Comptes rendus de lecture

Publié le 25 mars 2024 Modifié le : 8 avr. 2024

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Le  lundi 25 mars 2024

Intelligence artificielle : le futur rêve-t-il toujours de moutons électriques ?

Bifrost est une revue littéraire francophone de science-fiction et de fantasy. Le numéro de janvier 2024 de Bifrost est consacré à l'intelligence artificielle et contient 6 articles à ce sujet. Un compte rendu de lecture de Julie Tournaire-Biagetti

  • Couverture du numéro 113 de Bifrost

    Le dossier contient 6 articles, ils font l'objet de synthèses distinctes.

    IA : l'essence de l'Art(Ificiel) -
    Eric Jentile (20 p.)

     

    Interview de 2 illustrateurs français (Nicolas Fructus et Marc Simonetti), Neil Clarke, rédacteur en chef de la revue en ligne américaine de fantasy et SF Clarkesworld et l'écrivain chinois Chen Qiufan sur l'impact des IA génératives sur leur métier.

     

    Nicolas Fructus : L'IA, « ou prétendue telle », ne tue pas la création. Lui-même utilise les IA génératives d'image pour faire de la prospective. Selon lui, le vrai problème de l'IA est la relation au droit d'auteur.

     

    Marc Simonetti : Il s'est opposé à l'utilisation de son nom comme prompt par Midjourney (c'est à dire qu'on ne peut pas demander à l'IA de créer une image « dans le style de Marc Simonetti »). Il refuse qu'on se serve de ses œuvres pour « entraîner » les IA et il refuse que son nom soit utilisé pour générer des images qui vont porter le label « by Marc Simonetti » sans qu'il en soit pour quoi que ce soit : « c'est directement une dilution de mon nom en tant que marque et gage de qualité ».

     

    Il pense qu'à terme le métier d'illustrateur risque de disparaître et que la seule chose que peut faire un artiste (à titre individuel) est de faire des œuvres uniques et de sortir du lot puis de protéger ses œuvres.

    Selon lui, aucune IA n'est actuellement éthique car dès que l'on se sert d'une IA, on pioche dans une base de données qui ne devrait pas exister à l'origine. Il reconnaît qu'il y a des œuvres réalisées par IA qui sont « tout à fait saisissantes et ne se contentent pas de singer l'existant ».

     

    Il estime que « mettre un outil très puissant dans les mains d'un artiste donne toujours quelque chose d'intéressant ».

     

    Neil Clarke : Le nombre de soumissions de texte générées par IA a augmenté depuis novembre 2022 et Chat GPT, il est passé d'une vingtaine à plus de 700 en 7 mois. Il considère cela comme un problème de spam car « la qualité du travail généré par ces systèmes est parmi les pires que nous ayons jamais vu ».

    Le seul domaine où il peut envisager d'utiliser l'IA dans le côté littéraire de leurs opérations concerne la détection des textes générés par IA.

     

    Chen Qiufan : Il estime que Chat GPT est tout à fait capable d'écrire des textes d'une certaine qualité « si vous lui donnez un environnement ou un contexte pour poursuivre l'écriture » mais qu'en revanche la machine ne maîtrise pas la littérarité.

    Selon lui, le problème de l'IA dans l'économie et la société est « notre système de valeurs et le mécanisme de distribution des ressources et des intérêts ».

    Il utilise l'IA pour l'aider dans son écriture, pour stimuler son imagination et sa créativité.

    Il estime que l'IA soulève des questions sur la personne qui possède les droits sur une œuvre créée avec une IA : le créateur de l'IA, l'utilisateur qui sollicite l'IA ou peut-être personne.

    « Les mauvais copient, les bons créent ».


    Les langages de l'intelligence artificielle :
    robots mutiques et chatbots verbeux, comment s'y retrouver ?
    Frédéric Landragin (16 p.)

     

    Frédéric Landragin est directeur de recherche au CNRS et spécialiste du traitement automatique des langues.

     

    Deux familles de techniques permettent de programmer des IA : l'IA symbolique où la machine « comprend » ce qu'elle dit et l'IA statistique ou l'IA produit du texte sur la base de probabilités et où la machine ne comprend rien. Les IA génératives relèvent de la seconde famille.

     

    D'après Frédéric Landragin, « Concevoir une IA parlante symbolique pose de nombreux problèmes techniques : il faut tout anticiper, tout décrire, tout formaliser ! » et donc « Ce type d’approche ne peut fonctionner que si l’on diminue considérablement la combinatoire. » par exemple dans le cas de la commande vocale d'un GPS où il est possible d'anticiper le maximum de possibilités. L'IA symbolique fonctionne très bien dans un domaine fermé mais « part en vrille dès que l’on en sort »

     

    En revanche, l'IA statistique (Chat GPT en est un exemple) permet d'extrapoler et trouvera toujours une réponse, même à une phrase contenant des mots inconnus. Une réponse probable, statistiquement proche de l'acceptable, mais pas forcément adéquate.

     

    « Si le comportement de ChatGPT ressemble trait pour trait à celui de quelqu’un qui a compris l’acte de langage indirect et qui a fait la bonne hypothèse sur une croyance ou un désir de son interlocuteur, c’est grâce à une conjonction de probabilités. Le risque est de penser que ChatGPT a vraiment cette capacité [...] quand on n’analyse pas le contenu produit, il semble intelligent et capable de passer haut la main le test de Turing. C’est un illusionniste hors pair. »

     

    Cependant, l'IA statistique pose un problème, il est impossible de connaître le déroulement du raisonnement de la machine et donc de trouver l'erreur, contrairement à l'IA symbolique où il est possible de reprendre une à une les règles appliquées.

    La solution serait de concevoir une IA hybride mais « Dans l’état actuel du domaine du traitement automatique des langues, on sait à peine comment aborder une véritable hybridation. ».


    Nous sommes une espèce de la révolution de l'information
    Ada Palmer (6 p.)

     

    Autrice américaine de SF et historienne, Ada Palmer revient sur l'évolution des technologies de l'information et rappelle que chaque nouvelle technologie (comme les presses à caractères mobiles de Gutenberg) permet de gagner du temps pour « écrire plus, apprendre et faire plus » et que l'IA fait partie de cette évolution. « D’ici cinq ans, dans un cours sur Shakespeare, les étudiants pourront, au lieu de rendre une dissertation, proposer trois versions d’une même scène, en demandant à l’IA de produire une vidéo avec des variations dans les décors, les costumes et la direction. »

     

    Elle précise que les dangers des IA génératives « ne résident pas dans la technologie elle-même, mais dans les choix, bons ou mauvais, que nous devons maintenant effectuer, dans la manière dont nous aidons les gens à en gérer le déploiement ».

     

    Elle rappelle qu'aujourd'hui déjà, la plupart des profits générés par les films, les séries et la musique ne permettent pas à la plupart des acteur.ices et musicien.nes de vivre correctement. Elle ajoute que les infox inquiétaient déjà Shakespeare.

    « Nous avons des siècles d’exemples pour savoir comment gérer, en bien ou en mal, les révolutions de l’information. »


    Les enfants de Vaucanson
    Pierre-Paul Durastanti (10 p.)

     

    Panorama historique de la représentation de l'IA dans la SF, depuis la pièce de théâtre R.U.R. De Karel Capek (qui invente le mot robot) en 1920 jusqu'à Klara et le soleil, roman de Kazuo Ishiguro paru en 2021 en passant par Le Monde des A de van Vogt (1945) ou L'IA et son double de Scott Westerfeld (2000).


    Les super-ordinateurs : mais pourquoi sont-il si méchants ?
    Nicolas Martin (12 p.)

     

    Panorama historique de la représentation de l'IA à l'écran, depuis HAL 9000 dans 2001, l'Odyssée de l'espace (1968) à l'IA de The Creator (2023) en passant par Shirka dans Ulysse 31 ou Skynet dans Terminator.


    Intelligence artificielle et science-fiction : une bibliothèque idéale (20 p.)

     

    Sélection critique de douze œuvres de SF qui abordent la question de l'IA publiés entre 1966 et 2022.