Éduquer au développement durable : un projet citoyen pour l’École du XXIe siècle

Michel Hagnerelle, IGEN honoraire

Laurent Carroué, IGESR

En ce début des années 2020, le grand projet d’éducation au développement durable (EDD) porté par l’École française depuis plus de quatre décennies se trouve fortement interpellé.

Interpellé, car il y a maintenant de plus en plus d’urgence à former tous les jeunes, futurs acteurs et décideurs du milieu du XXIe siècle, à la définition et à la construction du monde dans lequel ils veulent vivre. Sous l’égide de l’UNESCO, l’EDD est devenue un vaste projet éducatif mondial qui vise à mobiliser tous les pays de la planète.

Interpellé aussi par la crise du Covid-19 qui met brutalement en évidence les vulnérabilités du fonctionnement de nos sociétés dans le cadre du processus de mondialisation, met aussi à rude épreuve leurs capacités de résilience et interroge sur leur capacité à gérer des risques de plus en plus globaux. Elle ouvre ainsi bien des débats sur la nécessité de repenser le monde, de bâtir un nouvel ordre international ; c’est toute la question de modes de développement réellement plus durables qui se trouve ainsi posée.

Le moment se prête donc bien à faire le point : où en est l’EDD en France ? Quels défis restent à relever pour en achever la généralisation ?

1. Des années 1970 à la fin des années 2010 : de la sensibilisation à l’environnement à l’éducation au développement durable

1. C’est dans les années 1970 que l’École, en France, s’ouvre aux grandes questions environnementales.

    

Dans la foulée de la « Conférence des Nations unies sur l’environnement humain » qui s’est tenue à Stockholm en juin 1972 (ayant pour slogan « Une seule Terre, un seul peuple »), une première circulaire, datée du 29 août 1977, donne des « instructions générales sur l’éducation des élèves en matière d’environnement » et fixe comme objectif de «développer chez l’élève une attitude d’observation, de compréhension et de responsabilité à l’égard de l’environnement ».

À la suite du « Second Sommet de la Terre », de Rio de Janeiro, en juin 1992 (adoption du « développement durable » comme référentiel international dans le cadre de « l’Agenda 21 »), une nouvelle circulaire, publiée en mars 1993 et intitulée « Politique d’accompagnement du développement de l’éducation à l’environnement », précise que « L’environnement est un thème transversal qui concerne à la fois les disciplines scientifiques, littéraires, artistiques et les activités physiques et sportives… Outre la nécessité d’intégrer la dimension environnementale dans les différents contenus d’enseignement, il convient de développer et d’encourager, dans le cadre du projet d’établissement, les types d’actions pédagogiques les mieux adaptés à l’étude de ce thème ».

On peut dire que les trois dernières décennies du XXe siècle ont permis de jeter les bases d’une sensibilisation et d’une initiation à l’environnement dans le système scolaire français. On a vu alors fleurir de multiples initiatives et actions, conduites souvent avec des partenaires. Cependant, jusqu’au début des années 2000, l’implantation de ces questions dans le système scolaire reste dispersée et modeste.

2. Le milieu des années 2000 constitue une nouvelle étape essentielle, avec le lancement d’une ambitieuse politique de généralisation à tous les élèves, tout au long de leur scolarité.

    

Celle-ci donne lieu à cinq circulaires, publiées entre 2004 et 2015, correspondant aux phases successives de la généralisation.

En résonnance avec le « Sommet mondial pour le développement durable » de Johannesburg d’août 2002, la circu-laire de juillet 2004 définit les fondements d’une « généralisation d’une éducation à l’environnement pour un développement durable (EEDD) ». Celle d’avril 2007 assure le passage définitif à « l’éducation au développement du-rable (EDD) ».

Dès le milieu des années 2000, sont ainsi définis les grands objectifs éducatifs de l’EDD qui s’inscrivent dans trois grands champs de compétences.

   * Le champ de la formation scientifique : CONNAÎTRE et RAISONNER

Former des esprits informés, curieux et cultivés à travers la maîtrise des grands concepts et des problématiques développés par l’ensemble des disciplines dans le domaine du DD. Le but est de cultiver le champ de la connaissance en amenant les élèves à dépasser les idées reçues, à sortir des bons sentiments, à ne pas se cantonner aux gestes écoresponsables, à la portée peu formatrice, à se garder d’une vision catastrophiste du futur, davantage susceptible d’inhiber les initiatives qu’à les stimuler.

Former à la complexité, au questionnement, au doute scientifique, à la gestion de l’incertitude..

Former à l’esprit critique, au choix, au débat, à l’argumentation pour bannir les « il n’y a qu’à », décrypter le jeu des acteurs, démêler les conflits d’intérêts, savoir se démarquer des attitudes moralisatrices et culpabilisantes improductives…

   * Le champ de la formation citoyenne : AGIR et S’ENGAGER

Former aux valeurs fondamentales de la vie en société : en particulier, la justice, l’équité, la solidarité (acquisition d’une éthique de la solidarité locale, mais aussi internationale, planétaire).

Former à la participation citoyenne, à la responsabilité, à l’engagement, à l’action.

   * Le champ de la construction d’un projet personnel : PRÉPARER SON AVENIR

Former à la gestion de son futur : penser l’avenir avec confiance, s’en donner une vision positive, apprendre à s’y projeter et à se doter de projets personnels constructifs.

Former à l’intégration, au quotidien, des questions de DD dans sa vie personnelle et professionnelle (tous les métiers du futur comporteront obligatoirement une dimension DD).

Au total, les objectifs éducatifs majeurs de connaissances et de compétences de l’École sont bien au coeur de l’EDD; éduquer au DD, c’est aussi éduquer par l’EDD.

Pour atteindre ces objectifs, sont alors affirmés un certain nombre de principes et de démarches qui sous-tendent, depuis, toute la politique d’EDD : double intégration nécessaire des questions de développement durable à la fois dans l’ensemble des programmes d’enseignement et les projets des écoles et des établissements ; exigences scientifiques fortes et croisement des regards disciplinaires (co-disciplinarité et transversalité) ; approche globale, systémique des trois volets du développement durable : environnemental, économique et socioculturel ; promotion d’une conception positive et prospective des questions de développement durable ; mise en cohérence de l’EDD avec les autres « éducations à… » ; inscription des questions de développement durable dans le temps et l’espace ; mise en place d’une structure opérationnelle EDD dans les académies (responsable académique auprès du recteur, comité de pilotage et de suivi) ; recours aux indispensables partenariats…

2. Décennie 2020 : une nécessaire troisième phase dans l’histoire de l’EDD pour finaliser la généralisation

    

En ce début de la 3e décennie du XXIe siècle, la donne a changé. Les effets de deux événements planétaires majeurs sous l’égide de l’ONU, à la fin de l’année 2015, se font pleinement sentir : d’une part, la COP 21 qui s’est tenue à Paris et qui est à l’origine d’une nouvelle phase majeure de mobilisation autour du changement climatique ; d’autre part, l’Agenda 2030 « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 » qui définit en particulier les 17 objectifs de développement durable (ODD). Ces deux événements soutiennent une demande sociale qui s’intensifie, en particulier chez les jeunes.

Ils sont aussi à l’origine d’une nouvelle phase dans la politique d’EDD en France qui vise l’accélération de la généralisation dans le cadre d’un nouveau projet « Agenda EDD 2030 ». Cette nouvelle phase s’appuie sur trois nouveaux supports : la circulaire du 28 août 2019 « Transition écologique — Nouvelle phase de généralisation de l’édu-cation au développement durable — EDD 2030 » ; la circulaire du 24 septembre 2020 « Renforcement de l’éduca-tion au développement durable – Agenda 2030 » (ces circulaires mettent notamment l’accent sur les approches du changement climatique et de la biodiversité, le label E3D et les écodélégués) ; le vademecum « Éduquer au déve-loppement durable - Horizon 2030 » diffusé en début d’année 2021 ; c’est un document incontournable qui, à la fois, fait le point sur les riches acquis de l’EDD, et définit les principaux leviers de l’action pour les années 2020.

D’importantes perspectives s’ouvrent pour la décennie 2020, en vue de la réussite de l’EDD.

Une actualisation des fondements notionnels et conceptuels : aujourd’hui, de nombreuses recherches font porter les démarches de développement durable sur les notions globalisantes de « Grande transition », de changements globaux, d’anthropocène, même si ces notions sont encore l’objet de débats (raison de plus pour nourrir les ré-flexions de l’EDD).

Le choix explicite, comme feuille de route, de l’Agenda 2030 et des 17 ODD qui constituent la ligne d’horizon de l’action des 193 pays signataires. Les ODD recouvrent toutes les dimensions du développement durable et l’en-semble des grands défis que l’humanité doit relever d’ici la fin de la décennie.

Intégrer pleinement les objectifs éducatifs de l’UNESCO. L’UNESCO vient de définir un « nouveau cadre mondial pour l’éducation en vue du développement durable pour 2020-2030 » dans lequel l’EDD apparaît comme le cataly-seur clé pour la réussite de tous les ODD. À ce titre, l’UNESCO a élaboré deux excellents documents qui constituent des aides incontournables pour tout acteur de l’EDD : le guide « L’éducation en vue des objectifs de développement durable - Objectifs 2030 » (cette brochure définit les objectifs d’apprentissage communs à l’ensemble des sociétés humaines) ; « La feuille de route pour l’EDD – EDD pour 2030 ».

Décliner l’Agenda EDD 2030 de la France aux échelons académique et local. C’est l’occasion :

- de réaliser une relance des politiques académiques autour « d’Agendas académiques EDD 2030 » qui conduisent à la conception de nouveaux projets académiques globaux centrés sur les ODD,

- d’élaborer des « Agendas d’école et d’établissement EDD 2030 » autour des ODD qui servent de base nouvelle et intégratrice aux projets E3D.

- Porter un regard très attentif aux évolutions de fond que la pandémie du Covid-19 pourrait apporter dans les approches de l’éducation à la santé, de la culture du risque et, plus globalement, dans la conception de la durabilité de nos modes de développement…

Assurément, au fil des quatre dernières décennies, l’École a progressivement intégré les questions, les démarches et les problématiques de développement durable dans ses objectifs et dans ses pratiques. Mais la généralisation est une oeuvre de longue haleine. La mise en oeuvre de l’Agenda éducatif 2030, au cours de cette décennie, sera décisive ; le but est d’aboutir à une réelle intégration, à une « imprégnation » quotidienne du développement durable dans l’ensemble des enseignements et des projets des écoles et des établissements.

L’enjeu est essentiel : plus que jamais, l’EDD s’avère être un projet d’éducation globale majeur pour les sociétés du XXIe siècle. Par essence, le développement durable est une dynamique, une mise en mouvement, un projet d’action. Aux yeux de nos élèves, il s’affirme comme une autre façon de lire et de penser le monde d’aujourd’hui et celui de demain, comme un moyen privilégié de les aider à donner un sens au monde dans lequel ils vont vivre, à dessiner un horizon souhaitable, à se doter des clés pour participer à la construction de futurs qui ne sont pas écrits.