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Liens citoyens

Publié le 23 mai 2020

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Le  samedi 23 mai 2020

Liberté, égalité, fraternité : les valeurs républicaines à l'épreuve de la pandémie de Covid19

Article réalisé par Marc Rosmini, animateur du groupe académique EMC, professeur de philosophie

  • Il est possible de concevoir des activités pédagogiques pour nos élèves autour des choix politiques (et de leurs fondements éthiques) qui ont été fait et qui le seront dans le contexte actuel de la pandémie. En effet, le caractère exceptionnel de la situation exacerbe certains dilemmes et certaines tensions qui concernent les valeurs fondamentales de la République, à la fois en elles-mêmes et dans les relations qu'elles entretiennent. Quelques thèmes de débats sont proposés ici. Certains d'entre eux soulèvent des questions très délicates, que d'aucuns pourraient même juger provocatrices, ce qui supposerait, en classe, un cadrage très précis de la discussion. Mais on peut légitimement attendre de l'école (et plus spécialement de l'EMC) qu'elle soit le lieu où tous les sujets puissent être abordés, certes sans dérives purement polémiques, mais aussi sans tabou.

     

    1. Liberté

     

     

    Le confinement a impliqué la suspension d'un grand nombre de libertés individuelles, et a banalisé les dispositifs de surveillance. Il a aussi impliqué la fermeture des lieux où peut se cultiver la citoyenneté et l'émancipation intérieure : salles de réunion, de conférences, cinémas, théâtres, etc...

    Cette évolution inattendue (qui aurait imaginé, il y a quelques mois, être enfermé chez soi pendant des semaines ?) interroge la hiérarchisation des valeurs. A partir de quelle gravité une maladie peut-elle justifier la suspension des libertés publiques ? Comment mesurer la « gravité » d'une épidémie ? Mesurer le pourcentage de mortalité (par rapport à l'ensemble de la population) et de létalité (relativement aux personnes atteintes) est-il un bon critère ? Jusqu'où protection de la vie (au sens biologique) peut-elle légitimer des contraintes pesant sur l'existence (sociale, professionnelle, politique, citoyenne, culturelle, amicale, etc...) ?

     

    2. Égalité

     

     

    On peut proposer des thèmes de réflexion assez proches autour du concept d'égalité. On sait en effet que le confinement a contribué à un creusement très nets des inégalités. Sur le plan scolaire, chacun de nous a pu constater que la « continuité pédagogique » avait un sens très différent pour les élèves disposant de leur propre chambre, de leur propre ordinateur, et ayant des parents disposant d'un capital culturel élevé et maîtrisant bien la langue française, et pour les autres. Quant au monde du travail, les décisions politiques ont indirectement contribué à précariser encore un peu plus ceux qui étaient déjà dans la précarité, catégorie où les jeunes sont sur-représentés. On sait par exemple que, depuis le mois de mars, un grand nombre d'étudiants ne mangent pas à leur faim. A l'inverse, les jeunes sont très peu touchés par les formes graves du Covid19 : seulement 1% des personnes décédées avaient moins de 40 ans. De fait, des mesures prises pour protéger prioritairement une catégorie de la population (les personnes âgées et/ou atteintes d'une pathologie particulière) ont fortement contribué à la dégradation des conditions d'existence d'autres catégories.

    Il n'est donc pas indécent de poser la question de l'égalité sous cette forme : comment la société devrait-elle être organisée (quant au système de santé, quant à la sécurisation des parcours professionnels, quant à la protection sociale, etc.) pour que la mise en sécurité des uns ne nuisent pas aussi violemment à l'existence des autres ? Autrement dit : que pouvons-nous améliorer dans notre société pour que les inégalités se réduisent, et que chacun puisse être assuré de bénéficier, y compris en cas de crise imprévue, des conditions d'une existence digne ?

     

    3. Fraternité

     

    A cet égard aussi, la pandémie semble avoir exacerbé les tensions. D'une part, de nombreuses chaînes de solidarité se sont mises en place, et de nombreux bénévoles sont venus prêter main forte aux associations d'aide aux plus démunis. Mais, par ailleurs, la peur de la maladie à parfois décuplé la méfiance et le rejet de l'autre (beaucoup de soignants ont par exemple déclaré en avoir été victimes, leurs voisins craignant qu'ils soient porteurs du virus). Une réflexion intéressante peut être conduite à partir de ce constat équivoque, basée sur le dépassement d'une lecture purement psychologique des comportements (« il y a des gens altruistes et fraternels par nature, et d'autres dont le caractère les pousse à l'égoïsme et à la défiance »). Qu'est-ce qui pourrait, notamment en termes d'éducation morale et civique (en faisant l'hypothèse que cette éducation ne se limite pas à la scolarité, mais se prolonge toute la vie) favoriser des comportements fraternels ? De quels leviers pouvons-nous disposer, en ce qui concerne l'information, l'éducation, les mesures institutionnelles, pour inciter les individus à s'entraider ?

     

     

    Visuel Article Marc Rosmini

     

    Crédits Gordon Johnson - pixabay

     

     

     

    On peut même pousser le raisonnement vers une analyse plus conceptuelle : en effet, si la liberté et l'égalité peuvent s'incarner dans des mesures législatives très précises, cela semble beaucoup moins évident pour la « fraternité », qui relève davantage du sentiment individuel. On peut travailler avec les élèves l'hypothèse selon laquelle la fraternité ne pourrait pas être instaurée par des décisions politiques, mais qu'elle pourrait constituer un effet indirect de ces décisions. La question est alors de savoir lesquelles. Notamment, on peut se demander, dans le contexte très particulier de la pandémie et de ses multiples conséquences, quels sont les formes et les types de liberté et d'égalité qu'il faudrait valoriser pour espérer tendre vers une société plus fraternelle.