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IA dans la classe

Publié le 18 mars 2024

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Le  lundi 18 mars 2024

Tester l’I.A. en cours de français en classe de 4ème 1/2

Ecrire une nouvelle fantastique ou comment l’I.A. devient un assistant pédagogique

  • IA comme assistant pédagogique

    Voici un compte-rendu d'expérience de Stéphanie Marquès, professeure de lettres au collège Pierre Girardot de Sainte-Tulle,  sur l'usage de l'IA dans le cadre de l'écriture d'une nouvelle fantastique

     

    Pourquoi tester l’intelligence artificielle en cours de français?

    Nous pourrions laisser aux matières plus scientifiques cet outil algorithmique complexe que les collègues de mathématiques et de technologie maîtrisent sans aucun doute mieux que nous ! Et pourtant, les élèves font de plus en plus appel à l’I.A. lorsqu’il s’agit d’écrire un texte à la maison, une rédaction, un paragraphe argumenté ou encore lorsqu’il s’agit de faire une recherche. Les politiciens eux-mêmes avouent utiliser l’I.A. pour écrire leurs discours !

     

    Il semble donc indispensable que les matières littéraires s’emparent de l’I.A. en tant qu’outil universel puis en tant que support d’une réflexion plus critique et philosophique, là aussi universelle. Nous avons bien appréhendé chaque nouvel outil offert par les avancées technologiques, du stylo à bille à Wikipédia, en passant par la calculatrice, le traitement de texte etc. Et à chaque fois, cette peur que l’élève perde quelque chose de ses compétences et de sa réflexion s’est imposée puis dissipée.

     

    Aujourd’hui l’enseignant doit donc se familiariser et s’emparer de ce nouvel « ovni » pour en faire aussi un objet éducatif. Même s’il est suggéré plutôt en 3e en questionnement complémentaire, le thème de l’ « homme artificiel » n’est jamais vraiment traité, faute de temps. Il m’a donc semblé plus approprié d’insérer la réflexion sur l’intelligence artificielle en 4e, niveau où la « fiction interroge le réel ». Or, L’I.A. n’appartient plus à la science-fiction; elle est déjà partout autour de nous et de nos élèves.

     

    Dans cet article, je propose d’appréhender l’I.A. pour ce qu’elle est aujourd’hui : un point de départ, un moyen, un instrument qui amène à proposer aux élèves des exercices différents et différemment. L’écriture d’une nouvelle fantastique, sujet au combien traditionnel, était l’occasion de tester l’I.A. et d’y apporter un nouveau souffle.

     

    1. Définir l’I.A.

     

    Avant toute chose, il est indispensable de définir avec les élèves ce qu’est l’ « intelligence artificielle », en les questionnant. On se rend compte alors que beaucoup d’élèves (comme beaucoup de personnes d’ailleurs) fantasment cette notion. On en arrive vite à l’idée d’une forme virtuelle super intelligente qui nous remplacera tous ! Ils citent Elon Musk comme un nouveau prophète : une I.A. va nous améliorer pour vivre presque éternellement. L’auto amélioration de l’I.A ne fait aucun doute pour certains, qui imaginent déjà un développement de la conscience de la « machine ».

     

    Il est amusant d’entendre certains élèves parler d’une I.A. comme d’un être vivant…déjà. Le dialogue installé et l’attention captée, on peut alors démystifier cette « intelligence » et construire une véritable définition qui, pour une fois, ne partira pas seulement de l’étymologie latine, mais de cette expression américaine « C.I.A », Central Intelligence Agency, autrement dit l’ « agence centrale de renseignements des Etats-Unis ».

     

    En mettant au clair immédiatement que l’I.A. est le domaine de recherche portant sur des outils capable d’élaborer la simulation d’une compétence humaine à partir d’ une banque de données géante, on écarte d’emblée certaines idées imaginaires et une vision d’une I.A. consciente. Oui, l’I.A. est bel et bien l’étude qui vise à compiler tout ce que l’humain a pensé et produit, en même temps que la recherche d’algorithme capable de synthétiser ces milliards de renseignements pour produire la réponse à une demande précise. Elle n’est que cela, et en même temps, ne serait-ce pas stupide de se passer de cette incroyable bibliothèque de la connaissance ?

     

    2. Utiliser les failles

     
    L’I.A. s’est révélée très intéressante pour ses limites. C’est lors de notre première séquence de l’année « Dire la peur » que j’ai décidé de tester une I.A. avec les élèves. Rien de mieux qu’un chapitre sur la peur et le fantastique pour s’initier à ce nouvel arrivant étrange qui suscite bien des imaginations fantasques ! Après avoir défini l’I.A., je propose aux élèves, en fin de séquence, de demander à un chatbot de nous écrire un début de nouvelle fantastique, car les élèves vont devoir évidemment écrire une nouvelle fantastique pour clore dignement le chapitre.

     

    Les sites liés à l’I.A sont pour la plupart bloqués sur le réseau du collège (principe de précaution au sujet des données ou encore un symptôme de la peur suscitée par l’I.A.?), je m’excuse et sors mon téléphone pour vivre l’expérience en direct avec mes élèves. Cette dimension est d’ailleurs très importante: il ne faudrait pas que des élèves croient que j’ai fait exprès de « manipuler » une I.A. pour que sa réponse soit exactement celle-ci. Et puis, ne pas savoir ce que la « machine » va nous proposer a quelque chose d’excitant, nous vivons tous ensemble un moment de suspense, d’attente… J’ai rarement vu les élèves aussi absorbés ! Consigne donnée à chatbotgpt.fr (question libre): « Ecris un début de nouvelle fantastique » Résultat que je leur lis, en essayant de rester parfaitement neutre pour ne pas les influencer :

     

    « Il était une fois, dans un petit village reculé, une forêt mystérieuse où les arbres semblaient murmurer des secrets anciens. Les habitants racontaient que quiconque osait s'aventurer au cœur de cette forêt était emporté dans un monde parallèle, un monde où la magie régnait en maître et où les rêves devenaient réalité. Un jeune garçon nommé Ethan avait toujours été fasciné par les récits fantastiques sur cette forêt, et un jour, poussé par une curiosité irrépressible, il décida de s'y aventurer… »

     

    Quelle fierté de voir alors les élèves bondir dès les premiers mots : « Mais n’importe quoi, madame, c’est pas un conte, pourquoi il commence par Il était une fois ?! » Les élèves en savent plus que cette I.A.! Ils savent distinguer le conte et la nouvelle !

     

    Bond à nouveau à la deuxième phrase, « un monde parallèle, un monde où la magie régnait en maître »: « mais non ! Le fantastique c’est le doute, pas la magie ! » Les élèves ont saisi la notion de registre fantastique et ses spécificités littéraires !

     

    Devant ce « fiasco » de cette I.A., un élève propose de changer la consigne. Je m’exécute. Consigne donnée : « Ecris un récit de peur » L’un des résultats proposés:

     

    « Il était une fois, une jeune fille qui s'appelait Émilie. Elle vivait seule dans une grande maison isolée, entourée de bois sombres et de collines escarpées. Un jour, alors qu'elle rentrait chez elle après une longue journée de travail, elle remarqua une silhouette encapuchonnée qui la suivait depuis la route. Inquiète, elle accéléra le pas, mais la silhouette suivait toujours, à la même distance. Émilie commença à paniquer, sa respiration s'accéléra et ses jambes tremblaient. Elle se mit à courir, mais la silhouette continuait de la suivre.. »

     

    Le résultat est meilleur, mais le début est toujours celui d’un conte. Avec l’une de mes classes, le texte produit mélange même atrocement les temps verbaux et les élèves le remarquent : des passés composés, des présents dans un récit au passé….

     

    3. Conséquences pédagogiques

     

    Au-delà du fait d’avoir compris que cette I.A. n’était en rien spécialiste et qu’elle ne pouvait aider sur des champs bien précis tels que les genres et les registres en littérature, les élèves ont apprécié cette expérience. En repérant les erreurs de cette I.A., et même en « râlant » après elle, ils ont amorcé sans le savoir, une « correction » des propres erreurs qu’ils auraient pu faire eux-mêmes (Qui n’a pas eu d’élève qui commençait systématiquement un récit par « Il était une fois »?) Ils en savent plus que la machine !

     

    Ils ne se gardent d’ailleurs pas de l’ « humilier » et d’en parler à nouveau comme si elle était vivante : « elle comprend rien ! », « elle est nulle ! » Ce qui serait inadmissible envers un camarade, devient ici, grâce à l’I.A., acceptable et même profitable, car pour montrer que l’I.A est « nulle », il faut que l’élève montre son savoir et soit capable de faire mieux ! Quel défi pédagogique intéressant ! Quel plaisir de voir les élèves s’indigner devant des erreurs qu’ils auraient probablement commises eux aussi !

     

    Cette expérience a eu de mon côté une conséquence inattendue. En classe, on n’oserait pas montrer une mauvaise copie pour en corriger les erreurs et montrer ainsi aux élèves ce qu’il ne faut pas faire. Ce serait bien trop humiliant pour l’élève concerné. On cite parfois des exemples catastrophiques d’élèves inconnus, des années précédentes mais pas plus. Avec l’I.A., nous avons le bouc-émissaire idéal, à la fois pour nous et pour les élèves, qui prennent un plaisir évident à révéler les failles de l’I.A. C’est finalement en tant qu’outil imparfait que l’I.A. devient un assistant pédagogique vraiment intéressant.

     

    Pour enfoncer le clou, je demande à un chatbot de me générer une biographie de Maupassant. Cette I.A. s'exécute mais ne fait pas apparaître le parcours de la folie de Maupassant, parcours essentiel pour comprendre le lien de cet auteur avec ses nouvelles fantastiques. Je suis alors obligée de rajouter moi-même les informations manquantes et les écris en couleur pour montrer aux élèves les manques de l’I.A. Par là même, j’essaie d'initier leur pensée à un propos que j'aurai plus tard avec eux dans l’année, à savoir que le fonctionnement par algorithmes conduit fatalement à un appauvrissement des connaissances. L’I.A. a fait une biographie de Maupassant qui satisferait une majorité de personnes, mais pas spécifiquement des élèves de 4e étudiant la nouvelle fantastique. En répondant à une majorité, une I.A. exclut nécessairement des informations.

     

    4. Conclusion

    « Mauvais élève », bouc-émissaire idéal pour renforcer l’estime des élèves, les rassurer dans leurs savoirs , l’I.A. est définitivement un outil à exploiter. Lors de la rédaction finale, autant dire qu’aucun élève n’a commencé par le fameux « Il était une fois » ! Aucun n’a écrit non plus une histoire merveilleuse, totalement imaginaire, dans un « monde parallèle ». Je n’ai bien lu que des nouvelles fantastiques ! L’I.A. m’a donc réellement aidée à éviter les écueils habituels sur ce type de sujet. Elle a développé également l’esprit critique des élèves et leur capacité de réflexion. Bien sûr cette expérience peut être appliquée à d’autres niveaux : pourquoi ne pas tester l’écriture d’un conte merveilleux en 6e ? Un récit de chevalerie en 5e ? Un texte engagé en 3e ?

     

    Testons l’I.A. et utilisons ses limites tant qu’elle en a. Car il est évident que les développeurs l’améliorent sans cesse, nous poussant à utiliser les chatbot de manière encore différente. C’est pourquoi il ne faut jamais cesser de tester ces outils avec les élèves, d’en saisir les évolutions et d’imaginer de nouvelles façons de les intégrer à nos pratiques. A l’heure où j’écris cet article, je n’ai plus trouvé de texte de chatbot qui mélange maladroitement les temps verbaux. Gageons que des I.A. garderont quelques imperfections pour rester cet assistant éducatif profitable, mon nouveau compagnon d’exploration pédagogique.