Vous êtes ici  :   Accueil > Ambitions citoyennes > Liens citoyens

Liens citoyens

Publié le 8 juin 2020

Écrire à l'auteur

Le  lundi 8 juin 2020

Les relations entre pairs à l’heure du covid

Christine Roux. Conseillère technique de service social Référente académique « Non Au Harcèlement ».

  •  

    Le confinement a brutalement interrompu les relations en présentiel entre pairs à l’école ou dans le quartier ; mais depuis une petite décennie, les réseaux sociaux ont permis une prolongation de ces rapports entre élèves, le confinement n’a fait qu’accroître massivement leur utilisation. Or le temps passé devant les écrans est l’un des plus grands facteurs de risque d’exposition à la cyberviolence. Quelles conséquences ? Entre autres celle du harcèlement qui s’est mué en harcèlement via les réseaux sociaux exclusivement, mais aussi un déficit d’empathie lié aux interactions sociales insuffisantes. Le constat est sans appel : +20 % d’appels sur la plateforme net-écoute et arrêt des saisines via les numéros verts. 1 La problématique du harcèlement entre pairs s’est imposée dans les cours d’école conduisant l’ensemble de la communauté éducative à s’en préoccuper depuis une dizaine d’années. Une politique ministérielle s’est construite au fil des années, en créant un dispositif Stop harcèlement rebaptisé NAH (Non Au Harcèlement) : numéro vert 3020, site ministériel2, nomination de référents pour le traitement des situations. La recherche et les expériences d’autres pays nous ont donné des clés de compréhension de la dynamique du harcèlement entre élèves, de ce qui se joue dans la construction de l’enfant dans son rapport aux autres, des émotions qui le traversent, de la confiance en soi qu’il doit acquérir, de la place à prendre dans un groupe. Nous avions à l’esprit l’histoire de « poil de carotte » ou de « la guerre des boutons », ces histoires d’enfants, de rapport de force dans un groupe, de moqueries pour faire rire, se sentir puissant, etc., mais nous n’avions pas pris conscience de l’importance des dégâts sur le développement de l’individu. Les suicides répétés d’adolescents de plus en plus jeunes nous ont fait réaliser la souffrance intense qu’ils vivaient les conduisant à ce geste fatal. Les réseaux sociaux ont encore accentué ce mal-être : plus de répit, plus d’espace protégé que représentait avant le milieu familial. Alors oui, nous pouvons être inquiets des conséquences du confinement qui n’a pas laissé d’autres choix aux jeunes que de se connecter des journées et nuits entières, se laisser tenter par de nouvelles rencontres virtuelles, de ne plus rencontrer des adultes tiers qui peuvent lui venir en aide et lui apporter une écoute bienveillante. Nous savons que les jeunes cachent à leurs parents leurs souffrances, pour différentes raisons, mais surtout par honte et culpabilité. Cet isolement social renforce le sentiment de solitude et de détresse des victimes. « Pour Justine Atlan, directrice générale de Net Ecoute et de e-Enfance : « Avec la solitude et l’enfermement du confinement, le mal-être des plus fragiles augmente – et avec lui, les risques pour les adolescents. Pour ces jeunes retranchés derrière leurs écrans, il y a parfois l’illusion que les réseaux sociaux sont un espace de rencontre et d’évasion. » 3 « Chantages sexuels à la webcam, revenge porn, comptes ficha, (se taper l’affiche en verlan)4, escroqueries, exposition à la pornographie » indique le site net-ecoute, spécialisé dans la protection de l’enfance sur internet. Dans son communiqué du 29 avril, elle écrit : « L’isolement du confinement accroît le temps passé par de nombreux adolescents devant les écrans, notamment dans des « jeux » sexuels. Un grand sentiment d’impuissance et d’incompréhension nous envahit à la lecture de ces articles ! Que cherchent-ils ? Quels besoins nourrissent-ils dans cette exposition sur les réseaux ? Besoins de reconnaissance, d’estime de soi, d’amour ? Comment prévenir l’irrémédiable ? Le web offre une médiatisation de la vie privée et de l’intime, des rumeurs et d’informations non vérifiées, rapides, qui permet d’être dans l’instant présent, d’agir sous le coup de l’émotion. Le temps de la réflexion n’est pas invité et quand les boutons « publier » puis « partager » sont actionnés, la diffusion échappe à l’auteur et le danger guette. Depuis 2018, une hausse de 3000 % d’adolescents qui sont piégés par des prédateurs sexuels ou des escrocs par le biais des jeux vidéo en réseau. 5 La prise de risque fait partie de la construction de l’adolescent qui souhaite s’émanciper de ses parents et faire lui-même ses propres expériences. Il est en quête d’adrénaline, de ce sentiment d’excitation mêlée à la peur…mais partir explorer le monde nécessite une certaine sécurité interne suffisante pour un accès à l’autonomie et à la socialisation.

    Le rapport Dr Martin-Blachais rédigé en 2017, fait consensus en matière de protection de l’enfance : le bon développement d’un enfant est soumis au respect des besoins fondamentaux de l’enfant6 « La satisfaction du besoin de sécurité physique et affective conditionne la satisfaction des autres besoins, nous postulons que le méta-besoin des besoins fondamentaux universels de l’enfant en protection de l’enfance est le besoin de sécurité, besoin nécessaire tout au long de la vie. » (p.12)

     

    Schéma

     

     

     

    Les besoins essentiels forment le méta besoin de sécurité, ils sont intriqués les uns aux autres et en lien avec 4 autres besoins, qui se nourrissent réciproquement. Une piste de réflexion autour de ces besoins, de l’intérêt supérieur de l’enfant permettrait un changement de paradigme, proposer une éducation au respect de soi et des autres ; alors que la notion de prévention des violences induit des conduites à éviter, des interdits qui ne trouvent pas l’écho recherché auprès des jeunes. Les principes de la communication non violente sont l’expression de ses besoins et de ses sentiments et le non jugement. L’empathie et l’auto-empathie constituent des habiletés fondamentales dans le développement personnel. Partir de l’individu pour aller vers le collectif, de la construction de la représentation de soi idéale pour aller à la rencontre de l’autre avec suffisamment de sécurité. Partager des expériences collectives, exprimer ses émotions sont essentielles pour favoriser le vivre ensemble. Susciter les échanges avec les jeunes, chercher à comprendre ce qui les anime, appréhender leur univers, se libérer de nos croyances d’adultes qu’ils ne veulent pas communiquer avec nous. Les inviter à réfléchir et à penser le monde d’aujourd’hui en les considérant comme des « interlocuteurs valables », selon Jacques Levine qui propose un nouveau statut social de l’élève en réponse à « une déliaison généralisée ». 7

     

    « L’élève, pour être un élève, a besoin d'être à la fois un élève et un "Nous" c'est à dire quelqu'un qui a les mêmes droits que n'importe qui de s'instaurer "penseur du monde » Jacques Lévine, L'enfant philosophe, avenir de l'humanité -ESF, 2008.

     

     

     

    1 https://www.e-enfance.org/actualite/communique-de-presse-covid-19.html

    2 https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/

    3 https://www.e-enfance.org/actualite/alerte-de-net-ecoute.html

    4 https://www.20minutes.fr/high-tech/2757007-20200409-revenge-porn-ca-traumatiseeconfinement-comptes-ficha-explosent-snapchat

    5 ASH. N°3140 du 31/01/2020. p.14

    6 https://www.vie-publique.fr/rapport/36383-besoins-fondamentaux-de-lenfant-en-protection-enfance

    7 http://www.educ-revues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=109325