Comprendre et repérer

Publié le Jan 29, 2018 Modifié le : Nov 29, 2018

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Le  Monday, January 29, 2018

L’inclusion des EIP - Lucie CRAMPETTE

Eléments d’analyse à partir de l’étude de l’enseignement de la démonstration en classe de mathématiques au collège et en rééducation.

  • Depuis deux décennies, dans un premier temps par le biais des associations de parents, puis dans les textes prescriptifs, l’attention se porte sur la situation apparemment paradoxale de ces élèves qui, bien qu’ayant des capacités intellectuelles,  ne réussissent pas dans les apprentissages scolaires. Ce paradoxe entre aptitudes intellectuelles élevées et difficulté scolaire fait partie de la première catégorie de recherches actuelles (Tordjman, 2005) ; la deuxième catégorie de recherche est relative à l’adaptation des programmes scolaires et aux parcours scolaires envisageables pour ces élèves.

     

    Ces deux axes de recherche sont apparus dès les premiers résultats des tests de mesure du développement intellectuel. La première échelle métrique de l’intelligence a été mise au point en 1905 par Binet et Simon, à la demande du ministère de l’Instruction publique qui souhaitait pouvoir identifier les élèves avec un retard mental. Binet attira l’attention dès 1911 sur ces enfants apparemment « trop intelligents » pour qui l’enseignement n’était pas mieux adapté. Dans Idées modernes sur les enfants, il brossait le portrait d’un élève qui avait obtenu d’excellents résultats à son test : « Voici encore l’écolier qui ne profite pas de l’enseignement, pour une raison qui est vraiment paradoxale : il est trop intelligent (...). Ils (les élèves qui ont de très bons résultats à son test) ne travaillent que par caprice ; n’apprennent leurs leçons qu’au dernier moment ; ils sont volontiers insubordonnés ; ils font des devoirs qui n’ont pas été donnés pour se singulariser » (Binet, 1911 p 109).

     

    La France, pionnière dans la conception de ces tests, ne s’est emparée de cette question d’un point de vue politique éducative que bien plus tard. Il aura fallu attendre presque un siècle pour que cette question apparaisse dans l’espace des prescriptions. Suite au rapport Delaubier (2002) et à la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école qui prévoit, dans son article 27 codifié 321-4, (2005, p 441) « une meilleure prise en charge des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières et qui montrent aisance et rapidité dans les activités scolaires », deux Bulletins officiels (le n°38 du 25 octobre 2007 et le n°45 du 3 décembre 2009) ont soulevé le paradoxe mentionné ci-dessus.

     

    Les enjeux pour les enfants, les familles et l’institution ne sont pourtant pas des moindres.

     

    Une part importante de la population dite « intellectuellement précoce » (le tiers ? le quart ?) rencontrerait des difficultés, parfois graves dans son parcours scolaire (Delaubier, 2002).

     

    Face à cette situation, les parents se sont groupés en associations et sollicitent les responsables de l’éducation nationale pour demander une meilleure réponse aux besoins de leurs enfants. Dans le chapitre 1, Réclamations adressées par les usagers, du rapport 2002, le médiateur de l’éducation nationale mentionne ces difficultés d’intégration et constate une attention parfois insuffisante de l’éducation nationale vis-à-vis de cette réalité et en appelle à l’élaboration de solutions personnalisées.

     

    Le système éducatif, quant à lui, peut difficilement concevoir de laisser de  côté certains élèves et ne pas conduire chacun au plus haut niveau de réussite. Binet (1911, p109) soulevait déjà cet enjeu en disant qu’ « un enfant d’intelligence supérieure est une force à ne pas laisser perdre ». Cet enjeu est d’ailleurs réaffirmé dans la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005.

     

    D’après les recherches en psychologie, ces difficultés d’adaptation tiendraient à deux décalages (Vrignaud P., 2006). Un premier décalage serait induit par l’écart entre les capacités cognitives des EIP et les apprentissages scolaires, adaptés à un niveau moyen de développement cognitif, qui ne les motivent pas et ne mobilisent pas leurs compétences ce qui pourrait entraîner un désinvestissement scolaire. Le second type de décalage serait induit par des différences entre des domaines cognitifs où les EIP sont en avance et les domaines conatifs et psychomoteurs où ils seraient à l’heure voire en retard.

     

    D’après le rapport Delaubier, la difficulté centrale recensée pour ces élèves serait la faible capacité à s’adapter aux situations scolaires. Ce problème d’intégration serait notamment marqué dans des domaines où ils éprouvent
    des difficultés, en raison des dyssynchronies (Terrassier J-C., 1999) entre la précocité intellectuelle et la maturation psychomotrice ou affective.

     

    Les recherches en neurosciences de cette dernière décennie apportent un regard nouveau sur un fonctionnement cognitif particulier. Les résultats obtenus notamment  grâce aux  techniques d’imagerie cérébrale montrent une organisation spécifique du fonctionnement des hémisphères cérébraux qui peut interroger les pratiques et ouvrir de nouvelles pistes. En temps qu’enseignante, j’ai été confrontée au paradoxe que vivent certains de ces élèves. J’ai accueilli un élève exclu d’une autre école, qui refusait les tâches scolaires notamment quand il s’agissait de s’exprimer à l’écrit. Par la suite, je me suis aperçue que cette attitude était modulée selon les disciplines scolaires. L’équipe pluridisciplinaire a, dans un second temps, pu établir une précocité intellectuelle et mes lectures m’ont alors permis de commencer à faire accepter à cet enfant « son métier d’élève » (Perrenoud, 1994). La prise d’informations n’a cependant pas été aisée car, en France, la rareté des travaux scientifiques sur le sujet constitue une difficulté majeure (Delaubier 2002). Je suis aujourd’hui confrontée à cette difficulté en tant que Principale adjointe et c’est pour cette raison que j’étais fortement intéressée de participer au groupe de pilotage académique sur le sujet à la demande de Mme Perez-Wachowiak, IA-IPR chargée de mission sur les EIP. Enfin, cette thématique fait partie de celles que je souhaite aborder en tant que formatrice que ce soit en formation initiale ou continue.

     

    Il m’a semblé intéressant d’aborder ces difficultés à travers deux vecteurs incontournables dans notre école : l’écrit et les mathématiques.

     

    L’écrit est au carrefour de deux dyssynchronies : il a la particularité d’être un domaine qui, d’une part, demande une maîtrise du geste et qui, d’autre part, renvoie, sous certains aspects, à la norme. En outre, le rapport à l’écriture a un rôle central à l’école. Le rapport "scriptural-scolaire" impose une mise à distance de l'expérience, une objectivation et une décontextualisation et il conditionne la réussite à l'ensemble des tâches scolaires (Lahire B., 1993). Il organise une certaine forme de pensée. Enfin, l’écrit est inhérent à la forme scolaire (Guy Vincent, 1980). Celle-ci est centrée sur la transmission de contenus, et sur une règle impersonnelle qui régit les relations. En délimitant un espace spécifique et une temporalité spécifique, elle crée une forme particulière d’enseignement. Elle construit un rapport distancié au langage dans la mesure où cela s’effectue au travers d’une relation privilégiée à la culture écrite (Reuter Y., 2008).

     

    Les mathématiques ont, quant à elles, une place particulière dans notre système scolaire. C’est la matière synonyme d’excellence dans les concours. Ce n’est pas anodin si plus de 50% des élèves français se sentent très tendus quand ils font un devoir de mathématiques, et que 75% des jeunes de 15 ans s’inquiètent à l’idée d’avoir une mauvaise note en mathématiques (PISA 2003). Dans cette discipline un élément cumule notamment les difficultés évoquées précédemment :  la démonstration qui est une forme spécifique de raisonnement.

     

    L’apprentissage de ce type de raisonnement va donc nécessiter l’apprentissage d’une norme spécifique qui demande un fonctionnement cérébral spécifique à mettre en perspective avec un fonctionnement de pensée et un fonctionnement biologique particulier (Magnié, Vaivre Douret, Revol). Il va, en outre, faire écho à l’importance de la motivation et rapport à l’estime de soi dans un écrit.

     

    Aussi, cette recherche tentera-t-elle d’apporter un éclairage sur l’inclusion des élèves intellectuellement précoces (EIP) en mettant en lumière des démarches pédagogiques utilisées ou envisageables au regard des recherches en didactique, en psychologie et des découvertes de cette décennie en neurosciences en choisissant comme focus l’étude de l’enseignement en collège de la démonstration et du raisonnement déductif en rééducation.

     

    Apres avoir analysé de manière théorique le fonctionnement spécifique des EIP et le type particulier d’écrit qu’est la démonstration, nous développerons les choix méthodologiques effectués. Enfin, dans la troisième partie nous procéderons à l’analyse des données et envisagerons certaines perspectives au sein de la classe.

     

     

    Sommaire

    1.  Cadre théorique de la recherche

    1.1 De qui et de quoi parle-t-on ?

    1.1.1 Des terminologies qui sous-tendent des concepts

    1.1.2 Vous avez dit intelligence?

    1.2  Aspects psychologiques et mode de pensée

    1.2.1 Aspects developpementaux et Décalages

    1.2.2 Profil psychologique et caractéristiques socio-affectives

    1.2.3 Un style cognitif

    1.3 Une structure et un fonctionnement cérébral particulier?

    1.3.1 Structure cérébrale

    1.3.2 Equipotentialité des hémisphères ?

    1.3.3 Garder une motivation

    1.4 La démonstration

    1.4.1 Un écrit

    1.4.2 Particularités du raisonnement attendu

    2 Cadre méthodologique de la recherche

    2.1 Les EIP des EBEP particuliers

    2.2 Choix des personnes concernées par ce recueil d’étude

    2.2.1 Au sein de l’Education Nationale

    2.2.2 Des partenaires...

    2.3 L’approche des pratiques par l’analyse de l’activité :

    2.3.1 La notion d’activité

    2.3.2 Choix de techniques d’entretiens

    2.3.3 Eléments du recueil

    3 Des démarches pédagogiques qui répondraient à ces caractéristiques et qui
    favoriseraient l’intégration de ces EBEP ?

    3.1 Données recueillies

    3.1.1 Les situations concernées par les entretiens

    3.1.2 Retour à froid des professionnels partenaires

    3.1.3 Retours des élèves

    3.2 Analyse des données

    3.2.1 Comprendre le sens

    3.2.2 Structurer le raisonnement

    3.2.3 Le passage à l’écrit et le recours à l’oral

    3.2.4 La place de l’émotionnel

    3.3 Synthèse des données