Regards d'historiens

Publié le 21 juin 2020 Modifié le : 10 janv. 2021

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Le  dimanche 21 juin 2020

Choisir l'Ecole.

Article réalisé par Marie-Christine de Riberolles—CMI Citoyenneté

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    La reprise des écoles, en première ligne du déconfinement, a été justifiée par la mission même de l’Ecole républicaine à savoir donner à chaque enfant un socle de compétences et une instruction commune à tous. Mais le confinement qui a amené les parents à suivre leurs enfants, dans le cadre de la continuité pédagogique a fourni une expérience d’éducation domestique qui amène des familles à poser le possible choix de « l’école à la maison » et ce, pas uniquement dans des milieux privilégiés comme cela a été le cas autrefois.

     

    Pour l’historien des temps modernes, cette question de l’instruction dans la sphère privée renvoie à l’éducation nobiliaire masculine. Présent depuis l’antiquité dans les familles aristocratiques, le préceptorat se développe au cours du Moyen-Age. Il permet dans le cadre de la féodalité, une éducation adaptée aux nécessités du rang et à l’entrée dans la chevalerie du jeune noble. Assimilé à la domesticité1 le précepteur féodal transmet les fondements éducatifs de « ceux qui guerroient », à la fois moraux (manières, courtoisie), culturels (histoire, langues, politique) et physiques (l’art de la guerre et de la fauconnerie). Or, la présence de plus en plus active des nobles en ville, transforme peu à peu cette vision de l’éducation avec une importance plus marquée à l’instruction et à la compétence2. Le développement des universités, la notoriété de conseiller spirituel du Roi, et l’évolution même de l’éducation des jeunes monarques tel Bossuet auprès du jeune dauphin en 1669, conduit la noblesse à chercher des précepteurs assurant une éducation plus complète à leurs descendants (philosophie, sciences, art de la diplomatie européenne etc..). Mais à partir du XVIe siècle, la place des collèges réputés, tenus par des congrégations religieuses spécialisées (jésuites, oratoriens) offre un nouveau choix aux familles : poser l’avantage ou les inconvénients de l’éducation particulière et ceux de l’éducation dite publique ou collective se présente alors à eux. Seul un petit pourcentage d’enfants de la noblesse entre ainsi au collège, rompant avec la tradition de l’enseignement domestique qui reste très prégnant pour les filles. Ainsi, en 1627, 40 000 élèves étaient scolarisés dans les seuls établissements jésuites. Parmi eux, environ 10 % sont issus de la noblesse3. Ce changement dans les principes d’éducation des garçons se résume à la nécessité pour les familles, de doter leurs fils d’un bagage intellectuel pluri-disciplinaire, nécessaire dans les activités juridiques ou économiques.

     

    Le passage d’une éducation au sein de la famille à une éducation socialisante a été renforcé par des législations continues depuis 1802 avec la création des lycées puis celle du système éducatif à partir de 1881, y compris celle laissant la possibilité aux familles d’assurer elle-même l’instruction de leur enfant (1882). Rappelons que selon la loi de 20174 , l'instruction est obligatoire pour tous les enfants, français et étrangers, à partir de 3 ans et jusqu'à l'âge de 18 ans révolus depuis la rentrée 2020. Cette obligation de formation peut être respectée par plusieurs moyens : scolarité scolaire ou domestique, apprentissage, stage de formation, service civique, dispositif d'accompagnement ou d'insertion sociale et professionnelle. Dans ce dernier cas, l'instruction ne doit pas nécessairement respecter les programmes de l'Éducation nationale pour chaque niveau, la famille choisit librement les moyens et méthodes d'atteindre ce niveau qui sera contrôlé par l'IA-Dasen à tout moment qu'il juge opportun au cours de la scolarité. Dans le cas d'un souhait de la famille de rejoindre un EPLE, un examen d'admission est obligatoire5.

     

    Mais à la différence des temps anciens, et comme le pose le slogan du site « l’école à la maison » : « toutes les mamans sont des enseignantes »6 , ce sont plutôt les parents qui prennent en charge l’instruction dans le cadre d’une instruction domestique, l’élévation du niveau scolaire des familles le permettant. Aussi, à la faveur de la crise actuelle, cette interrogation s’exprime renforcée. Les familles sont face à un choix qui n’est pas sans conséquence sur l’avenir du jeune enfant et l’Ecole face à un nouveau défi, celui de convaincre de l’ampleur de ce qu’elle peut offrir.

     

    1 Daniel Roche – Le précepteur dans la noblesse française : instituteur privilégié ou domestique? Actes des séminaires organisés par l'École française de Rome et l'Università di Roma - la Sapienza (janvier-mai 1985)

    2 Instruction privée et pratiques préceptorales du XVe au XIXe siècle - Jean-Luc Le Cam Dans Histoire de l’éducation 2015/1 (n° 143), pages 9 à 36

    3 Collèges et fréquentation scolaire au XVIIe siècle- François de Dainville, INED - Population Année 1957 12-3 pp. 467-494

    4 Actualisation de la loi de 1882 en 2017 - Circulaire n° 2017-056 du 14-4-2017

    5 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F23429

    6 https://l-ecole-a-la-maison.com/