Vous êtes ici  :   Accueil > Ambitions citoyennes > Liens citoyens

Liens citoyens

Publié le 24 juin 2020 Modifié le : 28 oct. 2020

Écrire à l'auteur

Le  mercredi 24 juin 2020

Quel sera l’impact de la crise sanitaire sur le parcours des Mineurs Non Accompagnés, ces élèves allophones déjà en mal d’identité ?

Isabelle Martins – Formatrice MLDS

  •  

     

     

    Une des conséquences potentielle du Covid-19 : une demande d’intégration plus massive des Mineurs Non Accompagnés (MNA) sur les cursus diplômants des lycées professionnels. Quel avenir pour ces élèves allophones en mal d’identité ?

     

    La reconnaissance de la minorité est un combat que mènent, en parallèle de leur scolarité, les jeunes migrants, ceux que l’on appelle les MNA, quand ils arrivent sur le territoire français. Ce sont en majorité des garçons issus principalement d’Afrique de l’Ouest. A l’identique que sur le territoire national, leur augmentation a été très importante sur le département haut-alpin, notamment en 2017, entraînant des procédures administratives renforcées. La situation est plus complexe encore pour les MNA de plus de seize ans. Ils ne sont plus soumis à l’obligation scolaire mais ont un droit inconditionnel à l’éducation énoncé par la loi1. A Gap, depuis 2017, ils sont plus d’une cinquantaine d’EANA2 ayant le profil MNA qui sont scolarisés en lycée professionnel sur des dispositifs spécifiques3. Administrativement, ils relèvent de trois cas de figures : ils sont en attente d’évaluation et ils bénéficient d’une OPP4 ; ils sont en attente d’évaluation et sont gracieusement hébergés dans des familles d’accueil ou vivent dans des squats ; plus minoritaires ils sont déjà reconnus mineurs et anticipent leur majorité en construisant un projet professionnel d’insertion rapide sur le marché du travail. La scolarisation des MNA est jalonnée par les étapes incontournables du parcours administratif qui doit les mener à la reconnaissance de leur minorité. Elle prend souvent des chemins inattendus. Si l’incertitude demeure autour de l’âge avant leur évaluation de minorité, elle peut l’être tout autant quand ils sont « déminorisés ». C’est le cas de Kalilou qui a intégré un des dispositifs du lycée professionnel avant d’être évalué. Supposé mineur de seize ans, il a donc été mis à l’abri provisoirement et orienté en fonction de l’âge qu’il a annoncé. Kalilou est arrivé en classe un matin plus taciturne qu’à l’habituel et a dit : « je ne suis pas reconnu mineur, je n’ai plus d’identité ». Les conséquences sont graves, avec la perte de la minorité peut s’ajouter celle de l’hébergement et de l’accompagnement éducatif extrascolaire. Kalilou se sent démuni de preuve5, il fait un recours. Une parenthèse s’ouvre alors dans la vie de ce garçon, elle peut prendre plusieurs mois, une parenthèse pendant laquelle, provisoirement, il perd son identité. Au stress posttraumatique de la situation de migration, s’ajoute la souffrance psychologique induite par les soupçons de la non-minorité. Involontairement, Kalilou communique son malêtre à l’enseignant qui entre, malgré lui, dans cette même parenthèse. Quel âge a Kalilou ? Le paradoxe s’installe : si le jeune MNA perd de fait son identité, il n’en perd pas pour autant son statut d’élève. Or, « déminorisé » signifie qu’il est potentiellement majeur. Au lycée, il poursuit pourtant sa scolarité dédiée aux jeunes âgés de seize à dix-huit ans. C’est un élève sérieux et impliqué. Détenteur de l’information de la non reconnaissance de la minorité de son élève, quelle posture doit adopter l’enseignant ? Celui-ci n’aura pour d’autre mission que celle de relayer, comme pour tout élève scolarisé, la situation de souffrance et de danger potentiel que vit son élève. L’école devient alors protectrice et amortit non sans difficulté, en collaboration avec les associations et les réseaux bénévoles6, les disparités des situations : accueil provisoire à l’internat, activation du fonds social, accompagnement psychologique… La situation de Kalilou n’est pas isolée, elle revêt juste une des formes engendrées par les démarches administratives incontournables et usantes qui poussent parfois ces jeunes à des comportements extrêmes7.

     

    Sa situation est également représentative de l’intégration des MNA en lycées professionnels. Outre le combat mené pour la reconnaissance de la minorité, s’ajoute le stress de l’approche de la majorité8. Ils devront en effet être régularisés et autonomes car plus aucune prise en charge ne sera possible9. La seule voie envisageable est l’insertion professionnelle indissociable de la régularisation. Eux-mêmes ne tiennent pas toujours compte de leurs propres aspirations et compétences quand ils élaborent leur projet professionnel ou qu’ils s’investissent dans un cursus. Ils sont prêts à « tout faire », ils s’adaptent d’ailleurs très vite et bien. Quelle orientation peut-on alors proposer à ces EANA pris dans ce compte à rebours impérieux ? Il n’y a pas d’alternative plus sécurisante pour ces jeunes qu’une demande d’affectation en lycée professionnel durant la parenthèse ouverte dans leur parcours. Kalilou est affecté en CAP Electricien en lycée professionnel. Il est toujours en recours, sans identité authentifiée. La parenthèse dure presque une année scolaire puis s’achève positivement. Il est enfin reconnu mineur. Le compte à rebours vers la majorité ne s’est pas pour autant interrompu, il a continué sa course. L’élève a désormais dix-sept ans. Une autre étape s’impose à lui : il faut anticiper l’après-minorité. La signature d’un contrat d’apprentissage représente pour lui le sésame, une formation « professionnalisante"10 et rémunérée, qui ouvrira l’accès au titre de séjour. Mais Kalilou est pris entre deux feux : son désir de poursuivre le cursus scolaire entamé et qu’il a validé brillamment depuis une année scolaire et l’obsessionnelle démarche qui consiste à obtenir un titre de séjour et éviter ainsi de devenir un « majeur isolé » en lycée professionnel sans ressources aucunes.

    La transformation de la voie professionnelle semble à ce jour un bon compromis entre les efforts fournis par le jeune au sein de sa formation et la poursuite qu’il peut donner à celle-ci en passant du statut d’élève au statut d’apprenti au sein de la même filière et du même établissement. Kalilou a pris ce chemin et cela lui vaut aujourd’hui d’avoir été retenu pour participer au concours de prix d'honneur en action avec la Légion d'Honneur11.

    Cependant, la finalité positive de la situation de Kalilou ne doit pas masquer la réalité des situations : la scolarisation des MNA en lycée professionnel reste complexe. Une grande majorité de MNA arrête brutalement sa scolarité à l’approche de la majorité pour s’orienter vers un apprentissage dans une voie professionnelle parfois complètement différente. Les cursus sont lésés de ces élèves pourtant très impliqués, ou continuent d’accueillir des « majeurs isolés » en proie à une situation sociale qui devient au fil des mois critique voire clandestine. La crise sanitaire que traverse actuellement notre pays risque d’augmenter la scolarisation massive des MNA en lycée professionnel par manque de contrats de travail. Quelle sera alors la capacité d’accueil des lycées professionnels pour ces élèves demandant en grande majorité une orientation vers les CAP les plus en tension sur le marché de l’emploi ?

     

    1 « En l'état actuel de la législation, aucune distinction ne peut être faite entre élèves de nationalité française et de nationalité étrangère pour l'accès au service public de l'éducation (…) dès l'instant où ils résident sur le territoire français (…) Il n'appartient pas au ministère de l’Éducation Nationale de contrôler la régularité de la situation des élèves étrangers et de leurs parents. En conséquence, l'inscription, dans un établissement scolaire d'un élève de nationalité étrangère, quel que soit son âge, ne peut être subordonnée à la présentation d'un titre de séjour », B.O. N°37 du 11 octobre 2012. 2 « Élève allophone nouvellement arrivé », Circulaire du ministère de l'Éducation nationale n°2012-141 02/10/12.

    3 Ils sont affectés sur les dispositifs telles les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) ou les pôles EANA des dispositifs d’accompagnement vers la qualification (Mission de lutte contre le décrochage scolaire) pour y apprendre intensivement le français et différentes matières selon leur niveau.

    4 Ordonnance Provisoire de Placement. Les MNA font leurs démarches auprès du département pour bénéficier d’une prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) à laquelle ils ont droit en tant que mineurs.

    5 Le juge pour enfants maintient les documents d’identité qu’il a pu lui transmettre. En recours, Kalilou devra faire venir du pays d’autres documents afin qu’ils soient authentifiés.

    6 https://www.hrw.org/fr/news/2020/03/26/france-des-enfants-livres-eux-memes-malgre-le-covid-19

    7 Fugues vers d’autres départements, tentatives de suicide, conduites à risques...

    8 « S’il n’est pas obligatoire pour un mineur de détenir un titre de séjour sur le territoire français, cette obligation s’impose strictement au majeur étranger qui peut se retrouver visé par une mesure d’expulsion », https:// www.senat.fr/rap/r16-598/r16-59813.html

    9 Fin de la prise en charge par l’Ase (Aide sociale à l’enfance), les contrats jeunes majeurs se sont raréfiés.

    10 « La carte de séjour temporaire peut leur être attribuée à la condition de suivre, toujours de façon réelle et sérieuse mais depuis au moins six mois, une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle », article L. 313-15 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

    11 Kalilou Kourouma, élève de Terminale CAP Electricien 2019-2020, LP Alpes et Durance, Embrun.