L'oral dans une séquence de 3EME
Un travail mené en classe de 3ème et présenté par Carole Merle, Formatrice académique éducation prioritaire et professeure de lettres au collège REP + Henri Wallon à Marseille. Cette ressource au service de la lecture est le résultat d'une expérimentation de la pratique de l’oral dans une séquence menée en classe de 3ème sur l’œuvre Antigone de Jean Anouilh intitulée : « Solitude de l'homme de pouvoir, solitude de l'individu face au pouvoir ».
La séquence de français est l’occasion de programmer des lectures d’œuvres ou des textes proposant un parcours de lecture. Elle situe les connaissances en fonction des prérequis, elle cerne, formule une problématique, programme des travaux d’écriture, des recherches, et prévoit une évaluation sommative. A l’intérieur de la séquence, il convient de ménager des temps de pratique orale pour que la parole de l’élève parvienne à se développer, à se déployer, et que la pensée puisse s’élaborer. Ces temps de parole sont indispensables à la construction du savoir de l’élève et favorisent son engagement dans la lecture.
La séquence suit les préconisations indiquées dans les ressources d’accompagnement du programme de français au cycle 3 (adaptée au cycle 4), dont la mise en œuvre pédagogique est explicitée ci-après :
« des exemples de mises en œuvre sont proposés mettant l’élève dans des situations de prises de parole distinctes : l'élève développe seul un propos sans prendre appui sur la parole des autres ; la parole de l'élève s'inscrit dans un échange ; l’élève oralise un texte littéraire [1]. »
Entrée dans l’œuvre
Une activité de groupe comme les exposés, qui sont des oraux monogérés [2] - l’élève développe seul un propos sans prendre appui sur la parole des autres - peut constituer une entrée dans l’œuvre intéressante. Dans l’oral monogéré, le discours est pris en charge et généré par un seul émetteur et se construit en référence aux conduites discursives : raconter, décrire, expliquer, argumenter [3].
L’exposé présente, d’une part, un intérêt pédagogique : celui de réaliser une tâche collaborative qui permet un éclairage multiple et un travail en complémentarité lors de laquelle la différenciation pédagogique peut être pratiquée. En outre, l’activité réalisée en binôme est une première étape dans la prise de parole. Les élèves lisent une production écrite « à quatre mains ». Ils apprennent à communiquer des informations à un public, doivent marquer des pauses, parler en articulant, varier les intonations de la voix, parcourir des yeux la salle de classe pour maintenir l’attention des camarades. Des exercices spécifiques de lecture à haute voix [4] peuvent être proposés en sus. Cette activité présente, d’autre part, un intérêt littéraire et culturel : celui de sensibiliser à la réécriture d’un mythe (éléments permanents/ variantes / résonance tragique…)
Différents sujets d’exposés peuvent être proposés :
- le contexte historique de la composition de la pièce;
- biographie de son auteur, Jean Anouilh;
- biographie de Sophocle;
- la tragédie grecque, celles du XVIIe et du XXe siècles;
- la légende de Thèbes;
- le rôle du prologue;
- rappel des faits qui précèdent l'histoire;
- arbre généalogique de la famille des Labdacides.
Lecture de la pièce de théâtre
(cf déroulé de séances en pièce jointe)
La lecture d’Antigone est l’occasion pour l’élève « d’oraliser un texte littéraire. »
Après une lecture professorale, les élèves lisent le texte à leur tour. Il est important de leur laisser du temps avant la lecture à haute voix pour qu’ils identifient quelle émotion doit être mise derrière les mots. Un travail de préparation à la lecture peut être proposé : accentuation des mots importants, intonation ou position du lecteur (debout / assis / à genoux) à mettre en lien avec l’intention qu’il veut donner à sa réplique ou avec le regard qu’il adresse. « La lecture à haute voix implique une appropriation précise du texte qui débouche sur des choix d’interprétation[5].»
La parole individuelle est cachée derrière une voix qui porte un texte patrimonial, un support sécurisant pour l’élève. Cette oralisation[6] du texte est un premier pas dans le travail technique que représente la parole : le travail sur les dimensions de la voix, du corps et sur la gestion des émotions.
Tout au long du parcours
La collecte de répliques marquantes au fil de la lecture, leur mémorisation, le travail sur les procédés de style employés et l’effet produit, viennent enrichir les activités proposés dans chaque séance. Ces éléments sont consignés dans le carnet de lecteur, un véritable support de mémoire individuel, utile dans les situations d’échanges oraux de fin de séquence (débat interprétatif ou question de synthèse présentée ici).
Exercices d’expression écrite en milieu de parcours ou en fin de lecture
(pouvant être consignés dans le carnet de lecteur)
Il est nécessaire de proposer des écrits d’invention et/ou à visée argumentative où l’élève montrera le rapport intime qu’il a développé avec le texte, comment il se l’est approprié.
Les exemples de sujets (copies d’élèves jointes) proposés dans le cadre de cette séquence sont:
- une justification d’un choix de mise en scène ;
- l’écriture d’une dernière scène.
Dans le 1er sujet, les élèves doivent travailler sur leur réception de l’œuvre, imaginer la mise en scène dans ses détails « scénographiques » concrets : décor, éclairages, costumes, jeu des acteurs (déplacements, gestuelle…) et rendre compte des rapports que les personnages ont entre eux. Dans le 2ème sujet, les élèves doivent produire un texte nouveau en respectant des contraintes (genre théâtral, contexte, caractère des personnages…)
Ces travaux écrits présentent un intérêt pédagogique, littéraire et culturel : celui de stimuler l’imagination, de valoriser la créativité, d’établir des liens entre un texte littéraire et un photogramme, de justifier un choix. L’élève peut analyser les émotions que le texte a suscitées chez lui, montrer sa compréhension fine de l’œuvre ou au contraire proposer un travail axé sur un aspect de l’analyse.
Ci-après quelques exemples d’écrits d’appropriation dans lesquels les élèves peuvent s’inspirer du texte pour l’imiter, le transposer ou en modifier certains éléments :
- parodier la scène d’adieu entre Antigone et Hémon ;
- utiliser le registre pathétique dans la tirade d’Ismène face à Antigone ;
- récrire la tirade de Créon sur le pouvoir en utilisant une autre métaphore filée que celle du domaine maritime ;
- transposer le texte du messager annonçant la mort d’Antigone en scène de théâtre.
Ces différentes propositions / interprétations / pistes de réflexion / permettent à l’enseignant(e) d’orienter les séances à venir en fonction des éléments qui auront été oubliés par les élèves. Il peut être intéressant, à ce moment-là, de leur demander de lire à haute voix leur propre écriture, pour qu’ils apprennent à manifester leur pensée, leur point de vue à haute voix, à l’exposer face aux autres, à montrer leur engagement dans la parole.
Les échanges oraux autour de la question de synthèse
« La prise en compte du sujet lecteur est la condition de la motivation des élèves. En outre, c’est la condition même de la lecture qui est interaction avec le texte: le sens se construit dans cette interaction. La lecture n’est plus un exercice scolaire mais fait partie d’un itinéraire personnel. Elle doit être avant tout une expérience. (…) La compétence de lecture comprend aussi la capacité à juger et réagir: laisser la parole au sujet lecteur prépare la construction de cette capacité en légitimant la parole des élèves [7]. »
En fin de séquence, un temps de parole long, dédié à une réflexion collective de 15 mn sur une question de synthèse, est l’occasion de mettre en œuvre la capacité de l’élève à réagir, à interagir, à construire du sens, à prendre la parole en son nom propre.
Dans quelle mesure peut-on dire qu’Antigone est la tragédie de la solitude ?
L’intérêt de la question de synthèse pour l’oral
(fichier audio) La question de synthèse susmentionnée, qui rappelle les sujets de dissertation dans lesquels tous les aspects de la question sont à envisager pour en montrer ensuite les limites (plan dialectique), permet de développer les compétences langagières de l’élève. L’oral est travaillé comme outil au service de l’apprentissage dans sa dimension réflexive / argumentative. Cet exercice permet d’entrer plus profondément dans le texte en variant le contenu des prises de parole.
La question correspond à la problématique présentée aux élèves en début de la séquence, dont les thématiques s’inscrivent dans les entrées du programme de culture littéraire et artistique.
Le cadre et le protocole
L’exercice oral intervient à l’issue d’une séquence d’enseignement. Les élèves disposent de quelques minutes pour réfléchir à la question. Cette pratique orale est l’occasion d’un va et vient dans le texte, dans les répliques que l’élève a collectées au fil de la lecture et qu’il a consignées dans le carnet de lecteur. L’élève explique, justifie, s’appuie sur le texte, le cite, s’appuie sur la réponse d’un camarade. « Dans l’oral polygéré, le discours est construit à plusieurs émetteurs ; la position des participants n’est pas fixée à l’avance et évolue au cours de l’interaction »[8].
De plus, il est important de montrer aux élèves que l’œuvre littéraire ou les groupements de textes autour d’une thématique, peuvent être compris et interprétés différemment selon leur expérience du monde, leurs repères culturels, leurs connaissances, leur histoire personnelle, leurs centres d’intérêt…
La question portant sur l’ensemble de l’œuvre permet à l’enseignant(e) de s’effacer pour laisser aux élèves la place et le temps nécessaires au développement de leur parole, tout en fixant un cadre précis. Elle pousse les élèves à rendre leur écoute plus active, à affiner leur compréhension, à développer leurs propos.
Les objectifs :
- prendre en compte les propos d’autrui
- faire valoir son propre point de vue
- apprendre à argumenter, à illustrer avec des exemples de textes étudiés
- développer les outils et les procédés pour convaincre
- s’approprier une œuvre littéraire
Le rôle de l’enseignant(e) :
Lors de l’interaction entre les élèves, le/la professeur(e) a deux fonctions : il/elle est gardien(ne) du temps, distribue la parole, veillant à solliciter tous les élèves. Il/elle peut également relancer la réflexion en prenant le contrepied d’une affirmation ou reformuler une question plus précise, comme c’est le cas dans l’enregistrement sonore : Pensez-vous que cette tragédie a pour cause le comportement d’Antigone ?
Après les 15 minutes, l’enseignant(e) peut faire un point, aussi bien sur le contenu que sur la forme des échanges, sur la manière dont s’est effectuée la passation de la parole et sur les erreurs de langue récurrentes qu’il faut corriger ou les tics verbaux dont les élèves n’ont pas conscience.
Quand ces temps réflexifs sont ritualisés, que les lectures à voix haute font l’objet d’une pratique régulière et que la possibilité de développer seuls un propos leur est donnée, les élèves parviennent à s’exprimer de façon plus fluide devant un auditoire, à participer de façon plus constructive à des échanges oraux (moins d’hésitation, moins de réticence à exprimer son point de vue, un temps réduit entre les échanges, une prise en compte plus fine des propos des interlocuteurs). Les élèves prennent conscience des ressources expressives et créatives de la parole, comprennent que bien lire est déjà une interprétation du texte.
Le partage, l’échange autour d’une question de synthèse, est l’occasion pour l’élève de construire son propre savoir. Cette activité -qui favorise l’écoute, l’analyse, l’interprétation, l’argumentation et la mémorisation- porte la trace du « cheminement personnel » de l’élève. Quand il est enregistré, l’échange oral autour d’une question de synthèse permet un retour sur sa production orale, une posture réflexive, qui permettra à l’élève adolescent d’apprivoiser sa voix et propre parole.
Documents complémentaires
[1] Ressources d'accompagnement du programme de français au cycle 3 - Le langage oral | eduscol | Ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports - Direction générale de l'enseignement scolaire (education.fr)
[2] Michel GRANDATY, L’enseignement de l’oral, revue REPERES (ens-lyon.fr)
[3] http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/117-avril-2017.pdf, Je parle, tu dis, nous écoutons : apprendre avec l’oral, n° 117, avril 2017.
[4]https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Accompagnement_personnalise_6e/34/7/7_AP_Lire_un_texte_a_haute_voix_446347.pdf
[5] http://media.eduscol.education.fr/file/ecole/46/9/culture-litteraire-ecole_121469.pdf , Une culture littéraire à l’école. Mars 2008
[6]https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Accompagnement_personnalise_6e/34/7/7_AP_Lire_un_texte_a_haute_voix_446
[7] Conférence d’Anne VIBERT: «La construction de la compétence de lecture du cycle 3 au cycle 4», Orléans, 18 octobre2016.
[8] Michel GRANDATY, L’enseignement de l’oral, revue REPERES (ens-lyon.fr)