Les mots du confinement

Publié le 19 mai 2020 Modifié le : 28 oct. 2020

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Le  mardi 19 mai 2020

Les mots du déconfinement. Responsabilité.

Article réalisé par Gérald ATTALI, IA-IPR HG

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    Responsabilité

    « Jusqu’où sommes-nous responsables ? » Depuis que le déconfinement est effectif, la question est posée par les chefs d’entreprises, les élus — tout particulièrement les maires — et par toutes celles et ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir. Elle témoigne de l’inquiétude qui s’est emparée des décideurs devant le risque d’une recherche en responsabilité en cas de contamination par le coronavirus avec la reprise de l’activité économique et sociale.

    Définir « responsabilité ». À première vue, la chose paraît simple ! Mais voilà un mot dont le sens varie en raison du contexte socio-professionnel où il est employé ; et les contextes dans lesquels il est utilisé sont si nombreux qu’on ne peut prétendre les épuiser tous ici. Mais faisons simple en veillant toutefois à ne pas tomber dans la caricature. Pour le juriste, la responsabilité se décline souvent avec un adjectif. Elle peut être civile, pénale, administrative, etc., et désigne le fait d’avoir à répondre de ses actes, à les assumer et, au besoin à devoir les réparer. Quand il est employé par le politique, le mot a une charge symbolique forte : il recouvre la capacité à prendre soi-même une décision. Il est alors lié à l’engagement, à la capacité à prendre des initiatives, à donner corps à une idée. Le mot est connoté positivement, car il est associé au gouvernement de la Cité. Dans la tradition républicaine, les programmes scolaires visent prioritairement à former le citoyen et, pour cela, à développer le sens des responsabilités chez le futur citoyen ; celles-ci ne découlent-elles pas de sa liberté ? Ainsi, dès le plus jeune âge les programmes d’enseignement moral et civique (EMC) invitent l’élève à prendre conscience de sa responsabilité individuelle.

    La pandémie a entraîné la mise en place d’un « état d’urgence sanitaire ». Les politiques l’ont justifié en prenant appui sur l’expertise délivrée par un « conseil scientifique » spécialement dédié à la lutte contre l’épidémie. Cette attitude a facilité le déploiement de mesures sanitaires et le consentement aux limitations apportées temporairement à certaines libertés publiques. On peut toutefois observer un effet collatéral : les bénéfices du confinement paraissent désormais si grands qu’il devient difficile à une partie de l’opinion publique de s’en extraire. La conviction qui fonde la protection sanitaire la plus ferme n’est-elle pas assujettie aux avis délivrés par des savants ?

    La lecture de l’ouvrage de Max Weber peut éclairer les relations qu’entretiennent « Le savant le politique »1. Si la vocation du premier est justement de conseiller, celle-ci ne peut être guidée que par un strict principe de neutralité. Il est difficile d’appliquer un tel principe à la décision politique ; décider, n’est-ce pas faire des choix, parfois douloureux ? Dans le contexte de la pandémie, une grande partie de l’opinion publique fonde désormais ses convictions sanitaires sur les avis des scientifiques ; lesquels sont limités à des préconisations médicales, d’ailleurs quelquefois contradictoires. Le politique est quant à lui contraint de rechercher l’intérêt général et de trancher en tenant compte de toutes les conséquences de sa décision ; il doit prendre ses responsabilités ! À l’heure du déconfinement, on voit bien que l’opinion hésite entre une « éthique de conviction » — moins attentive à toutes les conséquences du confinement — et une « éthique de responsabilité » plus soucieuse de l’avenir de toutes les composantes de la société. Il est toujours difficile de décider quand la peur a été instillée par les effets d’une épidémie meurtrière. Mais dans une démocratie, la nécessité de rendre des comptes ne peut totalement justifier un encadrement excessif de la décision politique, sauf à préférer l’impuissance à la responsabilité.