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Liens citoyens

Publié le 27 mai 2020

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Le  mercredi 27 mai 2020

Sommes-nous égaux dans notre compréhension du monde ?

Marie– Christine de Riberolles Chargée de mission auprès de l’inspection

  • Crédits GdJ Pixabay

    Notre compréhension de la pandémie et de ses corollaires se construit à partir de modes de pensées hérités de notre histoire personnelle, de l’éducation reçue et sans doute construite à partir de nos émotions. Dès lors, peut-on considérer que nous sommes égaux dans notre approche d’une telle situation exceptionnelle ?

    La complexité de la situation que nous traversons est une évidence pour chacun. Le risque lié à l’interaction, la dimension mondiale, les propriétés mêmes du virus renvoient à cette complexité que les différentes disciplines tant médicales que sociales tentent d’approcher. L’histoire des sciences sociales montre que l’approche de la complexité ne peut se comprendre sans la relecture de l’irruption de la systémique dans le milieu du XXe siècle.

    « En grec, le mot système signifie “ensemble, organisation”. Ainsi, tout système forme une unité caractérisée, d’une part, par plusieurs éléments en interaction les uns avec les autres dans une structure et, d’autre part, par les propriétés de cohésion, d’interdépendance avec l’environnement, de stabilité… La systémique se définit des relations, des processus et des régulations qui s’y déroulent » (1).

    L’histoire de la pensée systémique peut se lire à partir de 3 générations : celle de l’étude des matériels, présente dans la proto-histoire industrielle (XVIIIe siècle), celle du vivant dans les années 40, avec l’étude cybernétique de Norbert Wiener puis pour finir, celle des systèmes sociaux à partir de 1970. Son affirmation date de 1968 avec la publication d’un ouvrage sur la théorie générale des systèmes appliquée à la biologie de Ludwig von Bertalanffy, considéré comme le père de la systémique.

    Très tôt, largement introduite dans les pays anglo-saxons, la pensée systémique s’applique à de multiples champs disciplinaires (les mathématiques, la physique, la communication, la télématique), tandis qu’elle est objet de débat en France dans les sciences sociales. En 1971, le macroscope de Joël de Rosnay popularise l’analyse systémique par un ouvrage précurseur qui présente les systèmes à causalité circulaire (et non plus seulement linéaire) et une société en temps réel avec des réseaux « intersectifs », proche de ce que nous voyons aujourd’hui… (2). Le mouvement est ainsi amorcé et va toucher l’ensemble des sciences sociales, dont la géographie, qui, dès 1979, à l’instar de Roger Brunet, ou Genevière et Philippe Pinchemel s’emparent du concept (3) (4).

    Aujourd’hui, nous découvrons que le coronavirus est un virus complexe et agressif mettant en difficulté l’équilibre des organismes vivants et, plus largement, le système de la globalisation (politique, économique, sociétal, etc.), mais nous observons également que sa gestion implique, au-delà des annonces nationalistes, des effets injonctifs et, quels que soient les pays, des solutions complexes sont construites dans l’interaction et la coopération à partir d’échelles multiples et mobiles. L’usage permanent de l’ordinateur, qui est lui-même un système, nous place dans un réseau dont nous ne maîtrisons pas toujours les contours.

    Nous, enseignants, sommes donc confrontés à l’urgence de former et soutenir tous ceux qui doivent, aborder une révolution de la pensée. Passer du simple au complexe, passer de soi au réseau, interagir dans un système en en connaissant les réglementations et surtout cesser de croire que les réponses sont binaires (oui/non, vrai/faux etc.). Nous vivons une mutation silencieuse qui laisse déjà des individus sur des marges nouvelles, celle de la précarité du raisonnement.

    (1) http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/systeme-systemique

    (2) Le Macroscope, Vers une vision globale – Joël de Rosnay- Éditions Seuil – Paris - 1975

    (3) Systèmes et approches systémiques en géographie – Bulletin de l’association géographique française, n° 465 – Paris – 1979

    (4) La Face de la Terre. Geneviève et Philippe Pinchemel - Paris : A. Colin - 1988