Les mots du confinement

Publié le 15 juin 2020 Modifié le : 28 oct. 2020

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Le  lundi 15 juin 2020

Les mots du dé-confinement. Barrière.

Article réalisé par Gérald ATTALI, IA-IPR HG

  • Barrière

     

    L’intérêt pour ce mot peut paraître bien tardif. Ne fallait-il pas lui consacrer davantage d’attention au début de la lutte contre la pandémie ? Certes ! C’est toutefois le déconfinement qui lui donne une portée nouvelle. L’expression « geste barrière », devenue banale, rend compte des comportements prophylactiques qui permettent de faire barrage à la contagion, et notamment les plus simples, ceux que l’on peut accomplir par quelques « bons » gestes. La barrière y trouve son sens premier, d’obstacle, de clôture. Il faut l’admettre, l’adhésion aux gestes barrière a été d’autant plus efficace qu’elle coïncidait avec la mise en œuvre de la mesure préventive la plus contraignante, le confinement. La deuxième phase du déconfinement dans laquelle nous entrons se traduit par une réduction des entraves imposées au déplacement des individus et au fonctionnement des activités économiques. Elles sont destinées à disparaître complètement, si toutefois le recul de l’épidémie se confirme. Par contre, les gestes barrières demeurent des instruments majeurs de lutte contre une éventuelle reprise de la contagion. Ils sont destinés à durer. C’est le cas dans les écoles et les établissements auxquels les protocoles sanitaires imposent de réduire drastiquement les effectifs, de repenser les emplois du temps et de réorganiser l’espace de la classe pour faire respecter les gestes barrière. La « continuité pédagogique » laisse place à une situation hybride où l’enseignement à distance perdure avec le retour progressif des élèves dans les écoles et les établissements ; retour conditionné par le respect des contraintes sanitaires. Certains craignent que l’École y perde une partie de son âme. Ne doitelle pas accueillir tous les élèves ? La crise sanitaire n’est-elle pas en train d’avoir raison d’une de ses missions majeures : l’ouverture à tous les enfants ? On peut faire le pari qu’il n’en sera rien, voire même que la vocation de l’École s’en trouvera fortifiée. L’hybridation de la scolarité en cours vise d’abord à réintégrer cette frange d’élèves — certes étroite, mais bien réelle — que la fracture numérique a tenue à l’écart de l’enseignement à distance. Elle rétablit un principe d’égalité qui s’épanouira complètement avec l’accueil de tous les enfants. On savait les familles attachées à ce principe ; on découvre que la crise sanitaire les a rendues encore plus attentives à sa mise en application. La crise assure un meilleur partage de l’idéal démocratique porté par l’École entre les enseignants et les parents. Elle pourrait aussi faire évoluer les comportements. Les gestes barrières, dont on sait qu’ils vont durer, n’imposent pas seulement de nouvelles règles de civilité, ils en renouvellent même le principe. On pourrait en sourire, sauf à ignorer que la fonction de la civilité est, d’une part, d’établir des rituels qui fondent la confiance des acteurs dans l’avenir d’une communauté et, d’autre part, de partager une même conception de l’intérêt général. La crise n’a-t-elle pas rendu un certain nombre de valeurs plus explicites et plus désirables ? Et d’abord celles qui font de l’École un refuge suffisamment sûr pour toutes et tous. On peut faire l’hypothèse que des gestes — même profondément assouplis — se perpétueront dans des rituels dont la vocation ne sera plus seulement de faire barrière à la maladie, mais de traduire aussi l’adhésion à des valeurs que celle-ci a rendues encore plus désirables1. N’est-ce pas une façon de continuer à faire École ?

     

    1 Voir sur cette question Eirick Prairat, Repenser l’ordre scolaire, accessible avec le lien :

     

    http://skhole.fr/eirick-prairat-repenser-l%E2%80%99ordre-scolaire