Le goût pour la lecture doit beaucoup à la voix.
La lecture à haute voix est une façon de faire entendre la voix du texte et celle du lecteur, sa sensibilité, son interprétation quand bien même la compréhension du sens ne serait que partielle ou en construction. C’est aussi la meilleure façon d’actualiser un texte ancien tout en faisant entendre son étrangeté pour des oreilles contemporaines. Les grands lecteurs sont d’abord ceux qui ont bénéficié d’une histoire contée par leurs parents chaque jour.
Lire est un acte porteur de sens pour nos élèves parce qu’il leur donne à voir la richesse et la complexité des êtres et du monde, parce qu’il fait écho à leurs préoccupations, parce qu’il les invite à s’interroger, à s'émouvoir.
Aussi est-il également fécond d’envisager la lecture comme une pratique sociale et culturelle, un moment de partage et d’échanges au cours duquel les élèves vont tisser des liens avec les textes et avec les autres.
La plupart du temps, cette modalité de lecture ne fait l’objet ni d’un enseignement explicite ni d’un apprentissage spécifique, ni de remédiations. Elle se borne souvent à engager l’étude d’un texte ou d’un corpus de textes de manière rituelle et mécanique. Ainsi, quand les élèves découvrent et lisent un texte à tour de rôle, on ne peut pas parler de lecture à haute voix stricto sensu mais de simples activités de déchiffrage oralisé. Il y a lecture à haute voix si et seulement si une véritable situation de communication en interactions multiples (avec le texte, la classe, l’enseignant, ses propres émotions, celles des autres…) se crée, appuyée sur une vraie préparation.
En outre, cette démarche permet également de travailler la confiance, de renforcer la manière dont on se considère, l'appréciation de sa propre valeur.
Lire à haute voix au sein du groupe classe, lire pour ses pairs, permet aussi de travailler sur les émotions, les perceptions, de transmettre une information dans une démarche quasi conative pour aussi faire réagir, susciter un engagement collectif dans la compréhension d’un texte, à mettre en débat. Cela nécessite autant d’aptitudes à transmettre, à faire entendre qu’à écouter de manière active pour permettre de comprendre, d'interpréter et d'évaluer ce qu’autrui lit, dit ou déclame, le prendre en compte, en considération, le reformuler, le discuter.
Enfin, cela construit nécessairement une compréhension liée à la lecture et au sens que le collectif met dans cette activité menée à haute voix (intonation/ ponctuation, émotions, jeu des personnages, effet de langue…). Lire un texte de façon expressive c’est déjà en saisir le sens global (pour beaucoup de didacticiens, une compréhension préalable de l’extrait doit précéder une lecture à haute voix). Ainsi, pour Evelyne Charmeux « lire à haute voix consiste à transmettre oralement à des auditeurs sa propre lecture d’un écrit. En réalité, celui qui lit à haute voix n’est pas celui qui ‘‘lit’’ : lire, c’est comprendre, et, dans les situations évoquées, ceux qui ont à comprendre, ce sont ceux qui écoutent. Celui qui dit le texte communique aux autres, de façon orale, la lecture qu'il a faite auparavant, et les auditeurs construisent des significations, en fonction de leurs attentes, sur les indices sonores que le ‘‘lecteur’’ leur envoie ».
La lecture à haute voix dépasse ainsi la simple fluidité ou l’activité d'encodage et implique une certaine appropriation du texte ; c’est-à-dire un travail d’analyse préalable qui fait partie intégrante de la préparation, un travail qui débouche sur des choix d’interprétation.
Dans le cadre de nos démarches, nous laisserons plus modestement la parole à un lent épaississement de la compréhension à la faveur d’une lecture à haute voix, comme interprétation subjective des textes dans un premier temps dont on va construire le sens ensemble, au sein du groupe, dans de positives confrontations qui prennent en compte l’auditoire et qui ont pour but d’agir sur les auditeurs, sur leur compréhension.
Un travail sur la fluidité, l’expressivité, l’éloquence, l’expression adaptée au contexte d’énonciation, la clarté, le débit, le volume, l’intonation, la communication, le lexique, le sens, l’imaginaire, une langue qui éclaire le sens, en résonance et en interrelations, permet également de construire la compréhension. Car l’élève qui lit à haute voix ne se contente pas de lire pour lui, il lit pour les autres, il communique aux autres une lecture qu’il a préparée préalablement, produisant un véritable message sur sa propre lecture.
En plus de consolider davantage la fluidité de lecture (la fluence) et les habiletés de lecture, la pratique d’une lecture à haute voix permet d’installer progressivement une lecture qui se donne à voir et à entendre en classe ; à partir d’un même texte (pourquoi pas) qui, par le jeu des polyphonies, doit permettre une pluralité interprétative plus grande et une confrontation vertueuse des points de vue et des analyses.
Pour Joachim Dolz et Bernard Schneuwly (Pour un enseignement de l’oral, 2000), il y a lecture à haute voix lorsque « le lecteur est le médiateur du texte vers l’auditeur, et sa tâche est d’en assurer la transmission au mieux ». Cela suppose prise en compte de la situation de communication, intelligence du texte et expressivité vocale.
Finalement, l’enjeu est pour nous de parvenir avec les élèves à lire un texte de façon expressive et intelligible, pour construire collectivement une capacité à anticiper le sens, à analyser et accéder ainsi à une compréhension fine.
C’est assurément ce que le compte-rendu de Catherine Dupuis Ballesteros, formatrice et groupe ressources en Lettres, nous rappelle à l’appui d’une formation qu’elle a reçue les 21 et 22 octobre 2024 au TNM La Criée, sous l’égide de Robin Renucci, Anne Lévy (comédienne), Cécile Robert (professeur relais DAAC-La Criée) et Claudia Bochaca-Sabarich (chargée des relations avec les publics qui a aimablement mis à disposition de notre site académique deux vues prises durant ces journées).
Que chacun(e) en soit pleinement remercié(e) pour nos élèves et s’en empare à sa façon en classe !
Alexandre Quet
Inspecteur Lettres-Histoire
Le compte-rendu est disponible dans l'onglet Documents
Bibliographie de travail :
Beaume, Edmond, « La lecture à haute voix », Les actes de lecture, n° 18, juin 1987.
Brillant Rannou, Nathalie ; Boutevin, Christine ; Plissonneau, Gersende, À l'écoute des poèmes : enseigner des lectures créatives [à travers l’oralisation], 2018.
Chevalier, Brigitte, Bien lire au collège, Nathan, 1991 (sur la prise en charge de la difficulté de déchiffrage et l’automatisation de la lecture).
Charmeux, Evelyne, « La lecture à voix haute, est-ce de la lecture ? », La Lecture, Nathan Pédagogie, 1991.
Chauveau, Gérard (collectif, sous la direction de), Comprendre l’enfant apprenti lecteur, Retz, 2001.
Dolz, Joachim ; Schneuwly, Bernard, Pour un enseignement de l’oral, ESF éditeur, 2000.
Eduscol, Lire un texte à haute voix de manière à ce qu’il soit compris par d’autres, juin 2015 :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Accompagnement_personnalise_6e/34/7/7_AP_Lire_un_texte_a_haute_voix_446347.pdf
Hameau, Claude ; Pled, Bruno; Roudy, Pierre, Lire à haute voix au cycle 3, Nathan pédagogie, 1997.
Péroz, Pierre, « Apprendre ensemble à parler et à raconter » - Éduscol
Petit, Michèle, Eloge de la lecture, La construction de soi, 2002.
Petit, Michèle, L’art de lire ou comment résister à l’adversité ? 2008.
Rivais, Yak, 140 jeux pour lire vite, Retz, 2006.
Ros-Dupont, Michelle, La lecture à haute voix du CP au CM2, Bordas Pédagogie, 2004.
Vibert, Anne, Faire place au sujet lecteur en classe : quelles voies pour renouveler les approches de la lecture analytique au collège et au lycée ? (pp. 22-24 sur la lecture à haute voix).
Vibert, Anne, Expliquer un texte littéraire : ce que la recherche en didactique de la littérature peut apporter au renouvellement et à la diversification des pratiques (p. 16 sur la lecture à haute voix).
Vincent, Jean-Luc, Comment lire un texte à voix haute ?, Bibliothèque Gallimard, 2006.
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