Interview de Jean-Michel BLANQUER au JDD, 30 septembre 2018
« Le latin continuera de rapporter des points au bac. »
La réforme du bac inquiète beaucoup les professeurs de latin et grec. Allez-vous revoir votre copie ?
Il n’y a aucune inquiétude à avoir. Depuis mon arrivée, nous menons au contraire une politique extrêmement volontariste. Car ce qui se joue avec les langues anciennes, c’est notre capacité à avoir des racines et des ailes. Le latin et le grec sont la sève de notre langue. Nous devons les cultiver, et les considérer, non pas comme des langues mortes, mais comme l’essence vitale de notre langue. C’est un enjeu majeur de civilisation.
Comment les cultiver ?
Nous avons déjà pris des mesures pour revitaliser cet enseignement. Cela commence dès l’école primaire : l’ancrage des savoirs fondamentaux, ma première priorité, repose beaucoup sur le vocabulaire, donc sur l’étymologie. Et cela continue au collège : l’enseignement des langues anciennes a été rétabli là où il avait été supprimé lors de la réforme du collège de 2015. Ceci nous a permis d’avoir 17.000 élèves latinistes de plus à la rentrée 2017. Un chiffre qui augmente encore à cette rentrée 2018.
Que faites-vous pour le lycée ?
Non seulement il n’y a aura pas de régression, mais il y aura des progrès. D’abord, nous créons un nouvel enseignement de spécialité, Langues et Cultures de l’Antiquité, qui fera partie des 12 disciplines proposées à la rentrée 2019 : quatre heures en première, six heures en terminale. C’est une innovation considérable. Puis nous maintenons la possibilité d’avoir une option latin ou grec : 3 heures par semaine, à tous les niveaux du lycée.
Mais avec la réforme du bac, le coefficient trois de l’option latin disparaît, ce qui risque de démotiver les élèves…
Ces inquiétudes n’ont pas de fondement. Le latin et le grec seront pris en compte dans la note de contrôle continu et seront, en plus, les deux seules options qui rapporteront des points bonus dans le nouveau baccalauréat. Les points obtenus au-dessus de dix en première et terminale compteront, pour un coefficient trois, en plus du total des notes qui entrent dans le calcul final. C’est un avantage comparatif unique que j’assume pleinement. En ce début de XXIe siècle, nous devons avoir un renouvellement complet du latin et du grec, aussi bien par une hausse du nombre d’élèves concernés, que par un approfondissement pour ceux qui choisissent ces matières.
Les professeurs craignent que cet enseignement de spécialité LCA soit proposé dans très peu de lycées…
Ce ne sera pas le cas. Nous allons constituer une carte, au niveau de chaque académie comme au niveau national, de l’implantation de ces spécialités. Cela permettra de proposer cet enseignement, non pas à chaque fois, mais souvent. Et pour les élèves qui seraient trop éloignés des lycées offrant cette spécialité, la Maison numérique des humanités, que nous allons créer, proposera notamment des cours à distance.
Combien d’établissements offriront ce parcours dans chaque académie ?
Tout sera précisé en janvier. Mais personne ne doit en douter : je suis le défenseur absolu des langues anciennes. Je ferai moi-même la promotion des parcours d’excellence, du collège au lycée, notamment dans les établissements les plus défavorisés. Le latin et le grec ne sont ni désuets, ni élitistes, c’est même tout le contraire. Ils sont très modernes et peuvent être un élément de justice sociale et d’intégration. Les enjeux de civisme et de laïcité ont évidemment des racines grecques et latines. Les langues anciennes sont une école du bonheur et du discernement.
Dans beaucoup de collèges, le nombre d’heures maximal en latin n’est pas atteint.
Que ce ne soit pas parfaitement homogène, j’en suis conscient. Dans le passé, certains se sont crus modernes en encourageant le déclin du latin et du grec. Nous devons nous battre contre cela. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour. Nous allons, année après année, regagner le temps perdu.
En quoi les langues anciennes restent-elles essentielles ?
Le latin et le grec représentent un enrichissement, avec une dimension littéraire mais aussi logique. J’invite chacun à regarder sur Youtube la vidéo de Marcel Pagnol, expliquant que les latinistes font de meilleurs scientifiques. C’est aussi une ouverture au monde. J’observe que l’Espagne, l’Italie ou le Portugal ont un nombre d’élèves latinistes plus important que le nôtre. Nous devons faire aussi bien qu’eux. Et montrer à nos jeunes qu’en prenant ces options, ils s’ouvrent vers les autres langues latines, notamment le portugais, l’espagnol, l’italien …
Vous-mêmes, avez-vous étudié le latin et le grec ?
Trop peu. Comme beaucoup d’élèves, j’ai fait du latin de la cinquième à la troisième. Je regrette de ne pas avoir continué au lycée. Après, j’ai approfondi par moi-même certaines choses. Et je me suis beaucoup intéressé au droit romain en tant que professeur de droit. J’ai des citations latines en tête. Tel In medio stat virtus, « au milieu se tient la vertu », un adage très macronien. Ou bien la définition du droit, comme Ars boni et aequi, « l’art du bien et du juste ». Les adages latins nous parlent de la vie sur un mode éternel.
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