Développer l'esprit critique

Publié le 26 mai 2020

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Le  mardi 26 mai 2020

Information et science : en toute confiance ? Ou pourquoi douter avec méthode. (2e partie)

Denis Caroti, chargé de mission Esprit critique

  • Visuel Cortex

     

    Confiance et esprit critique

    Si la « toute confiance » est donc à l’opposé de l’esprit critique, cela évacue-t-il pour autant la question de la confiance ? Certainement pas. En effet, notre rapport à l’information et à la science est bâti en grande partie sur la confiance, ou du moins devrait l’être. Non pas une confiance irrationnelle (au sens de non justifiée sur la base de preuves et dogmatique) de type « acte de foi », mais une confiance étayée, légitime, nuancée et avertie, une confiance raisonnée et questionnable. Savoir que l’on fait confiance et savoir comment faire confiance sont deux étapes majeures à franchir dans l’investigation critique.

    Commençons par l’information. Croyons-nous tout ce que nous voyons ou entendons dans les médias ? Non, bien entendu. Pour autant, doutons-nous de tout ce qui est avancé par ces mêmes médias ? Oui ? Non ? Cela dépend. En effet, le rapport que nous entretenons avec les informations reçues est complexe : notre doute critique s’exerce sur des informations… douteuses. Mais comment juger a priori si elles le sont ? Les règles à appliquer pour faire le tri dépendent bien souvent du contenu de l’information mais également du médium, du contexte, des enjeux et de la forme qu’elle prend. Tout ceci est très difficile à formaliser et élaborer une règle absolue nous permettant de dire ce qui est fiable ou pas est illusoire. Non, ce qu’il faut c’est une méthode de tri qui s’adapte à chaque contenu reçu, à chaque type d’information, une méthode qui nous pousserait à faire confiance à une partie de l’information transmise sur la base d’éléments et de critères facilement repérables et utilisables pour parvenir à traiter l’ensemble des informations (innombrables) reçues chaque jour. Ces critères existent, et on peut ainsi muscler notre système « rapide » d’analyse de l’information en s’entraînant à repérer des corrélations transformées en causalité de manière abusive1, des arguments fallacieux ou autres sophismes2 (autorité, popularité, tradition), l’utilisation de certains mots creux, valises voire même trompeurs, les analogies douteuses, les chiffres erronés ou malmenés3, les effets de manipulations classiques, les affirmations irréfutables au sens de non critiquables, etc.

    Questionner l’origine de l’information et sa source sont également des éléments essentiels qui participent à ce doute méthodique : qui, quoi, où, pourquoi, comment ?4 Croiser ces sources, évaluer les preuves qui nous sont fournies en fonction de l’ensemble de tous les éléments donnés et placer son curseur de vraisemblance, le quantifier (de 0 à 100% par exemple). Tout ceci participe d’une hygiène du traitement de l’information permettant de faire un tri méthodique dans ce que l’on entend et lit tous les jours. Et selon les sujets, reste la suspension du jugement si l’ensemble des données à notre disposition ne permet pas de nous positionner. Cette suspension du jugement est rarement la norme. Pourtant, lorsqu’il s’agit de sujets complexes où la prudence devrait être de mise car les informations à notre disposition sont partielles voire manquantes ou, pire, lorsque nous avons l’illusion de savoir, nous n’hésitons pas à prendre position et discuter sur la bases d’éléments rarement étayés : du tonton expliquant en quoi tel pays est une nation de musulmans intégristes, à la cousine justifiant son refus de traitement vaccinal, en passant par l’amie énervée face aux fonctionnaires (encore) en grève, qui parmi ces trois aura creusé la question, enquêté, recoupé les informations, vérifié les sources, pris le temps de lire les spécialistes du sujet et qui travaillent dessus depuis des années ? En général, aucun. Pourtant, les trois ont un avis, les trois ne suspendent pas leur jugement. Pour pointer en quoi cette prise de position n’est pas légitime, on peut citer l’exemple de la physique quantique et de ses différentes interprétations qui occupent physiciens et philosophes depuis un siècle. Dans ce cas, il serait peu probable (sauf si l’on est expert du sujet) que l’on se prononce, le sujet est trop complexe et hors de portée, même (et surtout) en ayant lu le dernier Science & Vie. Mais en quoi la maîtrise de la physique quantique est-elle plus éloignée que celle du conflit israélo-palestinien ou du fonctionnement des vaccins pour le non spécialiste qui n’a pas fait le travail de creuser la question ? Suspendre son jugement, savoir dire « je ne sais pas » ou bien « j’ai besoin d’en savoir plus pour me prononcer » sont souvent des attitudes peu valorisées lors de discussions informelles, mais qui relèvent néanmoins d’une hygiène préventive du jugement indispensable, notamment en période d’incertitude.

    1. Voir la vidéo de Nicolas Gauvrit sur cette confusion : https://cortecs.org/la-zetetique/variables-de-confusion/

    2. Lire par exemple la séquence pédagogique de notre collègue Céline Montet sur ce sujet : https://cortecs.org/secondaire/atelier-esprit-critique-au-college-reperer-les-arguments-fallacieux/

    3 Voir la séquence pédagogique de notre collègue Louis Paternault : https://cortecs.org/non-classe/cours-esprit-critique-et-mathematiques-au-lycee-se-tromper-avec-les-graphiques/

    4 Un exemple de séquence pédagogique sur ce sujet : https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10741052/fr/des-outils-pour-evaluer-l-information