Témoignages

Publié le 13 sept. 2020

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Le  dimanche 13 septembre 2020

Témoin du déconfinement

Marie-Christine de Riberolles

  • Visuel M-C de Riberolles

    Témoin du déconfinement

     

    17/05/2020

     

    Le confinement nous a renvoyé à nos choix intimes : modes de vie, choix affectifs, gestion de nos émotions et de nos relations avec nos proches. Il a mis au jour nos conforts et nos inconforts.

    Le déconfinement s’est préparé pendant ces semaines de confinement. Entre le rêve et l’idée de transgresser les limites posées au-delà des 100km, j’ai pu observer des attitudes très variées, quels que soient les générations ou les milieux sociaux. Fuir son inconfort matériel (domicile) ou affectif (relations familiales ou conjugales), dépasser ses peurs ou prouver qu’on est le meilleur (« même pas peur »), penser ses sorties avec mesure et bon sens, justifier son désir de ne pas sortir du confinement…chacun a pu être confronté dans sa sphère privée à des débats sur ce que sera le déconfinement.

    Le déconfinement nous renvoie à notre image de la société et à notre vision de la citoyenneté. Etre citoyen, c’est respecter les lois ce qui peut signifier parfois, d’être entravé dans sa logique individuelle. Etre citoyen, c’est accepter d’être attentif à l’Autre, même si cela dérange parce qu’il est plus aisé, plus âgé que moi. Etre citoyen, c’est mesurer son comportement et l’adapter pour que la société puisse dépasser la crise.

    Dans le confinement, la liberté individuelle a pris des tours parfois risqués : rejoindre sa résidence secondaire, braver les interdits…Dans le déconfinement, cette même vision de la liberté a amené à pousser vite et fort les limites (reprendre ses loisirs, inviter ses amis en nombre …) pour retrouver un sentiment de liberté. Mais à travers ces multiples comportements, la peur persiste. Renvoyés à notre notion du risque, nous agissons bien plus en fonction de nos perceptions du danger.

    Le déconfinement a été pour moi, non pas une sortie de confinement mais un prolongement avec ouverture progressive vers une autre manière de vivre. Il a fallu se réadapter à un rythme plus régulier et se préparer à déconfiner par petites doses en faisant preuve de pédagogie avec les jeunes et les plus anciens. Trouver des prétextes pour sortir un peu plus loin et prendre l’habitude de se préparer à cette sortie. Les premiers temps ont même été éreintants. Les distances habituellement si proches, paraissaient si éloignées et si risquées. Puis peu à peu, de nouvelles habitudes se sont installées. Sortir et rentrer sont devenus des étapes initiatiques de notre vie. Seuls les plus âgés sont encore dans une peur paralysante, là où les plus jeunes sont entrés avec bonheur dans la reprise de leurs relations amicales. Cependant, le moindre symptôme inquiète et nous amène à la relecture des jours passés et à regretter d’avoir parfois osé ou lâcher-prise. La distanciation sociale est particulièrement difficile quand nous partageons un écran, échangeons un objet ou parlons autour d’un même support.

    Outre, la force des valeurs inculquées par l’éducation, l’importance des gestes barrières dans le déconfinement renvoie à notre bon sens. Le port du masque en est l’exemple le plus flagrant. Que ce soit dans sa mise en place, dans son maintien ou dans la manière de l’enlever, j’observe chaque jour des comportements absurdes sur ce point. Retrouver le sens de nos gestes, de nos actions, de nos relations sociales est une des leçons de la traversée actuelle. Réapprendre la lenteur de nos racines paysannes permet de mesurer l’impact des gestes posées, leurs conséquences pour moi et pour mon entourage. Nous ne pouvons pas vivre dans l’attente permanente de quatorzaines qui évalueraient notre comportement social, par le déclenchement ou non de symptômes. Nous ne pouvons pas regretter à postériori, une proximité rapprochée prolongée et risquée. C’est la mesure de chacun de nos gestes qui doit devenir notre gradient quotidien.

    En tant que danseuse contemporaine, j’ai appris à moduler corporellement la distanciation à l’autre. J’ai expérimenté la force d’un regard à distance, le dialogue de corps éloignés qui se parlent avec intensité et la proximité que ces relations créent avec l’intense jubilation d’avoir touché au plus profond de ce que nous sommes.

    La distanciation sociale n’est pas la fin de nos relations sociales mais bien plus la recherche de leurs substances profondes. Une belle transformation de notre société toujours dans l’urgence et le superficiel est peut-être en route

    Et si ce virus était là pour longtemps ? Comment sortir du temps court de la crise et accepter le temps long du risque ?

    Les médias ne cessent de titrer que le monde d’après sera transformé par la crise du coronavirus. N’est-ce pas là, une des formes majeures du changement ? La gestion du risque actuel nous fait prendre conscience de la perte de nos comportements éthiques et vertueux

    Né le jour de Sainte Prudence, j’ai toujours été persuadée que « prudence est mère de toutes les vertus » comme le dit le proverbe. La prudence amène à anticiper ses actions et à donner un cadre de prévention et protection à ce que l’on met en œuvre. Etre prudent, c’est avoir toujours un masque propre dans sa poche, trouver un équilibre pour adapter sa vie à la situation actuelle et non l’inverse

    Le déconfinement dans l’Education Nationale a montré également le courage de ceux qui sont sortis de leur confinement douillet pour risquer la relation avec ceux qu’ils accompagnent. Il a fallu penser, organiser les lieux et accepter d’être « au front » plutôt qu’à l’arrière. Mais certains n’ont pas réussi à franchir ce pas.

    Etre courageux, c’est sortir de chez soi et participer à l’élaboration d’une société transformée en connaissant le risque, en le mesurant et en le gérant avec professionnalisme et engagement.

    La France du déconfinement n’est pas si différente de celle d’avant le virus. Elle met juste en avant l’importance du travail, de l’engagement et de l’implication silencieuse de ceux qui servent avec détermination la nation depuis longtemps, au nom de principes, principalement celui de l’intérêt collectif.

    Le déconfinement nous fait prendre conscience de notre chance de vivre dans une démocratie où notre liberté de parler, de circuler, de travailler est reconnue. Peut-être avions nous oublié que cette liberté avait un cadre collectif ? Une démocratie ne peut vivre sans des acteurs impliqués et consciencieux, sans un sens commun des valeurs fondatrices. Saurons-nous nous emparer de ce que nous avons expérimenté pour construire ensemble un nouveau cadre collectif ?

    La prochaine étape n’est pas l’entrée dans la normalité mais plutôt la construction de cette normalité tant attendue qui ne sera pas identique à ce que nous attendons. Poursuivre les efforts de prévention, inventer de nouvelles relations et protéger ces vertus et valeurs qui nous ont portées durant ces mois.

     

     

    Marie-Christine de Riberolles