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Publié le 16 juin 2021

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Le  mercredi 16 juin 2021

Naturalité et Biodiversité, indissociables ?

Article écrit par Thierry GAUQUELIN Professeur émérite Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie Marine et Continentale (IMBE) Aix Marseille Université, CNRS, IRD, Avignon Université

  • Naturalité et Biodiversité, indissociables ?

    Thierry GAUQUELIN Professeur émérite Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie Marine et Continentale (IMBE) Aix Marseille Université, CNRS, IRD, Avignon Université

     

    La Naturalité de Buffon à aujourd’hui…

     

    Comment définir la naturalité, ? Buffon, un grand Naturaliste ! Qui en douterait ! Mais de quelle Nature parle-t-on ? De la Nature cultivée qu’il oppose à la Nature sauvage ? Écoutons Buffon à propos de cette Nature sauvage « non ennoblie, non embellie par l’homme » : « Voyez ces tristes contrées où l’homme n’a jamais résidé, couvertes, ou plutôt hérissées de bois épais et noirs dans toutes ses parties élevées ; des arbres sans écorce et sans cime, courbés, rompus, tombant de vétusté ; d’autres en plus grand nombre, gisant au pied des premiers, pour pourrir sur des monceaux déjà pourris, étouffent, ensevelissent les germes prêts à éclore. La nature, qui partout ailleurs brille par sa jeunesse, paraît ici dans sa décrépitude » Quelle belle description des vieilles forêts, sanctuaire de bio-diversité et de naturalité ! Buffon poursuit : « Nulle route, nulle communication, nulle intelligence dans ces lieux sauvages : l’homme obligé de suivre les sentiers de la bête farouche… La nature brute est hideuse et mourante ; c’est moi, moi seul qui peux la rendre agréable et vivante ». A l’opposé : « Qu’elle est belle, cette nature cultivée ! Que par les soins de l’homme elle est brillante et pompeusement parée… Les collines chargées de vignes et de fruits, leurs sommets couronnés d’arbres utiles et de jeunes forêts », car on le sait bien tous les arbres ne sont pas utiles ! Discours d’un autre siècle, celui pourtant des lumières, celui de Rousseau, mais qui montre bien qu’à cette époque, la vraie nature, c’est celle forgée par l’homme et pour l’homme et que les forêts délaissées ne sont au mieux que de repaires inutiles de brigands et d’animaux sauvages. Cette perception d’une nature qu’il ne serait pas sage de laisser évoluer seule, a encore de beaux restes, même dans le monde des forestiers ! Certains sont encore prisonniers de cette idée qu’il nous faudrait totalement maîtriser cette nature qui nous appartient pour assurer le progrès de l’humanité ! Le concept actuel de naturalité, ce n’est donc pas celui de Buffon mais c’est l’inverse. C’est cette nature sauvage qu’il juge triste et inabordable. Elle résulte d’une évolution relativement autonome d’un milieu sans l’homme, difficile d’ailleurs à appréhender car l’homme est partout d’une manière ou d’une autre.

     

    L’exemple du bassin Méditerranéen

     

    Mais finalement cette Naturalité est-elle toujours synonyme de Biodiversité ? L’homme depuis qu’il a pris possession du milieu, qu’il s’est sédentarisé, qu’il a commencé à cultiver, et plus encore, dans cette période récente que l’on appelle l’anthropocène, a profondément modifié la biodiversité, l’a maltraité, l’a détruite. Mais on peut quand même s’interroger sur un impact positif qu’il a pu avoir dans le passé, ou même qu’il aurait encore, sur cette même biodiversité. Prenons l’exemple du bassin Méditerranéen en se limitant à la biodiversité végétale. En effet en dépit de son anthropisation très ancienne, le bassin méditerranéen est aujourd’hui considéré comme un Hot Spot (un point chaud) de biodiversité (il y en a 34 dans le Monde). Sur seulement 1,8 % de la surface de la terre, il abrite en effet par exemple 10 % des plantes à fleurs, environ 25 000 espèces. Cette apparente contradiction entre richesse exceptionnelle et impact de l’homme plurimillénaire a été qualifiée de « paradoxe méditerranéen ». Dans ce contexte, comment expliquer ce paradoxe sachant qu’il y a évidemment au départ dans le bassin méditerranéen un fort potentiel, on pourrait dire un terrain très favorable, lié à la diversité des milieux, des climats, des sols ? Trois pistes peuvent être évoquées. La première est celle d’une biodiversité méditerranéenne qui serait très résiliente, déjà bien adaptée aux stress environnements inhérents à cette région du fait de ses caractéristiques propres mais aussi du fait du contexte écologique général avec des gradients écologiques et une multiplicité des habitats possibles favorisant cette adaptation. La deuxième est celle de l’existence d’une biodiversité façonnée, favorisée même, par les interactions que les sociétés ont entretenues avec elle depuis 10 000 ans. En d’autres termes, une sorte de coévolution de cette biodiversité et des systèmes socioécologiques en intégrant donc l’homme comme une composante active du système. On peut prendre ici l’exemple d’une catégorie particulière d’écosystèmes qui sont le résultat d'une longue histoire de gestion agro-sylvo-pastorale par les populations rurales, celui des dehesas espagnoles, des montados portugaises, ou des arganeraies du Maroc. C’est une occupation raisonnée et optimale de l’espace au bénéfice de l’arbre, de l’animal et des cultures. Un arbre (chêne vert ou liège, arganier, olivier), un animal (cochon, taureau ou chèvre), une culture, des céréales, des légumineuses et finalement l’élaboration un écosystème fonctionnel et diversifié. Mais tout ce processus qu’il faut bien appeler une domestication est réfléchi. Les arbres sont suffisamment espacés pour ne pas se faire concurrence concernant l’eau et les nutriments. Les cultures vont profiter de l’ombre de l’arbre et du sol particulier qui s’élabore peu à peu sous son couvert. La chèvre du Souss marocain se nourrira de noix d’argan alors que les porcs ibériques se délecteront de glands de chênes verts ou lièges dans les dehesas andalouses.

    Dans ces systèmes ancestraux, élevage, arbres et culture ne sont pas antinomiques, au grand bénéfice de la biodiversité ; ils sont intégrés dans un même ensemble cohérent et fonctionnel alors que dans d’autres systèmes, ils sont dissociés spatialement : les champs et les pâtures d’une part, les haies et la forêt paysanne d’autre part.

    Enfin, troisième élément, il faut, bien sûr, évoquer l’apport à la biodiversité des plantes cultivées avec la sélection des semences.

    Dans le bassin méditerranéen, cette biodiversité cultivée est ou plutôt, a été, exceptionnelle. On peut évoquer la domestication du blé, commencée il y a près de 10 000 ans dans le Croissant fertile, et ayant abouti à plusieurs milliers de formes, de variétés domestiques. C‘est aussi une variété impressionnante d’oliviers, de figuiers, de mûriers, d’amandiers qui a fleuri dans le bassin méditerranéen.

    Dans tous les cas, il est de plus en plus reconnu que la biodiversité ne doit pas être considérée comme une entité distincte de l’homme, l’homme étant une partie intégrante de la biodiversité, des écosystèmes et de la nature dans son ensemble.

    Toutefois, les formes modernes d'anthropisation, celles de l’anthropocène, (urbanisation, artificialisation, intensification agricole, fragmentation, pollution, changement climatique, la liste est longue et non exhaustive) ont profondément changé aujourd’hui cette donne.

    Pendant des millénaires, l’homme fut à la fois destructeur mais aussi créateur de biodiversité. La destruction est aujourd’hui la règle, la création étant limitée à la biodiversité cultivée et encore quelle biodiversité !

     

    Les forêts, refuges de Biodiversité ?

     

    Cette naturalité, l’inverse de l’artificialisation, c’est essentiellement dans des milieux forestiers dont on nous dit qu’ils abritent 50 % de la biodiversité terrestre, que, sur notre continent européen, on peut l’observer. L’artificialisation y est généralement moindre que dans d’autres formations végétales ou agrosystèmes, sauf peut-être dans des plantations monospécifiques qui ne méritent sans doute pas le nom de forêt.

    La question se pose de savoir si, dans ces milieux forestiers, la biodiversité est finalement supérieure à celle de milieux plus façonnés par l’homme et si la forêt est donc un refuge pour la biodiversité ? Et la question n’est pas simple. Les pelouses sèches, milieux ouverts riche en orchidées ou insectes rares, sont de purs produits de l’homme et de son troupeau. De nombreux plans de conservation de ces milieux ouverts ont été proposés, du fait des menaces sérieuses, liées la déprise pastorale, qui pèsent sur eux. Et l’idée d’un patrimoine exceptionnel à conserver a été systématiquement mise en avant dans ces opérations.

    Mais on ne peut systématiquement aller dans tous les cas contre l’évolution naturelle, évolution aboutissant chez nous à la forêt. Laisser la forêt se réinstaller partout où l’homme l’en avait chassé, ce qui, d’ailleurs présente d’autres intérêts qualifiés de services écosystèmiques, amène cependant à se poser la question de la biodiversité qu’abrite une forêt. Si la question de la biodiversité ne se pose pas en forêt tropicale, du fait de sa diversité excep-tionnelle des essences, elle se pose plus en milieu tempéré marqué par une relative pauvreté en espèces des forêts et surtout des pratiques sylvicoles pas toujours respectueuses de cette biodiversité !

    Et donc, tout dépend de quoi on parle ; il y a forêt et forêt. La forêt en tant que haut lieu de naturalité et de biodiversité, c’est un écosystème complexe que l’on retrouve, par exemple, dans les réserves intégrales en libre évolution, les vieilles forêts avec des arbres morts sur pied ou au sol, sans doute aussi les futaies irrégulières, avec une diversité de niches écologiques susceptibles d’abriter une biodiversité remarquable. Ce sont par exemple, les oiseaux, les chauves-souris, les insectes xylophages consommateurs de bois mort. Mais aussi toute la faune du sol qui a pu être conservée s’il y a eu continuité forestière comme pour les forêts dites anciennes, déjà présentes au début du XIXe siècle, considérées comme des conservatoires naturels de cette biodiversité.

    Du coup, toute cette biodiversité des milieux ouverts que l’on veut à tout prix préserver, n’existait-elle pas bien avant que l’homme ne la favorise en développant ces milieux de pelouse ? Cette biodiversité, elle ne pouvait être que dans des milieux ouverts qui existaient donc déjà car l’écologie d’une espèce ne varie pas à l’échelle de quelques milliers d’années ! Dans les trouées forestières, dans des zones incendiées naturellement, sur les talus abrupts et finalement dans toutes les zones où l’arbre ne pouvait s’installer ou avait été naturellement exclu. Et puis, il faut évoquer les grands herbivores qui peuplaient autrefois ces espaces ; Quelle était leur importance, leur rôle dans l’écosystème ?

    N’ayons pas une vision trop fixiste de notre environnement ; les paysages changent, ont changé et changerons ; l’important est de maintenir, par une gestion adaptée s’inspirant des processus naturels, la fonctionnalité des éco-systèmes mais pas forcément leur état actuel. Et cette fonctionnalité, correspondant à différents niveaux de naturalité, sera le meilleur garant de leur biodiversité et inversement.