Edito. Rentrée.
Rentrée ? Voilà un choix qui peut paraître bien maladroit ! Car enfin, ne sommes-nous pas à quelques jours des vacances et avec des préoccupations bien étrangères à celles que semble supposer de ses lecteurs le comité éditorial de Liens citoyens pour son ultime livraison de l’année ? Et puis, n’y a-t-il pas un peu de provocation à laisser l’auteur de l’édito donner des leçons sur la rentrée alors même qu’il ne fera pas... la prochaine rentrée scolaire ? Sans doute, mais il faut convenir qu’il y a bien une attente très forte, celle d’une «vraie» rentrée qui permettra de renouer avec les habitudes d’une École, certes transformée, mais quand même très proche du modèle qui est cher à tous et dont la crise épidémique nous a privé pendant de trop longues semaines. L’École — la vraie, celle qui se fait avec des professeurs et des élèves dans des classes où s’organisent des cours — a cruellement manqué. Il y a un désir d’École.
Pourtant, elle n’a pas failli pendant l’état d’urgence sanitaire. N’a-t-elle pas fait preuve d’une grande réactivité et d’une détermination qui ont fait oublier très vite les difficultés du lancement de « la continuité pédagogique » ? Néanmoins, et il faut en convenir, le recul de la pandémie, largement perceptible depuis quelques semaines, ne permet pas de retrouver une situation « normale » avec le déconfinement. Les élèves ne sont pas tous là, ce qui oblige leurs professeurs à jongler avec des emplois du temps en accordéon où se mêlent l’enseignement à distance et des cours en classe qui n’en sont pas tout à fait ; enfin, l’année est presque terminée, mais laisse un sentiment d’inabouti. C’est une École comme en pointillés qui ne permet pas de renouer véritablement avec la « vraie ». C’est une leçon ! En la privant d’une partie de ses missions — l’accueil de tous les élèves dans les classes —, la pandémie l’a, du même coup, dépouillée de ce qui fait sa normalité et de sa raison d’être.
« L’école à la maison » ? Beaucoup de parents constatent aujourd’hui qu’il s’agissait peut-être d’un oxymore. Il leur est toutefois difficile de l’admettre. Aussi, voit-on se multiplier de mauvais procès faits à tous les professeurs, parce qu’un petit nombre ne s’est pas suffisamment impliqué. Enseigner est un métier. Certes ! Il est un para-doxe que beaucoup découvrent et qu’avait mis à jour Alain dans l’un de ses Propos sur l’éducation(1): « les parents sont toujours disposés à croire que le maître manque de zèle ; et ils s’étonnent lorsqu’ils constatent, par leur propre exemple, que le zèle ne suffit pas, je dis bien plus, je dis que c’est le zèle qui nuit. » Et de poursuivre un peu plus loin: « c’est encore une cérémonie que d’apprendre ; mais il faut que le maître soit étranger et distant ; dès qu’il s’approche et veut faire l’enfant, il y a scandale. » La pandémie aura au moins eu le mérite de défaire des idées reçues.
Son recul permet d’espérer une rentrée finalement très semblable à toutes celles qui ont précédé. Le pays l’attend, déjà prêt à renouer avec ces petits rituels et ces menues péripéties dont se régale la presse dans ses « marronniers » des débuts de l’année scolaire.
Ce n’est pas tout à fait l’angle d’attaque choisi pour ce dernier numéro, davantage conçu pour restaurer l’espoir dans l’avenir. Espoir, un temps malmené par l’épidémie et que les lettres qui le composent s’efforcent modestement de rétablir. Chacun des contributeurs l’a fait à sa manière, en lui donnant le ton qu’il souhaitait — bienveillant, ironique, chaleureux, goguenard, provocateur, amical —, mais avec une même volonté : laisser libre cours à l’émotion aiguisée par le désir d’École. Nous espérons que vous prendrez autant de plaisir à lire ces lettres que nous en avons pris à les écrire.
(1)1932. Version en ligne disponible avec le lien http://classiques.uqac.ca/classiques/Alain/propos_sur_education/propos_sur_education.doc