluctuations du système de change adopté par les pays européens (mécanisme de change européen, MCE) depuis au moins deux ans.

    Ces critères semblent légitimes mais le contexte économique des années 1990 a rendu leur respect difficile. C’est ainsi qu’en France, après la forte récession de 1993, les gouvernements successifs ont dû limiter la dépense publique alors qu’une politique de soutien de la demande aurait été justifiée. La croissance française est donc restée faible ou « molle », d’où un fort taux de chômage jusqu’en 1997.

     

    … et le Pacte de stabilité et de croissance

    Une fois entrés dans l’union monétaire, les pays pourraient se comporter en passager clandestin. Ils profiteraient de la crédibilité et de la confiance dans la monnaie unique pour mener des politiques avantageuses pour eux mais nuisibles pour la zone euro. Les États ont donc décidé de prolonger les « critères de convergence » par le Pacte de stabilité et de croissance (1997). Il a pour but principal d’interdire aux pays de la zone euro de mener des politiques budgétaires laxistes conduisant à des déficits et un endettement public excessifs. L’endettement public ne doit pas dépasser 60 % du PIB et le déficit 3 % du PIB, sauf circonstances exceptionnelles.

    Le respect du Pacte de stabilité s’est révélé difficile car contraignant en période de récession. Après la crise de 2001, la France et l’Allemagne notamment ont choisi de relancer leur activité économique en augmentant leur déficit budgétaire et donc leur endettement public. Celui-ci est passé au-dessus du seuil de 60 % du PIB. À nouveau, la crise de 2008 a exigé une relance concertée qui a encore accru les déficits et l’endettement publics de nombreux pays de la zone euro. Aujourd’hui enfin, ces critères imposent le retour à l’équilibre budgétaire au plus tard en 2016. Même si cet assainissement est nécessaire, le risque est de replonger la zone euro dans la récession.

     

    Les enjeux monétaires et financiers

    Le passage à une monnaie unique, l’euro, permet à la Banque centrale européenne (BCE) de mener une politique monétaire unique pour l’ensemble des pays de la zone euro. Le traité de Maastricht a fixé à la BCE un objectif « principal », la stabilité des prix. Sa crédibilité, héritée de la Bundesbank allemande, lui permet d’atteindre cet objectif avec des taux d’intérêt relativement faibles, très inférieurs en particulier à ceux qui étaient pratiqués auparavant dans les pays à tendance inflationniste. En outre, avec la disparition des monnaies nationales, l’euro a supprimé la spéculation entre les différentes monnaies. Lors des crises de 2001 et 2008, la BCE a pu mener des politiques monétaires de soutien de la croissance en abaissant son taux d’intérêt, alors que des banques centrales nationales auraient dû d’abord défendre le taux de change de leur monnaie.

    Le système financier met en relation les agents à capacité et à besoin de financement. Si l’Acte unique garantit la libre circulation des capitaux, la monnaie unique entraîne la disparition des marchés financiers nationaux qui se dissolvent dans le marché régional intégré de la zone euro. Cela s’est concrétisé en 2000 par la fusion des bourses de Paris, Amsterdam et Bruxelles qui forment Euronext. Après s’être étendu à la bourse de Londres (LIFE) et de Lisbonne, la taille européenne d’Euronext lui a permis de fusionner à parts égales en 2006 avec la bourse de New York (NYSE). Cette intégration financière facilite le financement des grandes entreprises et des États.

    Une des « lois » de l’économie énonce que, sur un marché concurrentiel, il ne peut y avoir qu’un seul prix pour un produit. L’unification du marché des capitaux a favorisé la convergence des prix des capitaux et notamment, jusqu’en 2009, des taux d’intérêt de long terme. Le taux d’intérêt nominal (In) payé par un emprunteur est le taux du marché (I*) augmenté des « primes » liées aux anticipations d’inflation (Pπ) et au risque de défaillance (incapacité à rembourser) de l’emprunteur (Pd) : In = I* + Pπ +Pd. La politique monétaire de la BCE et sa crédibilité dans la lutte contre l’inflation ont réduit considérablement les primes d’inflation (Pπ) auparavant élevées dans les pays de tradition inflationniste, comme l’Espagne, la Grèce ou le Portugal. Cette baisse du coût du financement peut être positive, si elle se traduit par des investissements productifs nourrissant la croissance future. De 1999 à 2008, ces facilités de financement ont soutenu la croissance des pays les plus en retard de la zone euro.

    Paradoxalement, à partir d’un taux d’intérêt nominal unique, le taux d’intérêt réel du refinancement des banques par la BCE (taux nominal diminué du taux d’inflation) est très faible dans les pays inflationnistes (Irlande, Espagne) et plus fort dans les pays non-inflationnistes (Allemagne, France). Ce phénomène a engendré des déséquilibres et effets pervers qui sont une des causes de la crise actuelle de la zone euro. En Grèce, la faiblesse des taux d’intérêt a encouragé l’endettement public ; le pays se trouve désormais en situation de défaut de paiement. En Espagne, les faibles taux d’intérêt du marché immobilier ont conduit à un surinvestissement spéculatif ; l’éclatement de la « bulle immobilière » en 2010 a plongé l’ensemble de l’économie dans la récession et le chômage.

     

    Une union monétaire inachevée

    L’émission de monnaie et la politique monétaire sont des fonctions régaliennes relevant de l’État et exprimant sa puissance. Ainsi, le passage de l’intégration économique à l’intégration monétaire change la nature de l’Union européenne, sans que cela ait été clairement formulé. Le paradoxe de l’euro est qu’il est une monnaie sans État, tandis que la zone euro est un espace économique intégré sans « gouvernement économique ».

    Certes, la Banque centrale européenne a mené une politique monétaire très active, en particulier depuis la crise de 2008. Mais elle est trop isolée. Pour être efficace, la politique de régulation conjoncturelle doit combiner les politiques monétaires et budgétaires. Selon les termes du traité de Maastricht, les États considèrent la politique économique comme « une question d’intérêt commun ». Mais ceci ne suffit pas pour définir une politique cohérente et efficace. Le problème est d’autant plus aigu, qu’à la différence des États-Unis d’Amérique, l’Union ne dispose pas d’un véritable budget européen.

    La crise actuelle de la zone euro contraint les États membres à lever les ambiguïtés de l’union monétaire, pour réduire ses faiblesses et valoriser ses avantages. Les pays européens, à l’exception du Royaume-Uni, se sont engagés dans un nouvel approfondissement de l’Union : le Pacte de stabilité et de croissance devrait être renforcé pour éviter à l’avenir les dérapages budgétaires ; les fonds européens destinés à soutenir les États fortement endettés devraient éviter leur « faillite » et leur donner le temps d’assainir leurs finances publiques. Enfin, un véritable gouvernement économique de la zone euro pourrait être mis en place, rendant ainsi sa gestion plus cohérente.

    Ces évolutions tardives mais nécessaires renforcent la coordination des économies ainsi que la dimension politique et fédérale de l’Union. L’histoire nous rappelle d’ailleurs qu’au XIXe siècle, en Allemagne comme aux États-Unis, l’union politique et le fédéralisme ont précédé l’union monétaire.

     

    Question 32 : L’Union peut-elle sauver l’euro ?

    La crise mondiale de 2008 a entraîné la plus grave récession depuis 1929. Des plans de relance concertés dans le cadre de l’Union européenne et du G20 ont amorcé une reprise mondiale en 2010. Au même moment, la zone euro connaissait une crise spécifique qui pourrait replonger l’Union européenne dans la récession.

     

    L’euro en crise(s)

    Une crise de l’endettement

    Le Pacte de stabilité et de croissance n’a pas empêché l’endettement des États. Au contraire, la relance concertée de 2009 et la récession ont accru les déficits budgétaires et creusé l’endettement public. Certains pays ont en 2012 une dette difficilement soutenable voire insoutenable, la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne notamment. Ils sont obligés d’emprunter pour payer les intérêts de leurs emprunts. Leur endettement devient alors cumulatif, il s’auto entretient.

    Un endettement aussi élevé décourage les préteurs. Ils redoutent que l’État devienne « défaillant », c’est-à-dire qu’il ne paye plus ses intérêts et ne rembourse plus ses dettes. Leur méfiance entraîne la hausse des taux d’intérêt des emprunts d’État. Or, plus les taux d’intérêt augmentent, plus la charge financière de l’endettement devient insoutenable. La zone euro se devait donc de prendre les mesures propres à interrompre ce cercle vicieux.

     

    Une crise de gouvernance

    C’est en octobre 2009 que le gouvernement grec a révélé l’état réel de ses finances publiques : alors qu’il avait annoncé un déficit budgétaire de 3,6 % de son PIB, celui-ci atteignait en réalité 12 à 15 %. En trois ans, la crise « locale » d’un des plus petits États de l’Union va se transformer en crise de l’euro.

    La zone euro est une union monétaire composée d’États souverains. La spécificité de l’euro par rapport aux autres monnaies est qu’elle est une monnaie sans État dont la Banque centrale européenne (BCE) assure la tutelle. Un État dispose d’un « gouvernement » dont les décisions adoptées démocratiquement s’imposent à tous. En revanche, la zone euro se caractérise par une « gouvernance » horizontale, chaque décision exigeant l’accord de tous les États membres. En outre, les accords négociés par les chefs d’État et de gouvernement au sein du Conseil européen peuvent ne pas être ratifiés par les parlements nationaux. Face à la crise, la zone euro a révélé les faiblesses de sa gouvernance : les décisions ont été trop souvent tardives et insuffisantes.

    D’autres pays (Japon, Royaume-Uni, États-Unis…) sont fortement endettés sans pour autant connaître une crise comparable à celle de la zone euro car ils conservent la confiance des marchés.  À l’opposé, la crise de gouvernance de la zone euro entraîne la défiance des prêteurs qui se concrétise par les avertissements et les dégradations des notes attribuées par les agences de notation. L’anticipation d’une crise de l’euro devient alors auto-réalisatrice : le manque de confiance entraîne la hausse des taux d’intérêt qui à son tour aggrave la situation ; les marchés en tirent la conclusion que les États ne pourront assainir leurs finances publiques et ainsi de suite…

     

    Une crise de l’euro

    Il arrive que des États soient défaillants, qu’ils ne puissent honorer les échéances de leurs emprunts. La défaillance a des conséquences graves pour le pays endetté. La première est qu’il ne peut plus  emprunter, personne ne prêtant à un mauvais payeur. La seconde est que la valeur de sa monnaie s’effondre : les importations deviennent plus chères et le pouvoir d’achat des ménages diminue. Le défaut de paiement du Mexique et d’une vingtaine de pays en développement en 1982 les a appauvris jusqu’à la fin des années 1980.

    La défaillance d’un pays entraîne également des pertes pour ses créanciers. Les banques et assurances, principaux détenteurs d’emprunts publics, subissent des pertes financières qui peuvent les mener à la faillite. Ainsi, les grandes banques françaises, allemandes et britanniques sont concernées par les difficultés financières de la Grèce et du Portugal. Par leur intermédiaire, la crise peut se propager à tous les pays.

    Toute la zone euro serait donc concernée par la faillite d’un ou plusieurs de ses membres. Que les dix-sept pays de la zone euro laissent certains d’entre eux faire défaut réduirait la confiance et entraînerait une hausse des taux pour les pays fortement endettés, y compris l’Italie et la France. Au final, la zone euro pourrait éclater et avec elle la monnaie unique. Le mark allemand dans les années 1920, le peso argentin en 2001, ont connu des crises de ce type. Il faut donc réagir avant qu’il ne soit trop tard, c’est-à-dire que l’endettement devienne insoutenable.

     

    La tentation de la sortie volontaire de la zone euro

    Revenir à la drachme grecque ou au franc français peut apparaître comme une solution radicale à la crise de l’euro. Elle aurait en fait des conséquences dramatiques aussi bien dans la sphère financière que dans l’économie réelle. La monnaie serait considérée comme une « mauvaise monnaie » que personne ne souhaite détenir ; en outre, les marchés anticiperaient qu’en cas de difficultés, le gouvernement sacrifierait à nouveau sa monnaie. La sortie de l’euro ne rétablirait pas la confiance, au contraire.

    Le premier effet de l’abandon de l’euro serait une dépréciation très forte du taux de change de la nouvelle monnaie nationale, estimée en général à 20 ou 25 %. Si une baisse modérée du taux de change peut avoir des effets positifs, une telle chute entraînerait une augmentation très forte du prix des importations, dont certaines sont absolument nécessaires (énergie, matières premières) : les prix nationaux augmenteraient, une forte inflation se développerait et le pouvoir d’achat diminuerait. En outre, la dette en euros verrait son montant augmenter. Enfin, l’État aurait de grandes difficultés à contracter de nouveaux emprunts, si ce n’est à des taux exorbitants. Le pays serait donc condamné à un assainissement financier d’urgence  par la réduction des dépenses publiques, y compris les dépenses sociales et les retraites. La deuxième conséquence de la sortie de la zone euro serait donc de plonger l’économie dans la récession et de réduire brutalement le pouvoir d’achat.

    Il faut également prendre en compte les difficultés qui ne manqueraient pas de se produire au sein de l’Union européenne, dans laquelle les économies nationales sont totalement intégrées. Les entreprises nationales seraient probablement désorganisées par une sortie de l’euro et les variations de coûts et de prix qu’elle entraînerait. On peut d’ailleurs remarquer que si certains pays en dehors de la zone euro (Danemark, Suède) ont une économie saine, ce n’est pas le cas de tous. Ainsi, de 2008 à 2011, le PIB du Royaume-Uni a reculé de 4,5 % (-1,3 % en France), l’inflation et le chômage étant plus élevés qu’en France. Par contre, certains pays de la zone euro (Finlande, Allemagne…) réunissent croissance forte et plein emploi.

     

    Les voies de sortie de crise

    La sortie de crise repose sur la définition d’une politique économique coordonnée et crédible. Les objectifs doivent être clairement énoncés et partagés par tous les États ; les mesures doivent constituer un ensemble cohérent tenant compte des interactions entre économie monétaire, financière et réelle (croissance, investissement, emploi…). Le succès de la politique de sortie de crise reposera en premier lieu sur sa capacité à restaurer la confiance.

     

    Restructurer la dette

    Avec un endettement public représentant plus de 140 % de son PIB, la Grèce ne semble pas être en mesure de rééquilibrer ses finances publiques. La renégociation des taux et/ou des échéances de la dette avec le soutien de l’Union européenne est nécessaire. Les créanciers, préfèrent, en effet, renoncer à une partie de leurs créances plutôt que tout perdre. Toutefois, il faut éviter que cette renégociation accentue la défiance envers les autres États endettés.

     

    Assainir les finances publiques sans nuire à la croissance et à la cohésion sociale

    La question financière s’apparente à la quadrature du cercle : la baisse de l’endettement est nécessaire à long terme, mais rééquilibrer les finances publiques peut à court terme ramener la récession et les déficits ! L’exemple grec montre qu’une austérité particulièrement sévère ne produit pas les effets attendus.

    L’assainissement doit donc préserver l’investissement. Tandis que l’investissement privé est soutenu par la politique monétaire, le rééquilibrage du budget ne doit pas pénaliser les investissements publics dans les infrastructures et les biens collectifs. Cela permettrait de maintenir la demande et de préparer la croissance future, dans le cadre par exemple de la Stratégie Europe 2020. Il ne faut pas oublier que les citoyens ont adhéré au projet européen aussi longtemps qu’à travers la croissance qu’il améliorait leur bien-être. Si l’assainissement financier entraînait la dégradation de la protection sociale, la responsabilité en serait attribuée à l’Europe et renforcerait son rejet.

     

    La BCE doit soutenir la croissance et les États endettés

    Depuis 2008, la BCE a soutenu la croissance en facilitant le crédit par la baisse des taux d’intérêt et la création monétaire. Dans la mesure où la politique budgétaire sera contrainte par l’assainissement des finances publiques, la poursuite d’une politique monétaire de soutien à la croissance est particulièrement nécessaire.

    À la différence des banques centrales américaines et britanniques, le traité de Maastricht interdit à la BCE de souscrire aux emprunts publics des États et donc de financer directement leurs déficits (par la création monétaire). Cependant, depuis 2010, la BCE rachète des titres de dette sur le marché secondaire. Cela freine la hausse des taux d’intérêt des emprunts publics et montre la confiance de la BCE dans la capacité de remboursement des États. Pour lever les incertitudes sur cette pratique critiquée par les monétaristes et qui a entraîné, en septembre 2011, la démission de Jürgen Stark, chef économiste de la BCE, la banque doit annoncer clairement son intention de poursuivre ces rachats aussi longtemps que nécessaire. Elle doit également continuer à refinancer les banques à faible taux (1 %) pour les inciter à souscrire aux emprunts d’État qui rapportent un taux d’intérêt supérieur.

     

    Développer la solidarité financière entre les États

    Les États les plus endettés voient les taux d’intérêt de leurs emprunts augmenter. Le Conseil européen a créé en 2010 un Fonds européen de stabilité financière (FESF) auquel devrait succéder en 2012 une institution permanente, le Mécanisme européen de stabilité (MES). Ces fonds sont abondés par les États européens les moins endettés et les plus fiables ainsi que par le FMI. Ils ne financent pas directement les États mais garantissent leurs emprunts, ce qui permet aux pays d’obtenir des taux d’intérêt faibles.

    La dotation initiale du FESF était destinée à aider les « petits » États comme la Grèce ou l’Irlande. La propagation de la crise de l’endettement à d’autres pays et éventuellement à l’Espagne ou l’Italie exige d’accroître les capacités du système. Le gouvernement français a également envisagé de faire du MES une banque, qui pourrait emprunter à taux réduit auprès de la BCE ; mais il lui faut l’accord de l’Allemagne.

    Une autre solution est envisageable. Des euro-obligations ou eurobonds émises par une institution européenne permettraient de mutualiser les emprunts publics des différents États. Les pays endettés bénéficieraient             alors de la garantie de remboursement des États « riches » et obtiendraient des taux d’intérêt faibles. Mais les États qui apportent leur caution aux autres prendraient des risques considérables ; un tel système n’est donc envisageable que si la gouvernance européenne permet la surveillance très stricte des différentes économies nationales. Il pourrait alors procurer une partie des besoins de financement publics.

     

    Renforcer la gouvernance budgétaire

    Les pays membres de la zone euro ont conservé leur souveraineté en matière budgétaire. L’expression souvent utilisée de « gouvernement économique » signifie que l’objectif d’équilibre des dépenses publiques à moyen et long termes adopté à l’échelle européenne s’imposera désormais aux États qui ne pourront y déroger.

    Le Conseil européen, la Commission et le Parlement ont considérablement accru la surveillance financière, certaines mesures devant encore être définitivement adoptées dans le premier semestre 2012. Les pays membres devront présenter un programme réduisant les déficits à 3 % du PIB en 2013 et ramenant l’équilibre en 2016. Le respect de cet engagement sera vérifié préventivement (surveillance ex ante) avant que les Parlements nationaux ne votent les budgets. Enfin, les pays en déficit excessif subiront des sanctions automatiques. Pour renforcer la crédibilité de ce dispositif et restaurer la confiance, ces mesures devront s’inscrire dans un traité européen adopté en 2012.

    En outre, chaque État devra instaurer une règle d’équilibre budgétaire (« Règle d’or ») dans son système législatif. Celle-ci ne signifie pas pour autant l’interdiction absolue des déficits. La règle peut fixer un « plafond » de déficit (0,35 % par exemple pour l’Allemagne). Le plus important est qu’elle s’applique au budget structurel, c’est-à-dire corrigé des variations conjoncturelles. Ceci laisse jouer les stabilisateurs automatiques : en cas de récession, les recettes publiques diminuent et les dépenses sociales augmentent, ce qui soutient « automatiquement » la croissance par un déficit conjoncturel ; le budget structurel reste équilibré puisque la croissance ramènera spontanément à l’équilibre.

    La maîtrise des finances publiques ne suffira pas à assurer la stabilité financière. Le Conseil européen a donc décidé d’étendre la surveillance des déséquilibres macroéconomiques à l’endettement privé. Les exemples américain (crise des subprimes) et espagnol rappellent que des facilités de crédit accordées à des investisseurs privés peuvent elles aussi entraîner des déséquilibres majeurs.

     

     Lever les ambiguïtés de l’euro

    Au-delà de sa  dimension économique, la crise de l’euro est fondamentalement politique ; elle nous interroge sur le projet européen. Les décisions ont été principalement adoptées par le Conseil européen qui est un organe de coopération intergouvernementale. Chaque État a privilégié sa situation et ses échéances électorales aux dépens de l’Union. Ce n’est qu’à la fin 2011, lorsque la crise s’est révélée d’une telle gravité qu’elle risquait d’entraîner tous les pays vers la catastrophe, que les chefs d’État et de gouvernement ont proposé des solutions, discutables et perfectibles, mais à la hauteur de l’enjeu. La sortie de crise exige d’achever la construction monétaire. Il faut faire de l’union monétaire un jeu à somme positive en la rendant plus cohérente et coopérative.

    Le retrait britannique –le Royaume-Uni refusant de s’engager dans ce qui pourrait conduire à un approfondissement de l’Union européenne- montre que le débat porte en fait sur la nature de l’Union. Doit-elle rester un simple « marché » ou évoluer progressivement vers des États-Unis d’Europe ?

     

    Document n°6

    David Siritzky, Parlons Europe en 30 questions, La Documentation française, Doc’en poche, 2014 (2ème édition).

     

    Page 26 : L’Union européenne est-elle un « super État » ?

    Plus qu’une organisation internationale…

    L’Union a dépassé le stade de la simple association d’États (confédération). En effet, elle est dotée d’institutions puissantes, dont une élue au suffrage universel direct (le parlement européen). Ses compétences couvrent les domaines régaliens (monnaie, justice, immigration, etc.). Son droit est supérieur à toute disposition de droit national, même constitutionnelle : en cas de contradiction, le droit national doit être écarté. Elle est financée par des ressources propres. Enfin, une citoyenneté européenne a été créée en 1992.

    … mais pas pour autant un « super État »

    Les États restent les « maîtres des traités », puisque ceux-ci ne peuvent être révisés qu’à l’unanimité des pays membres. Il n’y a ni armée, ni police européennes. Bien qu’elle existe, la citoyenneté européenne s’ajoute à la citoyenneté nationale mais ne la remplace pas. Chaque État dispose d’un droit de retrait, c’est-à-dire d’un droit de sortir de l’Union, qui n’existe pas dans un État fédéral. Enfin, ses frontières sont définies en commun par les États membres.

    Une fédération d’États et de citoyens

    « Objet politique non identifié » (Jacques Delors), l’Union est une fédération d’États et de citoyens, reposant sur un partage de la souveraineté entre les États membres.

     

    Page 50 : L’euro est-il un échec ?

    La fragilité de la zone euro…

    La crise des dettes publiques fait douter de la solidité de l’euro. Elle a débuté fin 2009 en Grèce pour s’étendre aux dettes souveraines irlandaise, italienne, portugaise et espagnole… La sortie d’un ou plusieurs États est évoquée, alors que ses conséquences économiques sont mal évaluées. Cette crise résulte du surendettement des États. Elle révèle aussi que la zone euro, hétérogène, n’est pas une « zone monétaire optimale » (où il est avantageux d’avoir une seule monnaie, grâce à la convergence des fondamentaux économiques –taux de chômage et de croissance, inflation, etc.- et l’absence de chocs asymétriques, frappant ses membres de manière différenciée). L’euro a permis à des États non vertueux de s’endetter à des taux d’intérêt bas, et son appréciation face aux autres monnaies a handicapé les exportations.

    … ne doit pas masquer ses avantages

    L’euro a supprimé les coûts de conversion et de couverture contre les risques de change, diminué les coûts de transactions, et renforcé l’intégration et les échanges commerciaux. Il a acquis un statut international : c’est la deuxième devise la plus échangée, une monnaie de réserve et celle privilégiée avec le dollar pour les émissions de dette. L’inflation a été maîtrisée (2,1 % en moyenne entre 1999 et 2007 contre 7,6 % entre 1980 et 1989), même si l’inflation perçue est supérieure.

     

    Page 52 : Faut-il un gouvernement économique européen ?

    Une coordination insuffisante

    L’euro pâtit d’un déséquilibre entre une politique monétaire unique, gérée par la Banque centrale européenne (BCE), et des politiques budgétaires menées par chaque État, ce qui la rend « boiteuse » (J. Delors). La coordination des politiques économiques se limite au Pacte de stabilité et de croissance (PSC), imposant aux États de respecter deux seuils pour leur déficit (3 % du PIB, sauf récession) et leur dette (60% du PIB). Une procédure pour déficits excessifs peut conduire à des amendes allant de 0,2 à 0,5 % du PIB. Le PSC a été souvent contourné, notamment par l’Allemagne et la France en 2003.

     

    L’indispensable émergence d’un gouvernement économique européen

    L’Eurogroupe, réunion des ministres des Finances de la zone euro, du président de la BCE et d’un commissaire, a été consacré par le traité de Lisbonne. Doté d’un président élu pour deux ans et demi, il renforce la coopération, sans être une instance décisionnelle. La crise de la zone euro depuis 2010 a entraîné l’adoption du « semestre européen » et du « pacte euro plus » pour mieux coordonner les politiques économiques. Le PSC, déjà modifié en 2005, a été réformé en 2011 et en 2013, avec l’introduction de sanctions semi-automatiques et d’une nouvelle procédure de surveillance des déséquilibres macro-économiques. La création d’euro-obligations reste discutée.

     

    Page 93 : Pourquoi créer des « euro-obligations » et en quoi consistent-elles ?

    Les euro-obligations (souvent désignées par leur nom anglais, les « eurobonds ») permettraient aux États membres de la zone euro de lancer des emprunts communs sur les marchés financiers. Ils pourraient ainsi se protéger des attaques spéculatives et mutualiser leurs dettes. Le taux d’intérêt de ces obligations communes devrait correspondre à la moyenne des taux d’intérêt nationaux des États, pondérés par leur poids économique. Les pays les plus fragiles de la zone euro (Grèce, Irlande, Italie, Espagne, Portugal), qui empruntent à des taux élevés, pourraient ainsi bénéficier des taux des États plus solides comme l’Allemagne ou la France.

    De nombreuses options sont envisageables : ces obligations pourraient être émises par un État et garanties par les autres, ou par une agence de la dette pour le compte d’autres États. Les obligations pourraient aussi prendre la forme d’un panier regroupant plusieurs titres de dette émanant de différents États. Le sujet divise beaucoup les États membres : la France et l’Italie y sont très favorables, tandis que l’Allemagne et les Pays-Bas –qui y voient un péril pour la discipline budgétaire- s’y opposent fermement.

     

    Document n°7

    Extraits de Jézabel Couppey-Soubeyran, Marianne Rubinstein, L’économie pour toutes : un livre pour les femmes que les hommes feraient bien de lire aussi, La Découverte, 2014. (Chapitre 9)

     

    Pages 119-120

                Le SME permet donc de créer une zone de stabilité monétaire favorable aux échanges, mais au prix de taux d’intérêt au moins égaux à ceux de l’Allemagne. Alors, comment conserver l’avantage de la stabilité, sans en payer le prix fort ? L’idée de la monnaie unique vient de là : une monnaie unique, parce qu’elle ferait totalement disparaître le risque de change, libérerait chaque pays de la nécessité de soutenir sa monnaie par rapport au mark et réduirait ainsi sa tension sur les taux d’intérêt. En outre, la fin des coûts de conversion stimulerait plus encore les échanges au sein de la zone. Bref, tout le monde y gagnerait !

     

    Pages 122 à 125: l’illusion de la convergence

                Mais c’est au moment où l’on pense être arrivé au but que les choses se gâtent. Quel était le but, au fait ? S’agissait-il juste de créer une monnaie unique, avec une Banque centrale européenne fixant le taux d’intérêt au même niveau pour tous les États membres ? Le projet européen, éminemment politique au départ, économique ensuite, pouvait-il sérieusement se réduire à cela ? Pouvait-on réellement créer une monnaie sans l’adosser à un pouvoir politique ? L’union monétaire ne devait-elle pas s’accompagner d’une union budgétaire (mise en commun d’un budget) et d’une union bancaire (surveillance des banques par une autorité publique) ? Même si ses rédacteurs n’y voyaient sans doute qu’un début, le traité de Maastricht avait évacué toutes ces questions.

                La première grande illusion des États membres fut donc d’imaginer que leur union fonctionnerait sans rien partager d’autre qu’une monnaie et une Banque centrale. La seconde fut de penser que, une fois la monnaie unique adoptée, la convergence entre les économies des États membres se ferait d’elle-même, que la gouvernance politique suivrait le mouvement et qu’il n’y aurait donc pas besoin de renforcer la coopération au moyen d’une organisation fédérale. Autrement dit, on attendait de l’euro et de la politique monétaire qu’ils soient force de convergence entre les États membres.

                Une façon bien commode d’éviter un sujet épineux, celui de savoir si la zone euro serait exposée à des chocs différents selon les pays (les économistes parlent de « chocs asymétriques ») et s’il fallait alors prévoir de quoi y parer. Ainsi, on essayait de se convaincre que seuls des chocs communs (« chocs symétriques ») se produiraient et que la politique monétaire unique serait l’outil parfait pour les gérer. Certes, dès ses débuts, la zone euro avait pour elle un commerce intense entre les États membres, les pays de la zone réalisant en moyenne 60 % de leur commerce avec leurs semblables. C’est d’ailleurs pourquoi ils avaient a priori intérêt à adopter une même monnaie. Mais cela n’empêche en rien que surviennent des chocs asymétriques, en particulier lorsque l’intégration pousse au regroupement des industries dans les mêmes régions ou à la spécialisation, certaines régions devenant alors très dynamiques quand d’autres se retrouvent désœuvrées. Les régions peu diversifiées apparaissent particulièrement fragilisées en cas de choc touchant leur secteur phare.

                À vouloir évacuer la question des chocs « asymétriques », on en a oublié l’enseignement d’une théorie économique fort utile, celle des « zone monétaires optimales » (ZMO), qui a valu à son promoteur, le Canadien Robert Mundell (qui est aussi le père du fameux triangle des incompatibilités), un prix Nobel d’économie. De manière générale, une ZMO rassemble des « régions » qui ont intérêt à adopter une monnaie unique, car elles disposent d’instruments leur permettant de gérer les chocs asymétriques aussi bien, voire mieux qu’avec les variations du taux de change.

                Au préalable, il faut comprendre que, lorsqu’un pays abandonne sa monnaie pour une monnaie unique, il se prive de la variable d’ajustement que pouvait constituer son taux de change. On entend souvent, que du temps du franc, la dévaluation (c’est-à-dire la baisse du taux de change) donnait une bouffée d’oxygène. En effet, quand l’économie d’un pays tourne au ralenti, une baisse de son taux de change équivaut pour les partenaires commerciaux étrangers à une baisse du prix de ses produits. Ceux-ci en achètent davantage, ce qui fait repartir à la hausse les exportations et la croissance, même si cela renchérit les importations (notamment le prix du pétrole).

                Avant le passage à l’euro, les États membres disposaient certes de leur propre monnaie et de leur propre politique monétaire. Pour autant, on l’a vu, ils n’avaient guère les coudées franches pour jouer de leur taux de change quand le Sme fonctionnait, ni d’ailleurs pour fixer un taux d’intérêt. Les pays de la zone euro n’ont donc pas perdu grand-chose en termes d’ajustement par le change (ni en terme de politique monétaire) quand ils sont passés à l’euro. Il n’en demeure pas moins qu’ils ne formaient sans doute pas une ZMO. En effet, ils étaient fort mal équipés pour faire face à des chocs asymétriques.

     

    Pages 125 à 127 :  ZMO toi-même !

                Comment une ZMO peut-elle parer au choc qui affecte une région mais pas les autres ?

                Tout d’abord, grâce à la mobilité de la main-d’œuvre en son sein. Si une région connaît un chômage élevé tandis qu’une autre est florissante, la main-d’œuvre pourra quitter la première pour rejoindre la seconde. Ce faisant, le chômage diminuera dans la première, et les besoins en main-d’œuvre seront satisfaits dans la seconde. Or ce n’est pas le cas dans la zone euro. La main-d’œuvre est peu mobile d’un pays européen à l’autre. Les différences de langue, de culture font que l’on se déplace moins facilement à l’intérieur de l’Union européenne qu’aux États-Unis. Ce n’est peut-être pas une fatalité. Mais il faudra plus que le programme Erasmus d’échange universitaire pour brasser les cultures et favoriser la mobilité intra-européenne. Pourquoi pas un service civique, voire un contrat de travail européens ?

                La mise en commun d’un budget est une autre variable d’ajustement possible, car elle permet d’opérer une redistribution au profit des régions touchées par un choc que les autres ne subissent pas. C’est ce qui se passe, par exemple, entre les régions françaises. Malheureusement, en pratique, le budget de l’Union européenne est maigre, de l’ordre de 1 % de sa richesse globale (il a même légèrement diminué depuis 1999 !). Lors du passage à l’euro, les États membres ont de toute façon renoncé à toute forme de secours mutuel, ce qui fut même présenté comme un gage de discipline budgétaire.

                Enfin, quand les ajustements ne passent ni par des déplacements de main-d’œuvre ni par des transferts budgétaires, ils peuvent, en théorie du moins, s’opérer par des transferts de capitaux privés, des régions où l’épargne est abondante vers celles qui ont besoin de financement. Cela exige que les marchés de capitaux de la zone soient fortement intégrés, c’est-à-dire très ouverts les uns aux autres, ce qu’ils sont devenus effectivement – du moins jusqu’à la crise qui les a fortement recloisonnés. Chaque État membre misait sur ce développement financier salvateur. Mais, loin d’avoir favorisé la convergence, il a au moins creusé les déséquilibres entre les pays du Nord de l’Europe et ceux du Sud, favorisant l’apparition de bulles immobilières, comme en Espagne, sans qu’aucun mécanisme de surveillance financière ne soit mis en place à l’échelle de la zone-il aura fallu la crise pour en comprendre toute la nécessité.

                Bref, la zone euro n’est pas une ZMO ! Cela ne signifie pas qu’il fallait renoncer à l’euro, mais plutôt qu’il aurait fallu d’emblée doter la zone euro d’instruments adéquats (en particulier un véritable budget et des mécanismes de régulation financière à l’échelle de la zone). L’union ne peut pas être seulement monétaire, elle doit également être politique, budgétaire, fiscale et bancaire. De ce point de vue, la crise a un peu déplacé les lignes. Au niveau financier notamment, puisque l’Union bancaire se met en place : la surveillance des grandes banques de la zone s’exercera désormais à l’échelle européenne. D’autres décisions importantes ont été prises, notamment pour mieux contrôler les budgets et les déséquilibres macroéconomiques (soldes commerciaux, évolution des salaires, etc.), mais, globalement, on est encore loin du compte. C’est ce vide institutionnel qu’il est urgent de combler pour que l’on croie à nouveau au projet européen.

               

    Pages 127 à 129 : L’ «europanade » n’est pas une tragédie grecque

                Bon nombre d’hommes politiques en Europe posent pourtant un tout autre diagnostic. Le problème serait dû pour l’essentiel à l’irresponsabilité budgétaire des États membres. Auquel cas tout s’arrangerait en infligeant à chacun une bonne cure d’austérité. Les États membres ont péché, qu’ils fassent pénitence et tout ira mieux (Amen). L’économiste américain Paul Kurgman dénonce avec véhémence cette vision moralisatrice des problèmes de l’Europe. Cette lecture vaut au mieux pour la Grèce, et encore : depuis que ce pays cherche à se refaire une vertu fiscale, ses finances publiques continuent de se dégrader, l’austérité plombant davantage les recettes que els dépenses. Il ne faut donc pas chercher l’origine de cette « europanade » dans la tragédie grecque !

                Les États membres n’ont certes pas tous été des modèles de vertu budgétaire. Mais, hormis la Grèce, ceux qui ont été le plus touchés par al crise, l’Espagne et l’Irlande notamment, avaient, au moment du passage à l’euro, une situation budgétaire aussi bonne que celle de l’Allemagne - juste avant l’enclenchement de la crise en 2007, elle était même meilleure !

                De nombreux économistes partagent donc le point de vue de Paul Krugman et soulignent que les déséquilibres (commerciaux plutôt que budgétaires) se sont formés après le passage à l’euro. En effet, la vertueuse Allemagne a peu à peu dégagé un excédent commercial, tandis que d’autres pays d’Europe (Grèce, Italie, Portugal, Espagne, Irlande et… France !) ont progressivement creusé leurs déficits commerciaux. Sachant profiter de la mondialisation, l’Allemagne a importé des produits à bas coût des pays en développement, les a transformés pour produire des biens qu’elle a ensuite exportés, notamment vers la Grèce, l’Espagne, le Portugal, dont la compétitivité ne cessait de se dégrader.

                Ses excédents, l’Allemagne les a investis là où cela rapportait : en Espagne, par exemple. Du soleil, des plages et un taux d’intérêt bas (désormais fixé par la BCE dans le cadre de la politique monétaire unique) : un joli cocktail pour déclencher un boom de l’immobilier et du crédit. Les flux de capitaux du Nord vers le Sud de l’Europe ont ainsi été intenses dans les années 2000. Rappelez-vous qu’ils étaient censés favoriser al convergence. Mais cela ne s’est pas du tout passé comme prévu ! Entre 200 et 2008, les prix des biens et services ont crû de 35 % en Espagne, contre 10% en Allemagne ; quant aux salaires des Espagnols, ils ont bien plus augmenté que ceux des Allemands. Du fait de la hausse des coûts, les exportations espagnoles sont devenues moins compétitives. Mais, grâce au boom immobilier, l’emploi a continué d’augmenter. La demande n’a donc pas faibli, portée par un crédit à bas taux, car ce n’était plus l’inflation espagnole qui fixait le niveau des taux en Espagne, mais celle de la moyenne de la zone euro. Avec des exportations de moins en moins compétitives et des importations soutenues, le déficit commercial s’est creusé, tandis que la bulle immobilière continuait d’enfler.

                Lorsque cette dernière a éclaté et que la crise financière s’est déclarée, l’économie espagnole, entièrement portée par l’immobilier et la finance, s’est effondrée. Le taux de chômage y atteint aujourd’hui le triste record de la zone euro : 25% de la population active était au chômage en 2013- 27 % des femmes actives et 55 % des actifs de 18-24 ans !  Le sauvetage du secteur bancaire et l’ampleur des dépenses occasionnées par la crise (notamment des indemnités chômage)  ont ensuite mis à mal les finances publiques. La dégradation de ces dernières est une conséquence et non la  cause de la crise dans la zone euro.

     

    Pages 129 à 131 : Alors, austérité ou relance ?

                L’Irlande a aussi été gravement touchée après avoir connu un formidable boom du crédit et de l’immobilier (les deux vont souvent e pair). Son point commun avec l’Espagne ? Un même taux d’intérêt (fixé par la BCE) bas, trop bas pour freiner l’emballement du crédit et empêcher la bulle immobilière de gonfler. La politique monétaire qui convenait pour la moyenne de la zone n’était pas adaptée aux pays en plein boom immobilier. Cela signifie qu’il aurait fallu non pas renoncer à la politique monétaire unique, mais se montrer plus attentif à ses effets, et pour empêcher l’emballement, lui associer une politique de surveillance globale des tendances sur le marché de l’immobilier et sur celui du crédit. Rien de tout cela ou presque n’existait. Ensuite, lorsque la bulle a éclaté, la même polarisation de l’économie sur l’immobilier et la finance (avec toutefois, dans le cas de l’Irlande, un secteur agroalimentaire exportateur net) a eu le même effet qu’en Espagne.

                Quand la finance et le bâtiment se sont écroulés, il aurait fallu que ces pays puissent rebondir grâce à l’industrie... qu’ils avaient laissée péricliter ! L’Irlande a, dit-on, facilement accepté le chemin de croix de l’austérité pour retrouver sa compétitivité. Les coupes budgétaires ont été sévères (augmentation de la TVA, baisses des aides sociales, etc.) et les baisses de salaires importantes. Mais  elle a aussi joué de sa fiscalité attractive, avec un taux d’imposition sur les sociétés de 12,5 %, pour se relancer en attirant à elle des multinationales, notamment celles du secteur des web-technologies, dont le dynamisme n’a d’égal que l’allergie à l’impôt (Facebook, Twitter, Google, LinkedIn, etc.). C’est le genre de solution non coopérative qui n’est efficace que parce que les autres n’y recourent pas ! L’Espagne est davantage à la peine. Même à supposer un sens aigu du sacrifice, la procession risque de durer longtemps et les échines de bien souffrir, s’il faut faire baisser tous les prix –salaires, contrats, loyers, etc.- de quelque 20% pour rejoindre la compétitivité allemande.

                Cela étant dit, même à imaginer que ces pays puissent connaître un véritable choc de compétitivité (ce que l’Allemagne préconise, car elle se l’est infligé suite à la réunification), c’est, comme le remarque avec ironie Paul Krugman, une autre planète qu’il faudra trouver pour y exporter les produits européens –car plus personne, sur le Vieux Continent, n’aura les moyens de les acheter ! Bref, plus que de l’austérité, la sauvegarde viendrait de la relance. Encore faudrait-il en convaincre l’Allemagne, seule capable aujourd’hui de mettre en œuvre une telle relance, elle qui préfère épargner pour l’avenir de sa population vieillissante. Au-delà, c’est dans la compréhension mutuelle et l’entente raisonnée que l’Europe, ce continent si richement doté, trouvera sa force. Ce qui suppose de reléguer dans les livres d’histoire (et non aux oubliettes) la formidable capacité d’autodestruction dont elle a fait preuve dans la première moitié du XXe siècle et que l’on a dépassée dans l’Union, construction imparfaite mais précieuse. À poursuivre donc.

     

    Document n°8

    Extraits de La crise de l’euro, Comprendre les causes. En sortir par de nouvelles institutions, Patrick Artus, Isabelle Gravet, A Colin, 2012.

     

    Pages 73 à 75

    Le fait que la politique monétaire soit commune alors que les situations des pays sont diverses, devrait d’abord être compensé par un plus grand activisme des politiques budgétaires.

    Dans l’analyse théorique la plus simple, la politique monétaire est utilisée pour stabiliser la situation moyenne de l’union monétaire (puisqu’elle est unique), les politiques budgétaires nationales sont utilisées pour stabiliser la situation économique particulière de chacun des pays.

    Les politiques budgétaires de chaque pays devraient donc pouvoir être utilisées beaucoup plus librement pour réagir aux aléas nationaux domestiques dans une union monétaire que dans une situation de changes flexibles.

    Mais les autorités européennes ont fait un choix différent, d’abord avec le Pacte de Stabilité et de croissance, puis avec la Règle d’or qui harmonisent au contraire les politiques budgétaires des différents pays. Le Pacte de Stabilité et de croissance limite en principe le déficit public de chaque pays à 3 % du Produit Intérieur Brut.

    Dans le futur, la Règle d’or doit interdire les déficits publics structurels (c’est-à-dire une fois qu’a été pris en compte l’effet de la position cyclique, conjoncturelle du pays sur les finances publiques) supérieurs à 0,5 % du PIB.

    Si la politique monétaire est commune et si les politiques budgétaires sont harmonisées, l’hétérogénéité des pays ou les chocs asymétriques affectant les pays, ne peuvent pas être corrigés.

    Quel est le fondement des règles budgétaires qui harmonisent les politiques budgétaires des pays de la zone euro alors qu’en principe elles devraient être différenciées ? C’est la croyance en des externalités négatives des déficits publics, c’est-à-dire le fait que si un pays a un déficit public excessif, l’effet induit sur le bien-être des autres pays est négatif (voir encadré 15). Pour empêcher que ces externalités négatives des déficits publics dans une union monétaire n’apparaissent il faut alors limiter les déficits publics, ce qui vient en contradiction avec le besoin accru de stabilisation au niveau national dans une union monétaire puisque la politique monétaire est unique.

    L’autre possibilité pour lutter contre l’hétérogénéité naturelle qui vient de l’unicité des taux d’intérêt dans une union monétaire où les pays ont des taux de croissance différents serait la multiplication des instruments de la politique monétaire.

     

    Pages 74-75 : encadré 15 : externalités des politiques budgétaires dans l’union monétaire

    Le fondement des règles budgétaires de la zone euro est que dans une union monétaire, les déficits publics excessifs génèrent des externalités négatives sur les autres pays de l’union monétaire, c’est-à-dire réduisent le bien-être de ces autres pays.

    Quels sont les arguments évoqués pour défendre la présence de ces externalités négatives ?

    -          -si un pays d’une union monétaire a un déficit public excessif le taux d’intérêt commun moyen de l’union monétaire va s’accroître ce qui est défavorable pour tous les pays ;

    -          -si un pays d’une union monétaire a un déficit public excessif il peut en résulter un déficit extérieur pour l’ensemble de l’union, d’où une dépréciation du taux de change ;

    -          -si un pays d’une union monétaire perd sa solvabilité budgétaire, on l’a vu dans la crise récente, les autres pays peuvent être forcés de le soutenir, une crise financière globale peut apparaître.

    Un déficit public excessif dans un pays d’une union monétaire peut forcer la Banque Centrale à monétiser ce déficit d’où un excès de création monétaire.

     

    Page 91 : extrait de l’encadré 3 : crise des dettes publiques, crise des banques, crise macroéconomique

     

    Document n°9

    Extraits de : Laurent Braquet, David Mourey, Comprendre les fondamentaux de l’économie, De Boeck, 2015

     

    Pages 257-258

    Les avantages et les inconvénients de la monnaie unique

                La monnaie unique a été conçue comme complément du marché unique : l’usage d’une même monnaie permet de faciliter les échanges.

                Les avantages théoriques de la monnaie unique ont été décrits par Michael Emerson, l’un des directeurs de la Commission européenne, dans un rapport publié en 1990. La monnaie unique est censée apporter de nombreux bénéfices microéconomiques :

    -          L’Union économique et monétaire (UEM) permet de réduire l’incertitude liée aux fluctuations des taux de change au sein de la zone, puisque les dévaluations des monnaies nationales peuvent perturber le commerce extérieur (un exportateur a des difficultés à anticiper ses recettes) et le calcul de la rentabilité anticipée des investissements étrangers ;

    -          L’UEM entraîne la suppression des coûts de transaction et favorise le développement des échanges intracommunautaires, puisque les conversions entre les monnaies nationales généraient des coûts sous forme de commission de change (pour les touristes notamment) ;

    -          L’UEM favorise la transparence en termes de prix et de coûts, ce qui améliore les conditions de la concurrence et de la circulation de l’épargne au sein de la zone (allocation du capital plus efficiente), et une baisse des taux d’intérêt favorable à l’investissement productif.

     

    Le projet de monnaie unique visait également des objectifs macroéconomiques :

    -          La mise en place de l’euro devait permettre de partager le pouvoir monétaire au sein de l’UEM. Au cours des années 1980, le fonctionnement du SME est progressivement devenu asymétrique au bénéfice de l’Allemagne, dont la stratégie de taux de change forte et stable a entraîné l’appréciation tendancielle du Deutsche Mark sur le marché des changes. Afin d’attirer les capitaux et d’éviter une dépréciation de leur monnaie, les autres États membres, notamment la France, devaient alors maintenir des taux d’intérêt plus élevés que l’Allemagne (soit une prime de risque), susceptibles de ralentir la croissance.

    -          Le choix d’une Banque centrale indépendante du pouvoir politique et les statuts retenus en matière de politique monétaire devaient permettre de maintenir une inflation faible sur longue période, gage d’un fonctionnement plus efficace des marchés.

    -          L’UEM devait faire de l’euro une monnaie internationale largement utilisée dans les transactions internationales, et une monnaie de réserve pour les banques centrales internationales.

     

    Pour autant, le passage à l’intégration monétaire de s’est pas effectué sans coût :

    -          L’Union économique et monétaire nécessite d’accepter de perdre l’autonomie dans la politique monétaire nationale. Dans un contexte de globalisation financière et de mobilité des capitaux, la fixité des taux de change dans l’UEM fait peser une forte contrainte sur les pays à monnaie faible, condamnés à maintenir des taux d’intérêt élevés pour empêcher les sorties de capitaux. Cette contrainte a été représentée dans le « triangle des incompatibilités » exposé par Robert Mundell (prix Nobel d’économie 1999), selon lequel il est impossible de combiner trois facteurs : les taux de change fixes (comme dans le SME), la mobilité parfaite des capitaux et l’autonomie des politiques monétaires. Lorsque les mouvements de capitaux sont libres, il faut alors choisir entre la stabilité des changes et l’autonomie de la politique monétaire.

    On peut prendre un exemple pour illustrer ce phénomène : supposons que le taux d’intérêt soit 5 % en Allemagne et que le taux de change franc-mark soit stable. Si la Banque de France opte pour une politique monétaire de relance et abaisse son taux d’intérêt à 3 %, les détenteurs de capitaux vont préférer détenir des marks allemands, qui leur rapportent 5 %. Ils vendent donc des francs, et la monnaie nationale se déprécie sur le marché des changes. La Banque de France doit intervenir pour soutenir la monnaie nationale grâce à ses réserves de change et peut être contrainte de remonter ses taux d’intérêt à 5 %.

    Les modalités de la mise en place de la monnaie unique ont ainsi conduit à une perte de souveraineté des politiques économiques des États membres. Ainsi, le transfert de la souveraineté monétaire à la Banque centrale européenne (BCE) implique que chaque État perd sa capacité à stimuler la croissance et l’emploi à court terme et à lutter contre les chocs asymétriques qui touchent son espace national par une stratégie de relance monétaire. La mise en œuvre du « policy-mix », soit la combinaison de la politique monétaire et de la politique budgétaire, est donc plus délicate dans ce contexte institutionnel.

    -Par ailleurs, la politique budgétaire des États membres est encadrée par des règles communes et se trouve subordonnée aux objectifs de la politique monétaire (stabilité des prix), ce qui limite également sa capacité à lutter contre les chocs asymétriques, soit des chocs exogènes qui frappent un État membre de la zone en particulier. Or, c’est en théorie l’autonomie de la politique budgétaire qui est censée amortir ces chocs asymétriques dans une zone où la politique monétaire est unique.

     

    Enfin, l’Union économique et monétaire implique une politique de change unique vis-à-vis des monnaies extérieures à la zone euro (zone yen et zone dollar notamment) : cela signifie que le pays ne peut plus dévaluer sa monnaie pour restaurer la compétitivité de ses exportations sur les marchés internationaux.

     

    Page 259

    Tableau : Les avantages et les inconvénients de la monnaie unique

    Les avantages de la monnaie unique

    Les inconvénients de la monnaie unique

    L’instauration d’une monnaie unique :

    -permet de limiter les incertitudes liées aux fluctuations des cours du change (pour les entreprises notamment) ;

    -entraîne une baisse des coûts de transaction (plus de commissions de change notamment), ce qui favorise un développement des échanges à l’intérieur de l’Union ;

    -garantit une plus grande transparence en termes de prix et de coûts, ce qui améliore les conditions de la concurrence sur le marché unique ;

    -enfin, appuyée sur une vaste zone commerciale, l’euro peut acquérir un statut de monnaie internationale et concurrencer, à terme, le dollar américain en tant que monnaie de facturation des échanges, ou en tant que monnaie de réserve de change des banques centrales.

    Néanmoins, la zone euro demeure une construction institutionnelle originale :

    -elle est caractérisée par une politique monétaire unique mais par des politiques budgétaires nationales ;

    -la politique monétaire de la BCE peut difficilement s’adapter aux conjonctures économiques spécifiques de chaque pays de la zone euro, et les mécanismes solidarité financière entre les pays membres restent limités, en l’absence d’un véritable gouvernement économique de la zone euro, et de mécanismes de redistribution du même type que ceux qui existent dans un État fédéral comme les États-Unis ;

    -la crise des dettes souveraines en Europe a montré que ces contradictions institutionnelles suscitent l’inquiétude des marchés financiers et des agences de notation, qui sont chargées d’évaluer pour les investisseurs les risques des placements associés à chaque pays.

     

    Page 266 : graphique : le système de politique économique de la zone euro