Si un effort de « continuité pédagogique » a été demandé aux professeurs dès le 16 mars en raison du confinement de la population, implicitement celui-ci a aussi été demandé aux familles. Cette demande inédite de coéducation a généré beaucoup d’inquiétudes, des réussites mais aussi quelques échecs.

L’idée de continuité pédagogique sous-entend la délégation d’une partie des tâches pédagogiques aux parents. Si cette délégation a sans doute permis aux parents d’approcher les difficultés de la fonction professorale, elle a aussi peut-être changé le regard des familles sur l’Ecole. En effet en tant que parents, ce n’est pas du tout la même chose d’être convoqué à l’école par le CPE que d’être contacté par l’école pour s’entendre demander, si tout va bien, et si l’on peut accompagner son enfant dans la réalisation de ses exercices ! Certains parents prennent d’ailleurs, très au sérieux leur rôle, tentant parfois de se substituer au professeur. C’est ce que me confie une élève de Terminale qui supporte difficilement la pression quotidienne de son père : il insiste lourdement pour que les devoirs soient faits. Comme l’indique Benoît Urgelli, chercheur en Sciences de l’éducation, « l’injonction de continuité pédagogique conduit les parents à se sentir surexposés et sur-responsabilisés¹ » ce qui peut générer du stress et de l’inquiétude chez les familles voire de la culpabilité quand on se trouve dans l’incapacité d’aider ses enfants.

Assurément, la crise a révélé ce que la sociologie de l’éducation décrit depuis longtemps : l’importance des inégalités sociales à l’Ecole et son corollaire, la fracture numérique. Le travail à la maison génère mécaniquement des inégalités voire des injustices car les familles ne sont pas égales pour faire face à la demande scolaire. Dans cette crise, de nombreux parents se sont trouvés dans l’incapacité d’aider leurs enfants pour de multiples raisons : travail à distance des parents, familles nombreuses, exiguïté des lieux de vie, absence de matériel informatique ou connexion internet défectueuse. C’est le cas par exemple d’une mère de famille qui, au téléphone, me fait part de ses difficultés. Seule, avec trois enfants à suivre et un passé scolaire compliqué elle est très inquiète de ne pas pouvoir aider son fils lycéen. Une autre mère d’élève, infirmière, me dit ne pas pouvoir s’occuper de son fils car elle est mobilisée à l’hôpital. Enfin, un père m’indique l’isolement de son fils devant les écrans… de jeux vidéo. Au passage, on mesure chaque jour dans le récit des élèves à quel point l’école comme instance socialisatrice est un lieu de vie qui leur manque !

Face aux difficultés rencontrées par les familles que faire ? Mon discours s’est montré rassurant. J’ai tenté de rappeler l’importance de la bienveillance dans la relation éducative, la nécessité de se parler et de recréer du lien en accordant un peu de temps chaque jour au suivi éducatif des enfants... Et surtout de faire au mieux en fonction des situations ! Au fil des semaines, j’ai essayé d’adapter mon plan de travail hebdomadaire pour certains élèves qui cumulaient les obstacles. Ces ajustements complexes et cette individualisation du travail sont une source de difficultés pour les enseignants qui doivent s’adapter à des réalités sociales très diverses. Si ce travail d’accompagnement pédagogique est répétitif et chronophage, il peut aussi prendre tout son sens à l’échelle de l’équipe éducative notamment par la conscientisation des difficultés sociales et scolaires que vivent nos élèves.

Ce principe de « coéducation », inscrit dans les compétences des enseignants, a pris une nouvelle consistance avec le confinement, en mettant en avant la nécessité de trouver des alliances éducatives entre enseignants, parents et élèves. Le rôle éducatif des parents ne s’arrête pas à la porte de l’école et ce moment si étrange que nous vivons, devrait nous permettre de repenser collectivement les relations Ecole-famille.