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Actions exemplaires

Publié le 21 oct. 2020 Modifié le : 17 mai 2021

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Le  mercredi 21 octobre 2020

Message de Monsieur le Recteur à tous les personnels

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    Le drame noué, le vendredi 16 octobre, à Conflans-Sainte-Honorine, nous a saisi d’effroi. Non seulement, il constitue un assassinat mais encore, au sens précis du terme, un « acte de barbarie ». La mort infligée se double, par son mode de perpétration, d’une volonté marquée et calculée d’une effroyable négation de la civilisation : un acte, d’une sauvagerie et d’une cruauté délibérées, qui engendre l’horreur.

    L’effroi. C’est un sentiment de frayeur, d’épouvante, de terreur et de grande peur dont on attend qu’il annihile toute réaction. Il y a donc un lien précis entre l’acte de barbarie et le désir de « terroriser » au sens plein de ce terme.
    Tous, nous avons ressenti cet effroi. Puisqu’il s’agit d’un acte de violation de la civilisation et de l’humanité et parce que nous sommes des êtres humains avec la sensibilité inhérente à notre nature, nous avons violemment vécu un tel acte criminel, dans notre propre chair, car c’est bien une « atteinte grave et délibérée à la dignité de la personne humaine ». Ce n’est pas une formule facile de rhétorique que de dire que nous nous sommes tous, instinctivement associés à la victime, en un instant nous étions tous « professeurs à Conflans » : tel était bien l’intention surdimensionnée du criminel. « Compassion » : dans son étymologie, c’est le mot précis qui convient.
    Mais nous devons, maintenant, nous délivrer de cet effroi et regarder avec lucidité, donc sérénité, où est notre devoir commun : avoir le discernement de ce que nous devons faire et ayant compris ce que requiert notre devoir, trouver en nous et ensemble, la force de l’accomplir.

    Nos pensées rejoignent celles exprimées par le président de la République et notre ministre, pour la mémoire du professeur « martyr de la liberté », de ses proches, mais aussi de toute l’équipe, dirigeante et enseignante du collège du Bois d’Aulne. Sans oublier les élèves profondément marqués par ce crime : leur vie, vendredi soir, a définitivement changé. Au-delà nous devons veiller à tous les élèves de notre académie, placés dans des situations proches sinon similaires, qui eux aussi, ressentiront les mêmes sentiments de peur, d’incertitude et d’interrogation. L’onde de choc se répandra partout.
    Il conviendra d’aider les élèves à analyser ce drame et les accompagner dans leur réflexion, celle-ci ne manquera pas de se heurter à ce qu’ils peuvent entendre, dans certains milieux, dans leur entourage, sans compter sur les effets dévastateurs des réseaux sociaux, pour éviter les raisonnements simplistes qui dénaturent et conduisent vers une lecture téléologique des événements.

    Vous savez que le mensonge s’enclenche d’autant plus aisément quand il prend la figure de la corruption de la vérité. On part d’une parcelle de vérité, on la présente sous un jour faussé, puis on extrapole. De fil en aiguille en instillant le doute, on quitte une démarche intellectuelle honnête pour aboutir inexorablement à une falsification complète de tout.
    Le « complotisme » n’est pas nouveau, il est même très ancien, mais il dispose aujourd’hui de formidables caisses de résonance pour discréditer les institutions qui constituent l’armature de la démocratie. Il nous faudra être les « ostéopathes de la vérité ».

    Nous prévoirons, selon les prochaines instructions ministérielles à ce sujet, à la rentrée (le lundi 2 novembre) de nous unir dans un moment de recueillement et de souvenir. Au-delà (durant les jours qui suivront), nous consacrerons le temps nécessaire pour faire comprendre aux élèves, l’ampleur de ce drame, mais aussi les leçons à en tirer pour faire face à d’autres défis potentiels. Je vais proposer, prochainement, en concertation avec les personnels de direction et les organisations syndicales, ainsi que les fédérations de parents d’élèves, une « journée citoyenne » allant en ce sens. Nous le ferons en étroite collaboration avec la Fondation du Camp des Milles, partenaire fort de notre académie (la quasi-totalité des collégiens du département des Bouches-du-Rhône a la possibilité, par le soutien du conseil départemental, de pouvoir visiter ce lieu au cours de leur scolarité).

    Face à la barbarie, la raison doit, en premier lieu, demeurer ; en second, se reconstituer, enfin se fortifier.
    En tout premier, à tous les enseignants, je veux témoigner de mon soutien en ces moments d’ébranlement intérieur.

    Qu’il me soit permis de le faire avec une attention toute particulière pour les professeurs d’histoire-géographie, dont je me sens instinctivement proche pour avoir suivi un même parcours d’études qu’eux. Chaque professeur d’histoire, plus encore lorsqu’il est affecté dans une zone d’éducation prioritaire n’a pu que s’interroger sur sa sécurité et voir monter en lui ses craintes sinon ses angoisses. Il ne s’agit pas d’abstraction ou d’interrogation vague, mais bien d’un questionnement intime. Que ces professeurs sachent combien nous sommes tous avec eux, mais aussi que nous nous donnerons tous les moyens pour prévenir des mises en cause de leur posture pédagogique et les conséquences qui pourraient en découler quant à leur sécurité (la leur ou celle de leurs proches), en lien avec les autorités compétentes en ce domaine.

    Dans un pays si passionné par l’histoire (ce qui n’est pas si fréquent : il y a même quelques pays où l’enseignement de l’histoire est marginal, voire même inexistant), créateur de « la journée du patrimoine » devenue mondiale par son succès en France, le professeur d’histoire remplit une mission forte et déterminante. Il lui incombe de faire découvrir aux élèves les racines, les fondements, le substrat du présent, avec tous les aléas que comporte nécessairement l’histoire d’une nation. Enseignant de surcroît la géographie, il est au fond celui qui fait découvrir aux élèves le peuple et le territoire, la nation et l’espace : bref, celui qui explique le pays, partant de là il est aussicelui qui les aide à ouvrir leur curiosité vers l’extérieur et l’altérité, pour mieux les comprendre et ne pas en avoir peur.
    S’attaquer à un professeur d’histoire, c’est donc s’en prendre à celui qui dans son cours donne aux jeunes les deux clés essentielles pour comprendre la France, la France dans l’Europe et l’Europe dans le Monde. C’est prétendre nier ce long temps qu’est l’histoire et cette longue permanence qu’est la géographie. Le professeur d’histoire par son regard sur le passé ouvre les yeux de ses élèves sur le présent qui est le sien et l’avenir qui sera celui de ceux qui l’écoutent. Plus qu’un autre, il est un « passeur », un relais.

    Au-delà, il est fréquent que ce professeur soit en charge du cours d’enseignement moral et civique (EMC)  : c’était le cas de Samuel Paty. Ce qui souligne le lien étroit entre l’histoire et la valeurs morales et civiques de notre pays. Lors du cours, objet de la part de certains d’une polémique absolument infondée, Samuel Paty n’a fait qu’appliquer le programme d’enseignement moral et civique , en particulier sur l’éducation relative à la liberté d’expression. Je vous invite à vous y reporter pour répondre à qui mettrait en cause cela.

    De manière plus générale, s’agissant de la sécurité des professeurs, j’écoute avec attention ceux d’entre vous (spécialement les chefs d’établissement et plus encore les directrices et directeurs des écoles) qui me disent que trop souvent les plaintes déposées pour agression ou menace sont classées « sans suite ». Je le sais et je fais d’ores et déjà des propositions d’un travail coordonné entre nos services et ceux des parquets.

    L’émotion et l’action. Ayant ressenti l’effroi, nous devons le dominer, en faire une émotion intérieure de nos cœurs et de nos esprits.

    Dans un premier temps, l’effroi peut subvertir notre intelligence, annihiler notre énergie, broyer notre volonté. C’est le but de tout terroriste. Il a touché notre esprit et il veut rompre notre cœur. Aussi, devons-nous nous ressaisir. Dans un second temps, maîtriser et métamorphoser cela en un sentiment puissant, pour y trouver force et détermination au service de la raison qui doit toujours l’emporter.

    Il nous faut, une nouvelle fois depuis 2015 analyser, partout où nous sommes, établissement par établissement, les risques et les périls. Nous devons avec vigilance détecter les fissures invisibles, les zones de fragilité inconnues, les silences suspects. Concrètement, mieux vaut une alerte qui se révèlera infondée qu’une alerte trop tardive : la prudence est dans la réaction à l’alerte qui doit être examinée avec soin, non dans l’alerte elle-même. Une fumée dans une pinède : on appelle les pompiers. Il doit en être de même pour les établissements scolaires.

    Le silence. En lui-même il peut être un signe. Un élève en classe doit, naturellement, écouter mais il n’est pas là que pour cela. Nous le savons tous. Mais nous devons prêter une grande attention à ce que conforter la « démocratie scolaire » pour éduquer vers la citoyenneté suppose impérativement de poursuivre le travail qui vise à permettre aux élèves de parler, de s’exprimer avec les risques inhérents à cette pratique. Car c’est à partir des propos dits, plutôt que tus, que la tâche ardue de déconstruction des représentations et de reconstruction peut s’opérer.

    C’est bien là, l’un des enjeux majeurs du cours d’EMC et sa grande différence avec ce que fut « l’instruction » civique d’antan (dont, au surplus, je conserve un bon et précieux souvenir). L’objectif de ce cours (mis en place à la rentrée 2015) réside dans sa finalité qui doit concourir à l’appropriation, pas à pas, chaque jour, par les élèves des valeurs de la République. Ils ne doivent pas simplement connaître les fondements de la République, mais se préparer à en être les citoyens au sens entier de ce mot, depuis les racines grecques et latines de ce mode de gouvernement.
    La République n’est pas une abstraction, elle est le corps vivant de la Nation. Les élèves doivent s’en sentir déjà participants et monter vers l’âge de la majorité (correspondant le plus souvent à l’année du baccalauréat ou d’autres formations de même valeur), où ils seront conviés à exercer pleinement leurs droits civils et civiques.

    Il n’y a pas de démocratie sans décision fondée sur le principe majoritaire, mais ce principe pour sa légitimité suppose le débat. La démocratie, c’est le forum et l’agora. L’école est cela aussi.

    Pressentir et avertir. La prudence est une vertu ; la pusillanimité, une carence du caractère.

    Suivant en cela les prescriptions claires du ministère, notre académie a déjà mis en place, depuis des années, des processus de vigilance et de remédiation. Il faut que chacun prenne le soin de se les approprier, mais aussi de suggérer comment, sans cesse, ils doivent se perfectionner et (plus encore) s’adapter à des situations mouvantes : tout change en peu de temps, voire en un an, dans ce domaine. Il n’en demeure pas moins que les réponses ne sauraient être isolées, pour éviter d’être maladroites. Elles doivent d’appuyer, tant pour le conseil que pour l’accompagnement, sur l’expérience de la cellule académique « Valeurs de la République » (au rectorat sous la conduite du Conseiller Technique Établissements et Vie Scolaire, Éric Rusterholtz) et sur l’expertise des différents référents académiques. Dès que nécessaire, il faut y avoir recours.
    L'équipe académique valeurs de la République demeure à votre disposition et n’hésitez pas à la saisir.
    Informations et coordonnées :
    http://www.ac-aix-marseille.fr/cid126527/l-equipe-academique-laicite-fait-religieux.html


    Je me dois de souligner le travail déjà remarquable effectué dans notre académie, grâce à l’impulsion décisive de Rodrigue Coutouly, qui s’est emparé de la question de l’esprit critique pour en faire un moteur du travail de promotion de la laïcité. L’équipe académique « laïcité et faits religieux », depuis des années, accompagne et soutient les équipes pédagogiques sur le terrain grâce à neuf groupes de travail qui réfléchissent et produisent de la ressource, autour de neuf thèmes reliés à l’esprit critique. Cela a donné un ouvrage, premier de son genre, Esprit critique : outils et méthodes pour le second degré, sous la direction de Gérald Attali et Abdenour Bidar, publié par Canopé en 2019. Cet ouvrage doit être entre les mains de tous, s’il ne l’est déjà.

    Le DAFIP, Vincent Valéry, a notablement fait évoluer le PAF, qui désormais s’enrichit de formations « à la demande » de la part des divers réseaux scolaires de l’académie. Il se tient à votre disposition pour élaborer toute formation que vous pourriez suggérer. N’hésitez pas à faire des propositions ou des sollicitations.
    Notre académie possède une véritable compétence en la matière pour avoir été, par la force des choses, une des premières à réagir à de tels défis. Enfin, je ne saurais oublier la promptitude et l’efficacité des équipes mobiles académiques de sécurité (EMAS) dont la réaction est toujours exemplaire, en tant que de besoin.

    En amont, il nous incombe aussi de renforcer, dans le parcours de formation initiale, l’outillage et la vigilance des jeunes enseignants pour les aider à se construire des armes intellectuelles solides. Très prochainement, je ferai le point sur ce sujet avec la directrice de l’INSPE, dont je sais l’attention à tout cela, mais aussi avec le président de l’Université, dont cet institut est une composante.
    Une telle formation doit revêtir deux aspects. Une solide doctrine et une pratique éprouvée : les deux vont de pair. Une pratique sans théorie est un empirisme sans boussole, mais une théorie non assortie de dispositions pratiques n’est qu’une dilution intellectuelle. Un professeur doit savoir « pourquoi », mais aussi « comment ». La très récente nouvelle édition du « vade-mecum de la laïcité à l’école » (octobre 2020) est un instrument probant à cet effet.

    Au-delà de tout, l’École de la République doit être l’endroit où l’on comprend la célèbre formule de Renan dans sa conférence
    Qu’est-ce qu’une nation ? : un plébiscite de tous les jours. Je vous invite à découvrir ou redécouvrir ce texte tenu pour classique. Si l’on ne veut pas que le « vivre ensemble » soit un simple thème de discours mais d’action, nous devons enseigner le sens profond du terme de « contrat social ».

    Qui ne l’accepte pas ne peut véritablement être membre de la Nation. Le mot de « contrat » a un sens. Il implique que les parties contractantes s’engagent et se respectent. Notre « contrat social » c’est notre constitution (4 octobre 1958) dont les piliers porteurs sont les deux déclarations des droits de 1789 et 1946.

    Faut-il rappeler qu’à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel en date du 21 février 2013, ayant explicitement énoncé que le principe de laïcité, garant de la neutralité de l’État, est un principe de valeur constitutionnelle, a fait ainsi muer la qualité des articles 1er et 2 de la loi du 9 décembre 1905, désormais inclus dans le « bloc de constitutionnalité », en « annexes » (en quelque sorte) de l’article premier ? Relire, commenter et vivre cet article premier, ainsi enrichi des deux autres textes, serait un bel et instructif exercice, devant tous les élèves.
    L’article premier de la constitution donne les traits vitaux de la République ; l’article premier de la loi de 1905 énonce, sobrement, ce que la République doit faire en matière de liberté de conscience et de respect des diverses croyances et l’article deux, ce dont elle doit s’abstenir. Les trois textes s’imbriquent d’une manière parfaite et cohérente. Redisons que la rime naturelle de « laïcité » est « liberté ».
    Si nous voulons prendre plus de champ avec l’actualité éprouvante, puisque nous parlons d’histoire du pays, dans quelques jours, le 9 novembre, le pays fera mémoire du cinquantième anniversaire de la mort de Charles de Gaulle (puis le 22 du même mois, du 130
    e anniversaire de sa naissance). Les circonstances de l’année qui s’achève n’auront guère permis le déroulé prévu des diverses commémorations initiales programmées à travers tout le pays.
    Dans un passage bien connu de
    Vers l’armée de métier, il écrivait : La véritable école du commandement, c’est la culture générale. Nous pourrions extrapoler et dire qu’au bout de tout, la véritable éducation c’est la culture. Les deux sont inséparables parce que consubstantielles. La culture permet une meilleure éducation et l’éducation conduit à la culture. L’éducation structure et éveille l’esprit ; la culture, le nourrit et l’épanouit. La culture est un questionnement permanent, une découverte de tous les jours et une mise en perspective de la propre vie de chacun au regard de celles des autres. C’est ce que font, précisément, tous les enseignants, dans leur discipline, lesquelles se rencontrent comme des lignes convergentes vers un même horizon.

    J’ai souvent répété que, depuis 1932, notre ministère n’est plus celui de l’Instruction Publique mais de l’Éducation nationale. Dans ces jours d’épreuve méditons ensemble sur l’attribut et le qualificatif : qu’est-ce que l’éducation ? Est-ce se contenter de « traiter les programmes » ? En quoi est-elle nationale ? N’est-ce pas, au-delà de la Nation, s’ouvrir à l’universel ? De la réponse à ces deux interrogations dépend l’accomplissement de notre devoir que la République attend de nous, avec la confiance qu’elle nous a toujours accordée.
    Il faut toujours puiser courage dans l'héroïsme des autres qui éclaire nos vies par la leur, aussi terminerai-je en renvoyant à un auteur insuffisamment connu : Jacques Lusseyran (auquel Jérôme Garcin consacra son roman
    Le voyant) : 
    Devenu accidentellement aveugle à huit ans, il releva ce défi. Face à l’effondrement de notre pays en 1940, il entra en résistance et fut déporté à Buchenwald en 1944, dont il put revenir. Dans l’un de ses livres
    Et la lumière fut  (Folio, n° 6119, chap. 4, in fine) il écrit (au sujet de sa brusque cécité) : Tout enfant encore, je comprenais que notre liberté n’est pas dans le refus de ce qui nous frappe. Être libre, je le voyais, c’était, acceptant les faits, de renverser l’ordre de leurs conséquences.
    Bernard Beignier