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Publié le 16 juin 2021

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Le  mercredi 16 juin 2021

Pour limiter la crise climatique, il faut apprendre de la crise sanitaire actuelle

Article écrit par Joël Guiot, directeur de recherche émérite du CNRS, CEREGE, Aix-Marseille Université, Aix-en-Provence

  • Pour limiter la crise climatique, il faut apprendre de la crise sanitaire actuelle

    Joël Guiot, directeur de recherche émérite du CNRS, CEREGE, Aix-Marseille Université, Aix-en-Provence

     

    Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) alerte le public et les décideurs depuis plusieurs décennies. Ses principaux messages sont que le changement climatique affecte déjà les populations, les écosystèmes et les ressources, qu’il est encore possible de limiter le réchauffement à 1,5 °C au-dessus de la température de la période pré-industrielle (grosso modo fin du 19e siècle), mais cela requiert des changements sociétaux urgents et radicaux. L’Accord de Paris, que la plupart des pays ont signé en 2015 lors de la COP21, encourage à ne pas « trop » dépasser ce seuil de 1,5 °C en limitant fortement les émissions de gaz à effet de serre (GES). Malheureusement, depuis la signature de cet accord, les GES ont continué à augmenter, ce qui rend de plus en plus difficile de réaliser cet objectif. Les COP suivantes (Marrakech, Bonn, Katowice, Madrid) n’ont abouti qu’à des tout petits pas. En décembre 2021, lors de la COP26 à Glasgow, il est prévu de ré-évaluer à la hausse les contraintes qui s’imposent pour respecter ces accords. Du côté de la science, les dernières simulations numériques des changements climatiques sont encore plus inquiétantes que les précédentes : si on laisse filer nos émissions de GES, il n’est pas exclu d’atteindre un réchauffement planétaire de +7 °C à la fin du siècle. Ce serait Marrakech à Marseille. L’Union européenne a fixé un cap : diminuer nos émissions de 55 % en 2050 avec un financement important appelé le Pacte vert pour l’Europe. La neutralité carbone en Europe peut ainsi être atteinte en 2050 si les pays membres suivent ces propositions.

     

    Si les risques sont nombreux et planétaires, ils affectent tout particulièrement les pays en voie de développement et les couches les plus pauvres de la population mondiale, y compris dans les pays riches. L’ONG OXFAM a calculé que les 10 % des citoyens européens les plus riches étaient responsables de plus du quart des émissions, et que leur empreinte carbone par habitant était 10 fois supérieure à ce qui est requis par l’Accord de Paris, que celle du pour cent le plus riche est 30 fois trop élevée, alors que celle des 50 % les plus pauvres n’est que deux fois plus élevée. Il y a donc une vraie justice climatique à répartir les efforts en prenant en compte à la fois la responsabilité des émissions passées et présentes et la vulnérabilité aux risques. Il y va de la responsabilité des pays riches les plus émetteurs de GES depuis la révolution industrielle de financer la transition écologique et les mesures d’adaptation des plus fragiles, via le fonds vert (décidé à Paris en 2015) encore insuffisamment doté. Le pacte européen a également un volet social qui proclame que personne ne doit être laissé de côté.

     

    L’heure n’est plus à la procrastination. Partout, nous voyons des indices alarmants de ce qui nous attend (incendies gigantesques, inondations et même les gels tardifs en avril après un hiver trop doux). Comme le rappelle l’économiste Pierre Larrouturou, nous avons pu trouver 1000 milliards pour sauver les banques après la crise de 2008. Pourquoi n’arrive-t-on pas à en trouver autant pour sauver le climat ? On pourrait ajouter que le COVID19 a réussi à faire passer la santé devant l’économie. Peut-être est-ce un signe que quelque chose est en train de changer ? Se référant au Pacte vert européen, on connaît les solutions techniques : investir dans des technologies respectueuses de l’environnement, déployer des moyens de transport privé et public plus propres, plus abordables et plus sains, décarboner le secteur de l’énergie, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Mais tout cela ne sera pas suffisant si l’on n’ajoute pas : transformer nos modes de vie et notre système économique de sorte que la transition écologique se fasse vers un monde où la compétition effrénée cède la place à la collaboration et la solidarité.

     

    La mise en oeuvre de politiques pertinentes peut apporter de multiples avantages qui s’ajoutent à la lutte contre la crise climatique, notamment la création d’emplois décents dans les secteurs à faible intensité de carbone, la réduction de la facture énergétique des ménages à faibles revenus, et l’amélioration de la qualité de l’air et de la santé publique. Si le pacte européen est vraiment orienté vers la lutte contre les inégalités, la réduction des émissions contribuera à la construction de sociétés européennes plus justes, plus saines et plus résistantes aux crises que préfigure la pandémie COVID-19.

     

    Cette crise sanitaire et en particulier le confinement strict du printemps 2020 a eu diverses conséquences. Le rapport du Haut Conseil pour le Climat sorti en décembre 2020 les souligne très bien. La décroissance des émissions de CO2 en 2020 (7 à 10 %) ne traduit en rien un changement structurel et le risque est grand que les divers plans mondiaux de relance économique nous ramènent sur la trajectoire ancienne, comme lors des crises précédentes. Si l’on voit cette crise sanitaire comme un révélateur de la vulnérabilité de nos sociétés, elle devrait nous faire réfléchir à un « vrai monde d’après ». La crise a accru les inégalités tout comme le changement climatique est en train de le faire. Le confinement du printemps 2020 a montré un certain nombre de bénéfices à vivre autrement (réduction de la pollution, du bruit, du stress, retour de la nature jusqu’aux portes des villes, etc.). Malheureusement, c’est arrivé brutalement et cela a été imposé, avec les conséquences sociales qu’on connaît. Ce n’est pas la bonne façon de changer le monde, mais cela nous a donné un avant-goût de ces co-bénéfices. Il faut donc transformer notre économie pour aller dans une direction qui privilégiera le bien-être, l’art de vivre et non la croissance à tout prix et le gaspillage qui en est une conséquence.

     

    Les pouvoirs publics ont bien sûr un rôle important. Mais chaque citoyen a un rôle à jouer. L’acceptation du changement se trouve facilitée par ces co-bénéfices pour la santé, le social et le budget des ménages. On pense à la lampe qu’on n’éteint pas, les terrasses chauffées, le robinet qui coule, les kilomètres seul dans son auto ou pire dans son SUV qui sont de la responsabilité individuelle. Mais il y a aussi l’obsolescence programmée, la publicité qui crée des besoins sans fin qui sont de la responsabilité des entreprises. Beaucoup de solutions dépendent en fait à la fois du collectif et de l’individu.

     

    Premier exemple, le gaspillage alimentaire. Le rapport du GIEC sur les terres émergées a estimé que 25 % de la production alimentaire allait à la poubelle. Le gaspillage se fait à tous les niveaux de la production à la consommation. Rapprocher le consommateur du producteur via le « consommer local », encourager les pratiques agroécologiques, sont bonnes pour la santé et réduisent le gaspillage qui est souvent la conséquence du mode industriel « low cost ». La crise sanitaire est en train de faire prendre conscience de cela.

     

    Deuxième exemple, le numérique. Il apporte beaucoup et permet de limiter des émissions par exemple en facilitant le télétravail, mais nos terminaux numériques qu’on change trop souvent et qui nous servent aussi à télécharger de gros fichiers vidéo ont une empreinte carbone. Actuellement, le numérique émet 4 % des gaz à effet de serre du monde et ça pourrait doubler d’ici 2025, nous dit le rapport du Shift Project. La production des terminaux en est responsable à 45 % et l’utilisation à 55 %. Il ne faut pas revenir au boulier, mais là aussi le gaspillage peut être fortement réduit. Il faut arrêter de faire croire que le numérique n’a aucune empreinte environnementale et chacun doit réfléchir à son utilisation.

     

    Troisième exemple, le transport aérien. Avant la crise, il contribuait à 6 % des émissions. Il doublait en moyenne tous les 10 ans, nous dit également le Shift Project. Comme les progrès techniques ne seront vraisemblablement pas suffisants pour réduire ces émissions, la réduction progressive du trafic est le principal levier. Il faut pour cela que le prix du billet traduise le vrai coût, y compris environnemental, du trajet. Et cela ne se fera pas au prix d’une augmentation des inégalités, car l’avion est toujours réservé aux privilégiés. Selon une étude scientifique récente, 1 % de la population mondiale émet 50 % du CO2 aérien. Seule une faible fraction de la population mondiale (2 à 4 %) emprunte des vols internationaux. A-t-on besoin d’aller fréquemment à l’autre bout du monde ? Par ailleurs, ne nous incite-t-on pas à prendre l’avion pour un oui ou pour un non afin de rentabiliser les aéroports sans cesse agrandis ? Dans ce secteur aussi, la crise sanitaire a eu des conséquences positives en étendant l’usage des moyens de téléréunion.

     

    Le gaspillage ne fait pas le bonheur. Mais on a pris de très mauvaises habitudes. Il faut des politiques publiques vigoureuses pour accompagner la transition : développement des transports collectifs, des pistes cyclables, relocalisation de la production, commerces de proximité, isolation des logements, réduction drastique des emballages, recyclage, etc.… Il faut la fin d’une croissance illusoire. Cela implique des incitations, mais aussi des contraintes (taxes, quotas, amendes), le temps de reprendre de bonnes habitudes. Une telle transition indispensable pour notre avenir est aussi bénéfique immédiatement pour notre qualité de vie, notre santé, nos emplois. Mais il faut la rendre enviable.