Développer l'esprit critique

Publié le 4 juin 2020

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Le  jeudi 4 juin 2020

Information et science : en toute confiance ? Ou pourquoi douter avec méthode. (3ème partie)

Denis Caroti, chargé de mission Esprit critique

  • Visuel Cortex

     

    Science, confiance et niveau de preuve

     

    Nous avons vu que notre rapport à l’information est bâti, en grande partie sur la confiance, ou du moins devrait l’être. Non pas une confiance irrationnelle (au sens de non justifiée sur la base de preuves et dogmatique) de type « acte de foi », mais une confiance étayée, légitime, nuancée et avertie, une confiance raisonnée et questionnable. Savoir que l’on fait confiance et savoir comment (et quand) faire confiance sont deux étapes majeures à franchir dans l’investigation critique face à l’information.

    Concernant la science à présent, la question de la confiance est tout aussi cruciale. Il est donc plus que nécessaire de redonner des raisons de penser que les connaissances produites par la communauté scientifique1 sont les plus solides dont nous disposons à un instant donné. Non pas des connaissances définitives et hors de toutes critiques, bien au contraire – c’est là l’essence même de la démarche scientifique que de remettre en question ce que l’on sait à instant t – mais des connaissances les plus sûres que nous ayons à ce même instant. Dans l’échelle des preuves2, le consensus scientifique représente le plus haut niveau. Serait-ce en raison d’une décision autocratique ou d’une puissance « occidentale » qui aurait la main mise sur les laboratoires (pressions et autres contraintes existant réellement et jouant un rôle important dans la vie des scientifiques au quotidien, que ce soit la course à la publication ou aux financements) ? Non, les raisons d’accorder un très haut niveau de preuve (et donc de confiance) aux productions scientifiques faisant consensus reposent sur les fondements de la démarche adoptée : faillibilisme, scepticisme, matérialisme méthodologique, reproductibilité, réfutabilité, universalité, cohérence interne et externe, l’ensemble de ces critères est la base de toute démarche amenant la communauté des personnes travaillant sur un sujet donné à établir qu’une hypothèse peut être considérée ou non comme une connaissance fiable au-delà de tout doute raisonnable. Un autre élément conduit à une certaine confiance dans cette démarche, élément beaucoup plus pragmatique : l’efficacité. Car il sera difficile de nier la réalité des productions technologiques issues de la mise en œuvre de la démarche scientifique : avion, réfrigérateur, laser, antibiotiques, four micro-onde, téléphone portable, IRM, etc., la liste est longue, et que ces productions soient bénéfiques ou néfastes, elles existent. Comme on le dit parfois entre sceptiques taquins : « La Science : ça marche, que tu y croies ou non ».3

    Nous, quidams non spécialistes, face à ces théories et autres affirmations qui nous sont avancées, devons donc faire confiance, avec raison, c’est-à-dire en jugeant de manière parcimonieuse que ce que nous proposent les scientifiques est ce que nous pouvons attendre de mieux en matière de connaissance du monde qui nous entoure : leur tentative de le décrire est sans doute incomplète, partielle, mais elle a été élaborée avec cet objectif d’être partageable, objective et critiquable, le tout en essayant de se tromper le moins possible. Vœux pieux pourrait-on dire, car l’erreur est consubstantielle à la recherche et permet d’affiner les hypothèses et les théories qui les accompagnent, mais vœux conscients, acceptés et fournissant justement des raisons de faire confiance. Cette autocritique interne est ce qui nous assure que le processus à l’œuvre est solide et que nous pouvons y adhérer.

     

    1 La communauté scientifique, c’est-à-dire l’ensemble des chercheurs et chercheuses spécialistes de leurs sujets.

    2 Voir cet article sur la notion de niveaux de preuve : https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10767398/fr/infox-et-covid-19-quelques-ressources-pour-s-y-retrouver

     

    3 Le biologiste anglais Richard Dawkins l’a formulé de manière plus directe si l’on peut dire : https://www.theverge.com/2013/4/2/4173576/richard-dawkins-on-science-it-works-bitches