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2017

Publié le 25.11.2017

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Le  Samstag, 25. November 2017

Boom immobilier

Jeco 2017

  • Jéco, 14h-15h30, Conférence

    Jeudi 9 Novembre 2017- salle Molière, quai de Bondy, Lyon

     

    Quelles politiques face aux booms immobiliers et à la crise du logement ?

     

     

    Intervenants :

    Jean Cavailhes : Directeur de recherche émérite en économie à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)

    Pierre-Yves Cusset : Chargé de mission à France Stratégie

    Rémy Lecat : Chef du service d’études sur les échanges extérieurs et les politiques structurelles, Banque de France

    Etienne Wasmer : Professeur de Sciences économiques à Sciences Po

     

    Modérateur : Isabelle Rey-Lefebvre, Le Monde

     

     

    Présentation du thème dans le programme des Jéco :

     

    Comme d’autres pays, la France a connu un boom des prix immobiliers dans les années 2000, mais contrairement à la plupart des pays concernés par un boom, aucun ajustement significatif n’est venu le corriger par la suite. L’offre de logement est mal répartie sur le territoire et le mal logement représente 4 millions de personnes selon la Fondation Abbé Pierre. Face à cette situation, la politique macroéconomique est mal adaptée et la politique du logement représente un coût relatif particulièrement important pour une efficacité réduite (cf. notamment rapport de l'IGF, de l'Igas et du CGEDD, 2015). Cette session abordera à la fois la gestion macroéconomique du marché immobilier et les pistes d’amélioration de la politique du logement.

     

    Vidéo de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=qBPVbRsfVWo

     

     

    Compte-rendu intégrant quelques réponses aux questions de l’auditoire

     

     

    Présentation par Isabelle Rey-Lefebvre :

    Nous observons un intérêt renouvelé pour le logement comme question économique depuis la crise de 2008 venue de l’immobilier, et comme question économique, sociologique et politique avec « l’abordabilité » du logement et les dégâts sociaux et économiques (4 millions de mal-logés) pesant sur la compétitivité française.  Quelle politique mener contre la cherté du logement et ses conséquences économiques et sociales ? La stratégie logement du gouvernement[1] consiste par exemple à mettre la pression sur les organismes HLM pour qu’ils diminuent les loyers à partir du 1er janvier 2018.

     


     

    Exposé de Rémy Lecat :

    Où en est le marché français de l’immobilier ? Ce marché présente deux spécificités :

    • Après la très forte hausse des prix de l’immobilier avant la crise de 2008, la correction a été très limitée après la crise (mini baby-boom, baisse des taux d’intérêt, allongement de la durée des prêts ce qui solvabilise la demande). Pas de boom de la construction avant la crise.
    • Une hausse de la capacité d’emprunt des ménages après la crise avec la diminution des taux d’intérêt et la hausse de la durée des crédits, la politique d’octroi de crédit des banques est prudente et permet de contenir le service de la dette. Les banques sont déterminées par les capacités des ménages à rembourser leurs emprunts et non par une valorisation de l’immobilier.

    NB : parmi tous les dossiers de surendettement traités par la Banque de France, très peu sont liés aux crédits immobiliers. En France, en moyenne un ménage sur deux n’est pas endetté (ni crédit immobilier, ni crédit à la consommation).

     

    Que faire face à une bulle immobilière ?

    Une bulle immobilière désigne la hausse du prix des actifs liée au fait que les agents anticipent que les prix vont continuer à augmenter, ils anticipent donc une plus-value. Cette anticipation conduit effectivement le prix des actifs immobiliers à augmenter mais celui-ci se déconnecte des fondamentaux (l’offre de logement, la capacité d’emprunts des ménages, les ressources des ménages). De nos jours nous ne sommes pas dans une bulle immobilière, cette composante a existé avant la crise de 2008.

    Une réponse face à une bulle immobilière est une politique macroprudentielle. Il s’agit de limiter le risque systémique c’est-à-dire un dysfonctionnement du système financier dans son ensemble qui dégrade sa fonction d’offre de services financiers. La politique macroprudentielle consiste d’abord à communiquer des recommandations aux acteurs. Ensuite elle conduit à mettre en place des outils contraignants :

    • visant l’emprunteur : fixation de conditions d’octroi du crédit plus restrictives,
    • visant le prêteur : coussins de fonds propres = il s’agit d’augmenter les fonds propres face aux risques pour diminuer l’aléa moral, il s’agit aussi de durcir des exigences prudentielles (pilier 1, grands risques, liquidité : cf. accords de Bâle III). Les actifs sont pondérés par les risques.

     

    Il peut y avoir également des éléments de politique structurelle qui permettent d’éviter les bulles immobilières. La réglementation a un rôle important à jouer : contraintes physiques avec les plans locaux d’urbanisme (PLU). Si l’offre de logements réagit à la demande, la bulle est contrecarrée.

     

    Exposé de Jean Cavailhes

    Il existe plusieurs explications à la hausse du prix de l’immobilier : la politique macroéconomique, la politique du crédit, l’économie urbaine et l’économie géographique. Un facteur occupe une place prépondérante en France : le prix du foncier.

    Économie urbaine : prix du foncier = f (démographie, revenus, coût de commuting : coût des migrations alternantes, élasticité offre, demande)

    Économie géographique : prix du foncier = f (économies d’échelle et d’agglomération : tendance à regrouper des entreprises et des ménages dans de grandes métropoles)

     

    Des données de l’INSEE (comptes de patrimoine) montrent qu’entre 1978 et 2010 les prix de l’immobilier ont doublé. Ces prix ont deux composantes : la valeur des constructions et la valeur du foncier. La vraie flambée des prix concerne la valeur des terrains (elle représentait 50 % du revenu national en 1970 contre 250 % dans les années 2000).

    La hausse des prix n’a pas été uniforme. Les métropoles sont en situation de surchauffe, ce qui n’est pas le cas de petites villes, des zones rurales. L’INSEE a effectué un zonage : 6 aires urbaines millionnaires ou semi millionnaires attirent non seulement les populations mais aussi les emplois, ce sont des métropoles intégrées dans la mondialisation.

     

    Dans les aires périurbaines on a un espace mixte agro-forestier et urbain. Le PLU délimite ce qui peut être construit.

    Les leviers d’action possibles sont d’agir sur la constructibilité de zones non agricoles des PLU. Cela libère des terrains à bâtir près de la métropole. On rapproche les populations des métropoles, cela réduit les émissions de gaz à effet de serre. On relâche la pression foncière d’une zone mais on l’accroit sur une autre. On a aussi des pertes d’aménités vertes recherchées par les ménages. Finalement on a beaucoup de perdants : les propriétaires (dans la ville et dans les villages car les rentes foncières baissent), les maires, des agriculteurs et peu de gagnants : les locataires, les néo-accédants et quelques agriculteurs qui réalisent une plus-value. C’est une politique qui n’est pas populaire, donc si on décentralise cette politique, elle ne fonctionnera pas, les maires ne prendront pas la décision.

     

    En conclusion si on veut créer un choc d’offre dans une zone tendue, il faut créer un choc de l’offre foncière. Il faut donc ouvrir de nouveaux terrains à la construction. Cette solution n’est pas originale : D Ricardo et von Thünen avaient déjà montré l’importance des rentes foncières.

    Le marché de l’immobilier n’est pas assez fluide à cause des coûts de mutation, des coûts de la mobilité. Supprimer les droits de mutation peut fluidifier le marché.

    On peut se demander si l’étalement urbain (ex : Saclay) est vraiment la solution. Pour les emplois on peut construire des tours plus hautes mais Paris fait partie des villes les plus denses du monde. De nos jours on choisit plutôt de construire des immeubles collectifs de plus en plus bas (3 étages) car les coûts augmentent avec la hauteur (réglementation thermique, normes de sécurité…). On peut se demander si à long terme on aura suffisamment de patrimoine vert, si l’étalement urbain ne va pas créer plus de pollution, d’embouteillages.

     

    Exposé d’Étienne Wasmer :

    Il faut parler des prix de l’immobilier. La situation de Paris est problématique : certains salariés paraissent très bien payés mais ils ne parviennent pas à se loger à Paris. Ils subissent les inconforts (retards, insécurité) des transports.

    On peut aussi se poser la question de la déconnection entre les achats immobiliers et les locations car en moyenne les loyers ont augmenté beaucoup moins vite que le prix des logements entre 1985 et 2010.

    La théorie de la rente d’enchère nous enseigne que la différence de prix entre le centre et la périphérie provient des coûts généralisés de transport (le transport mais aussi la fatigue…).

    Dans le cas du logement coexistent un marché libre (achat et vente, et nouveaux baux dans le locatif privé) et un marché contrôlé (secteur social, anciens baux). La variation des loyers n’est pas la même sur les deux marchés.

     

    La problématique fondamentale est d’arbitrer entre deux objectifs contradictoires :

    • La non-ségrégation sociale : des logements sociaux en centre-ville, cependant la substitution parc privé/parc social crée une mésallocation des gens dans l’espace (certaines personnes logées dans des logements sociaux de centre-ville ne souhaitent pas vivre en centre-ville, des personnes vivant dans les villes plus éloignées auraient voulu être dans le centre-ville).
    • La diminution des coûts moyens de l’immobilier dans l’agglomération.

    La solution est d’arbitrer par des politiques du transport. C’est ce que fait la société du Grand Paris[2] dont l’objectif est de doubler le métro parisien (le Grand Paris Express). Des estimations montrent que cela fera diminuer de 3 % les coûts de transport généralisés et de 1,7 % les prix de l’immobilier dans le secteur libre. Cela devrait amener à des gains de bien-être mais on aura peu de gains d’emplois[3].

    En conclusion, des transports publics fiables, efficaces, sûrs constituent une bonne politique pour diminuer le prix du logement au centre des agglomérations.

     

    Exposé de Pierre-Yves Cusset

    Le bilan de la politique du logement n’est pas si négatif.

    Dépenses : 41,7 milliards d’euros en 2016, surtout allocation logement

    Recettes : 68 milliards en 2016 : taxes sur les « producteurs de services de logements », TVA, droits de mutation.

    La politique du logement comprend les réglementations techniques et les règles d’urbanisme.

     

    Quelques idées reçues et des données pour les contrer.

     

    On ne construit pas assez ?

    1968-2013 : la population a augmenté de 28 %, la construction de résidences principales a augmenté de 76 %. On a de plus en plus de logements pour 1 000 habitants. Seuls l’Espagne et le Portugal ont plus construit que la France. Depuis les années 1980 la France a beaucoup plus construit que le Royaume-Uni par exemple mais on y construit plus en province qu’en région parisienne. Paris a construit à un rythme comparable à d’autres grandes villes : Londres, New York.

    Les logements sociaux : pas assez ciblés ?

    Historiquement les logements sociaux étaient destinés aux ouvriers et pas aux pauvres (2ème moitié du XIX). L’instauration d’un plafond de ressources date de 1954. Le plafond est relativement élevé : 70 % de ménages éligibles mais on a une « spécialisation » de plus en plus vers les ménages les plus pauvres.

     

    Le mal-logement : un fléau en progression ?

    1984 : on avait 31m2 par personne en moyenne contre 40 m2 en 2013. Le surpeuplement a été divisé par deux entre 1968 (16%) et 2013 (8%). Le confort est en progression : eau courante, WC, baignoire/douche.

    Mais on voit augmenter le nombre de sans domicile (personnes dans les hôtels, dans les CADA : centres d’accueil des demandeurs d’asile) et réapparaître des bidonvilles (notamment dans les DOM-TOM).

     

    Cela coûte de plus en plus cher de se loger ?

    On a une paupérisation relative des locataires par rapport aux propriétaires qui sont plus jeunes et plus souvent au chômage. La qualité des logements loués augmente : m2 par personne, équipements. Le taux d’effort pour se loger est passé de 16 % en 2001 à 18 % en 2013 mais ce taux a beaucoup plus augmenté pour le premier quartile de revenu et pour les locataires du secteur libre, et comparé à d’autres pays de l’UE notre situation est plutôt favorable.

     

     

    En conclusion, une politique à laquelle on demande trop avec des objectifs variés :

    • Politique sociale : soutien aux revenus modestes
    • Politique de l’emploi : relance grâce au bâtiment
    • Lutte contre le travail au noir : TVA à taux réduit dans la construction et les travaux
    • Politique de l’environnement : éco-prêt, normes thermiques…
    • Politique de cohésion sociale voire de « peuplement » (loi SRU) qui peut être en contradiction avec l’objectif de favoriser un logement bon marché.


    [2] Pour en savoir plus : https://www.societedugrandparis.fr/

    [3] Voir l’étude de Bono, Chapelle et Wasmer (janvier 2017) http://www.sciencespo.fr/liepp/sites/sciencespo.fr.liepp/files/Pr%C3%A9sentation_LIEPP_SGP.pdf (la diapo 5 illustre la théorie de le rente d’enchère)