Pour définir un projet de formation, l'élève, de surcroît en difficulté, doit pouvoir découvrir ses goûts, aptitudes et champs des possibles en explorant et en s'exerçant
Contribution de Gilles Muller, directeur adjoint chargé
de la SEGPA, collège A. Daudet à Istres (13)
L’orientation après la 3ème Segpa doit répondre à une injonction paradoxale : ce sont les élèves les plus en difficulté, donc le moins en capacité de se projeter à long terme, que l’on sollicite le plus tôt pour se prononcer sur le domaine d’activité qu’ils envisagent pour leur avenir. Encore récemment, l’Éducation nationale se donnait pour objectif d’amener ces élèves à une qualification de niveau V (CAP) leur donnant accès au marché de l’emploi. Il s’agissait donc bien, pour les enseignants de SEGPA, de demander à des jeunes de 16 ans de se prononcer sur un choix de métier.
La situation a heureusement évolué ces dernières années : la possibilité donnée aux lycées professionnels de proposer une poursuite d’études après le CAP (Brevet Professionnel, Bac pro ...) fait que de plus en plus d’élèves issus de SEGPA continuent leur cursus et réalisent de véritables parcours de formation (approfondissement, diversification). C’est donc sans langue de bois que nous demandons maintenant à ces élèves de choisir un domaine vers lequel ils souhaitent orienter leur scolarité. Dans cette optique, nous avons mis en place un accompagnement renforcé dans la construction de leur projet.
L’éducation à l’orientation est fondée sur 3 axes principaux :
- la connaissance de soi,
- la connaissance des formations et métiers,
- la mobilité géographique.
Le projet que nous avons élaboré vise plus particulièrement les axes deux et trois que nous avons choisi de travailler séparément : nous avons évacué le problème des transports, pour la découverte des formations, en amenant les élèves sur les lieux d’activités et nous travaillons la mobilité dans le cadre d’un projet connexe mené de la 6ème à la 3ème.
La découverte des formations
Initialement, la découverte des formations en lycée professionnel se faisait sous forme de mini stages : l’élève était accueilli au sein d’une classe pour une observation d’une demi journée (parfois, mais rarement, une journée). Convoqué individuellement, il devait s’y rendre par ses propres moyens. Cette modalité, impliquant une organisation nébuleuse et donc compliquée à gérer pour les lycées, a engendré deux problèmes de fond :
- La difficulté, pour un élève de Segpa, de mener en autonomie une observation et d’en tirer une analyse pertinente.
- Un absentéisme très important (en moyenne 50% chaque année), lié notamment au manque d’autonomie dans l’utilisation des transports en commun.
C’est ce qui nous a conduits à mener une réflexion sur le contenu et l’organisation de ces mini stages, sur la base d’une réglementation nouvelle pour la mise en place de l’Orientation Active Accompagnée (O2A), qui préconisait des journées d’immersion en lycée professionnel.
Nous avons proposé aux lycées professionnels de recenser les demandes, pour chaque spécialité, des élèves des quatre SEGPA du bassin (aujourd’hui inter-réseaux), afin qu’ils puissent en retour planifier des journées d’accueil spécifiques, chaque professeur d’atelier étant alors sollicité pour prévoir une activité de découverte mais n’ayant plus, en contrepartie, à accueillir des élèves de manière dispersée sur une période de plusieurs mois.
Accompagnés par un professeur d’atelier de SEGPA sur la journée, les élèves sont guidés lors de l’observation et de la manipulation. Ils sont aussi aidés pour expliciter leur ressenti qu’ils ont à écrire sur une fiche d’évaluation, où le professeur accueillant indique par ailleurs son avis sur quelques compétences transversales observées de l’élève.
Les retours sur ces journées sont positifs à tous les niveaux :
- d’une part les élèves expriment généralement un ressenti favorable sur l’activité qu’ils ont vécu, y compris lorsqu’ils écartent la spécialité de leur choix futur ;
- d’autre part les enseignants de SEGPA et de lycée professionnel apprécient de pouvoir à cette occasion échanger de manière fructueuse sur leur pratique et sur les attendus de la formation concernée ;
- enfin on a pu observer, lors de réunions de réseau, que la perception des élèves de SEGPA par les professeurs de lycée professionnel a évolué très positivement : les réticences exprimées lorsque tous les CAP ont été ouverts à ces élèves, et notamment sur certains CAP réputés un peu plus difficiles (Petite enfance, Electricité..), n’ont plus cours à ce jour.
Depuis la mise en place de cette modalité, nous avons pu constater aussi bien des confirmations de choix d’orientation que des infirmations, ce qui témoigne d’une démarche réellement "éclairée".
Le projet mobilité
L’éducation à la mobilité fait l’objet d’un projet spécifique conjoint entre les SEGPA des collèges Miramaris et Daudet, mené sur les quatre années de la SEGPA.
Chaque niveau organise une sortie à laquelle il invite son homologue de l’autre collège (donc deux sorties annuelles). Les élèves qui invitent constituent préalablement un dossier comprenant :
- le déroulé de la journée (destination, activités...),
- les horaires et les lignes de transport à emprunter (aller et retour) pour se rendre des deux collèges à la destination choisie.
Ils transmettent ensuite ce dossier aux élèves invités. Les thèmes se complexifient à chaque niveau, se déclinant de la manière suivante :
6ème : "Viens découvrir les espaces naturels qui m'entourent", une randonnée sur le Domaine de Cabasse à Miramas ou une randonnée à La Romaniquette à Istres.
5ème : "Viens découvrir ma ville", des jeux de découverte et des visites culturelles dans chaque ville accueillante.
4ème : "Viens découvrir une ville alentour", Port-de-Bouc (organisée par Miramaris) ou Martigues (organisée par Daudet). Ces deux villes accueillent quatre lycées professionnels (trois publics et un privé) offrant treize CAP différents. Ces sorties offrent l’occasion de repérer l’itinéraire pour y accéder.
3ème : "Rendez-vous en terre inconnue", Arles (train, bus) et Marseille (train, bus, métro, ferry boat) avec visite de différents musées.
Les sorties ont lieu au cours de trois "semaines de mobilité" que nous avons planifiées sur l’année, et durant lesquelles le niveau 4ème va par ailleurs bénéficier d’un échange d’atelier : les élèves de Miramaris viennent découvrir le champ "Espace Rural Environnement" à Istres pendant que ceux de Daudet sont accueillis sur le champ "Vente Distribution Logistique" à Miramas.
Cette démarche a permis de limiter fortement les choix d’orientation axés sur la proximité géographique des lieux de formation, au détriment des réelles aspirations de l’élève. Istres bénéficiant d’une position géographique centrale dans le bassin de formation, c’est surtout pour les élèves de Miramas, plus excentrée, que l’évolution est la plus tangible : depuis deux ans, les 41 sortants ont été affectés sur 20 CAP et 2 Bac Pro répartis sur 15 établissements différents.
Le bilan
Le dispositif de découverte des formations monte en puissance : la première année (2016/17), quatre lycées professionnels publics nous ont proposé sept journées de découverte concernant neuf CAP. Progressivement, nous sommes arrivés pour l’année 2019/20 à ce que cinq lycées profesionnels publics (sur les six que compte l’inter-réseau), trois lycées profesionnels privés et l’EREA des Pennes-Mirabeau, soit neuf établissements, nous proposent 28 journées sur 22 CAP différents.
Les résultats sont palpables : un taux d’absentéisme à ces journées relativement faible (entre 5 et 7%), une diversification des affectations post 3ème, une baisse significative des ruptures de scolarité en seconde professionnelle (notamment lors du premier trimestre) et un taux de poursuite d’étude en bac professionnel qui augmente d’année en année. Même s’il reste un travail important à faire pour améliorer le taux d’accès à la qualification de niveau V de l’ensemble des élèves issus de SEGPA, le gain qualitatif est incontestable et nous conforte dans notre démarche. Il ne garantit cependant pas l’adhésion de tous les élèves (il serait illusoire de l’espérer).
De ce point de vue, les rencontres "Orientation" individuelles régulières entre l’équipe enseignante et l’élève avec sa famille, dès l’entrée en 4ème, jouent un rôle fondamental. En effet, la présentation du dispositif de découverte des formations constitue un éclairage pour les parents sur les objectifs du Parcours Avenir en 4ème et 3ème SEGPA, en termes de choix d’orientation et de perspectives de parcours de formation dans la voie professionnelle. Leur implication dans le projet de leur enfant reste un point d’appui essentiel.
Cette année, nous avons décidé d’initier ce dispositif à destination des élèves d’ULIS de niveau 4ème, pour commencer. Ils seront accueillis dans les ateliers des SEGPA de l’inter-réseau pour des journées de découverte des champs professionnels.
L’orientation des élèves est un enjeu majeur. La SEGPA a pour mission d’assurer une continuité entre le collège et le lycée professionnel, et pour cela mettre en œuvre un accompagnement qui prépare à suivre une formation professionnelle quelle qu’elle soit, dans une spécialité réellement choisie.
A cette condition, elle peut constituer une voie d’excellence pour des élèves en grande difficulté.
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