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Publié le May 12, 2022 Modifié le : Mar 15, 2023

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Le  Thursday, May 12, 2022

ÉPREUVE D'ENSEIGNEMENT DE SPÉCIALITÉ

Sujet HLP Session 2022

  • Le candidat traite au choix le sujet 1 ou le sujet 2.

    SESSION 2022

    HUMANITÉS, LITTÉRATURE et PHILOSOPHIE

     

     

     

    SUJET 1

     

    Le candidat traite les 2 parties sur des copies séparées.

    L’AFFAIRE NARCISSE

    Narcisse fils de Céphise1 n'est plus depuis des montagnes de temps

    En nos âges il n'est plus de ces Narcisse-là

    Seule une fleur nous reste

    Et pourtant nous avons des miroirs autrement plus parfaits que la fontaine

    5 Où s'admira ce trop joli garçon

    Ne dirai point que ne suis jamais venu devant ma glace

    Au cours de mon printemps de mon été même des froides saisons qui suivent

    Mais pas une fois ne me suis dit celui-là c'est moi

    Or bien hier

    10 Sans doute disons

    Glace parfaite

    Lumière magnifique

    Et temps à perdre

    Celui-là fut moi

    15 Je l'ai vu totalement vu

    Et j'ai dû me dire et me redire tant que j'ai pu

    Cet homme qui est là devant c'est toi complètement toi

    De la tête aux pieds et quelle découverte moi je suis fait comme tout homme est fait

    Et pourtant ne ressemble à aucun

    20 Toutefois ne sais si vais m'aimer autant que je m'aimais avant de me connaître

    Enfin c'est agréable tout de même de se savoir pièce unique

    Et n'oublions pas que chaque être humain peut en dire autant

    A bien regarder Narcisse avait raison

    Un homme ça vaut la peine d'être vu

    Pierre ALBERT-BIROT, « L’affaire Narcisse », Poésies (1926)

     

    1 Personnage de la mythologie grecque, fils de la nymphe Liriope et du fleuve Céphise, Narcisse est doté

    d’une grande beauté. Indifférent à l’admiration qu’on lui voue, il aperçoit un jour son reflet dans l’eau et

    en tombe amoureux. A force d’auto-contemplation, il finit par mourir, et est métamorphosé en fleuve.

     

    Première partie : interprétation littéraire

    « L’affaire Narcisse » : comment votre lecture du poème éclaire-t-elle ce titre ?

     

    Deuxième partie : essai philosophique

    Se connaître soi-même, est-ce se découvrir « pièce unique » ?

     


     

    SUJET 2

     

    Que la violence soit de toujours et de partout, il n’est que de regarder comment s’édifient et s’écroulent les empires, s’installent les prestiges personnels, s’entre-déchirent les religions, se perpétuent et se déplacent les privilèges de la propriété et du pouvoir, comment même se consolide l’autorité des maîtres à penser, comment se juchent 1 les jouissances 5 culturelles des élites sur le tas des travaux et des douleurs des déshérités.

    On ne voit jamais assez grand quand on prospecte l’empire de la violence ; c’est pourquoi une anatomie de la guerre qui se flatterait d’avoir découvert trois ou quatre grosses ficelles qu’il suffirait de couper pour que les marionnettes militaires retombent inertes sur les tréteaux condamnerait le pacifisme à rester superficiel et puéril. Une anatomie de la guerre 10 requiert la tâche plus vaste d’une physiologie de la violence.

    Il faudrait aller chercher très bas et très haut les complicités d’une affectivité humaine accordée au terrible dans l’histoire. La psychologie sommaire de l’empirisme qui gravite autour du plaisir et de la douleur, du bien-être et du bonheur, omet l’irascible2, le goût de l’obstacle, la volonté d’expansion, de combat et de domination, les instincts de mort et 15 surtout cette capacité de destruction, cet appétit de catastrophe qui est la contrepartie de toutes les disciplines qui font de l’édifice psychique de l’homme un équilibre instable et toujours menacé. Que l’émeute explose dans la rue, que la patrie soit proclamée en danger, quelque chose en moi est rejoint et délié, à quoi ni le métier, ni le foyer, ni les quotidiennes tâches civiques ne donnaient issue ; quelque chose de sauvage, quelque chose de sain et 20 de malsain, de jeune et d’informe, un sens de l’insolite, de l’aventure, de la disponibilité, un goût pour la rude fraternité et pour l’action expéditive, sans médiation juridique et administrative. L’admirable est que ces dessous de la conscience resurgissent au niveau des plus hautes couches de la conscience : ce sens du terrible est aussi le sens idéologique ; soudain la justice, le droit, la vérité prennent des majuscules en prenant les armes et en 25 s’auréolant de sombres passions.

    Paul RICOEUR, Histoire et vérité (1955).

     

    1 « se juchent » : se hissent

    2 « irascible » : qui se met facilement en colère

     

    Première partie : interprétation philosophique

    D’après l’auteur, qu’est-ce qui explique la permanence de la violence dans l’histoire ?

     

    Deuxième partie : question d’essai littéraire

    La littérature et les arts naissent-ils de « l’appétit de catastrophe » des hommes ?

     

     


    SUJET 1 

     

    Quand je vois chacun de nous sans cesse occupé de l’opinion publique étendre pour ainsi dire son existence tout autour de lui sans en réserver presque rien dans son propre coeur, je crois voir un petit insecte former de sa substance une grande toile par laquelle seule il paraît sensible tandis qu’on le croirait mort dans son trou. La vanité de l’homme est la toile d’araignée qu’il tend sur tout ce qui l’environne. L’une est aussi solide que l’autre, le 5 moindre fil qu’on touche met l’insecte en mouvement, il mourrait de langueur si l’on laissait la toile tranquille, et si d’un doigt on la déchire il achève de s’épuiser plutôt que de ne la pas refaire à l’instant. Commençons par redevenir nous, par nous concentrer en nous, par circonscrire notre âme des mêmes bornes que la nature a données à notre être, commençons en un mot par nous rassembler où nous sommes, afin qu’en cherchant à 10 nous connaître tout ce qui nous compose vienne à la fois se présenter à nous. Pour moi, je pense que celui qui sait le mieux en quoi consiste le moi humain est le plus près de la sagesse et que comme le premier trait d’un dessin se forme des lignes qui le terminent, la première idée de l’homme est de le séparer de tout ce qui n’est pas lui. 

    Mais comment se fait cette séparation ? Cet art n’est pas si difficile qu’on pourrait croire, 15 ou du moins la difficulté n’est pas où on la croit, il dépend plus de la volonté que des lumières, il ne faut point un appareil d’études et de recherches pour y parvenir. Le jour nous éclaire, et le miroir est devant nous ; mais pour le voir il faut jeter les yeux et le moyen de les y fixer est d’écarter les objets qui nous en détournent. Recueillez-vous, cherchez la solitude, voilà d’abord tout le secret et par celui-là seul on découvre bientôt les 20 vôtres. Pensez-vous en effet que la philosophie nous apprenne à rentrer en nous-mêmes ? Ah combien l’orgueil sous son nom nous en écarte ! C’est tout le contraire ma charmante amie, il faut commencer par rentrer en soi pour apprendre à philosopher. 

    Jean-Jacques ROUSSEAU, Lettres morales, VI (1758) 

     

    Première partie : interprétation philosophique 

    Dans quelle mesure pouvons-nous redevenir nous-mêmes ? 

     

    Deuxième partie : essai littéraire 

    Lire permet-il d’accéder à une meilleure connaissance de soi ?

     


    SUJET 2 

     

    Ce récit s’ouvre sur l’annonce de la mobilisation générale en septembre 1939. 

    Il est cinq heures d’un après-midi de septembre tiède et gris. 

    Le tocsin sonne.  On arrête de jouer. 

    Robe noire fermée jusqu’au cou, les bras levés, des mains blanches osseuses, le regard fixe, la vieille femme crie sur la place du village que c’est la mobilisation générale. 5 

    Il n’y a pas un souffle d’air dans les feuilles du gros arbre.  Des oiseaux chantent. 

    Au garde-à-vous dans sa salopette de travail, les mains dans les poches, un homme pleure.  Il est en sabots. 10 

    Il y a du bruit et du silence, mais le silence absorbe le bruit. C’est comme aux enterrements. 

    Un long chat noir est étiré sur le rebord d’une fenêtre. 

    Deux femmes âgées s’étreignent, chacune la tête dans le cou de l’autre. Le chignon de la plus petite s’est défait, ses cheveux grisonnants tombent en longues mèches 15 ondulantes de chaque côté de ses épaules. On dirait des anguilles vivantes. J’ai envie de faire pipi. 

    Quelque part, au loin, une génisse appelle d’un meuglement plaintif.  Des villageois restent adossés à la façade jaune sale d’une maison. 

    Assise sur une pierre, la petite fille bleue tient à deux mains son ballon sur ses 20 genoux. Ses chaussettes blanches sont en boules molles sur ses chevilles. Elle se mord les lèvres. 

    Devant le muret de pierres sèches, une femme s’est agenouillée sur le sable de la place. Elle a les mains jointes, le dos voûté, la tête baissée. C’est comme une statue d’église, mais noire. 25 

    Ma culotte est trop courte, elle me tire entre les jambes, j’ai de grosses croûtes aux genoux, ça sanguinole toujours un peu et ça brûle. 

    En blouses grises, l’épicier et sa femme se tiennent sur le pas de leur porte. 

    Un cerf-volant rouge clignote dans le ciel. 

    Des hommes arrivent. Ils se serrent la main. On les voit se parler, hocher la tête, la 30 secouer, hausser les épaules.

    Les bras ballants, deux femmes ont déposé devant elles leurs seaux de fer pleins d’eau.

    Je n’ai pas goûté. J’ai faim. 

    Le petit rouquin se traîne à quatre pattes dans la poussière en faisant des bulles de 35 salive avec ses lèvres. Il reçoit un coup de pied, tombe en avant sur le ventre et éclate de rire. C’est sa mère qui lui a donné le coup de pied. Elle le relève en le tirant brutalement par le bras. Elle époussette du bout des doigts son tablier d’écolier noir. Elle lui donne une gifle. Il pleure. 

    - On ne tape pas les petits aujourd’hui, dit un vieux, c’est la guerre. 40 

    Je ne sais pas ce que c’est que la mobilisation générale, mais je suis bien content que ce soit la guerre. 

    J’ai onze ans. 

    - Les salauds dit un homme. 

    J’aime les tartines épaisses avec dessus du beurre salé et un sucre. 45 

    Une grande femme surgit soudainement. 

    - Je le savais ! Je le savais ! 

    Ses cheveux courts semblent grésiller autour de sa tête. 

    - Ce matin j’ai écrit une lettre à quelqu’un. Au lieu de mettre la bonne date j’ai mis deux fois 1914 ! 50 

    Je la regarde, étroite, nerveuse, les yeux écarquillés, cette voix criarde. Je ne comprends pas ce qu’elle est en train de dire, mais je la trouve bête. 

    - Papa a fait 14 ! 

    - Mon père aussi, dit un jeune paysan, le torse nu avec des poils blonds. 

    - Et nous voilà bons encore une fois dit l’homme à la moustache. 55  Il faut que j’aille chercher mon goûter à la maison. 

     

    Louis CALAFERTE, C’est la guerre (1993). 

     

    Première partie : interprétation littéraire 

    « C’est la guerre » : ce texte vous en donne-t-il l’impression ? 

     

    Deuxième partie : essai philosophique 

    Qu’est-ce qu’être en guerre ?