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Pgme Terminale. Avril 2012

Publié le 28 mai 2012

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Le  lundi 28 mai 2012

Stage pgme Tale (conflits)

Conflictualité sociale. B. Herbelot

  • La conflictualité sociale – Clés de lecture

     

    2.2 La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur du changement social ?

    Conflits sociaux, mouvements sociaux, régulation des conflits, syndicat.

    On montrera que les conflits peuvent être appréhendés à partir de grilles de lecture contrastées : comme pathologie de l'intégration ou comme facteur de cohésion ; comme moteur du changement social ou comme résistance au changement. En s'appuyant sur quelques exemples, on s'interrogera sur la pertinence respective de ces différents cadres d'analyse en fonction de la nature des conflits et des contextes historiques. On s'intéressera plus particulièrement aux mutations des conflits du travail et des conflits sociétaux en mettant en évidence la diversité des acteurs, des enjeux, des formes et des finalités de l'action collective.
    Acquis de première : groupe d'intérêt, conflit.

     

    Par rapport à l’ancien programme de terminale, la nouveauté de ce chapitre réside dans la présentation de trois grilles de lecture des conflits sociaux : les conflits sociaux comme pathologie sociale (I), comme facteur de cohésion (II) et comme moteur du changement social (III).

     

    I) Le conflit comme pathologie sociale

     Cette approche du conflit est celle d’Emile Durkheim, et a été prolongée par des auteurs comme Talcott Parsons ou Daniel Bell. Selon cette grille de lecture, le conflit est perçu comme une pathologie, il est l’expression d’un défaut d’intégration sociale (cette partie doit donc être traitée en mobilisant les notions du chapitre précédent consacré les liens sociaux).

    Par conséquent, le conflit social : est perçu comme évitable (si l’intégration sociale n’avait pas été défectueuse, il n’y aurait pas eu de conflit), est perçu comme négatif (le conflit est l’expression d’un défaut d’intégration et peut en lui-même nuire à l’intégration sociale) et doit conduire à prendre des mesures pour renforcer l’intégration sociale (afin d’éviter la survenance future de nouveaux conflits).

     Selon cette grille de lecture, le conflit social a pour origine un défaut d’intégration, qui peut être notamment être interprété comme une situation d’anomie :

    -          une situation d’anomie au sens de Robert K. Merton : un groupe partage les objectifs de la société, mais ne disposent pas des moyens qui lui permettrait d’atteindre ces objectifs, ce qui peut conduire au conflit social ;

    -          une situation d’anomie au sens de Durkheim : absence ou déficience des normes sociales communément acceptées (qui peut être chronique ou aigüe). L’anomie peut :

    • concerner un groupe social donné (défaut d’intégration d’un groupe à la société), dont les membres ont par exemple connu une socialisation défaillante qui fait qu’ils ne reconnaissent pas les normes sociales en vigueur, ce qui peut conduire au conflit social ;
    • être généralisée à l’ensemble de la société (défaut d’intégration de la société dans son ensemble). Il peut s’agir d’une division du travail anomique, faute notamment d’institutionnalisation des relations professionnelles, qui conduit à un conflit capital/travail. Il peut également s’agir d’une insuffisance de valeurs et de normes communes à l’échelle de la société, qui peut par exemple être à l’origine de conflits religieux ou ethniques.

    Un même conflit social peut faire l’objet de conflit d’interprétation diverses quant au type d’anomie qui en est à l’origine. Par exemple, les émeutes dans les banlieues en 2005 ont pu être interprétées comme le résultat d’une anomie au sens de Merton (les buts de la société sont acceptés, mais les moyens font défaut) ou davantage comme le résultat d’une anomie au sens de Durkheim (les normes et les valeurs de la société sont insuffisamment intériorisés). Les solutions à apporter au conflit ne sont pas les mêmes selon l’interprétation qui en est faite.

     Selon Durkheim, il existe mis à part l’anomie deux autres formes de pathologies de la division du travail, qui peuvent être à l’origine d’un défaut d’intégration et ce faisant d’un conflit social : la division du travail contrainte (les normes sociales sont perçus comme injustes par certains, et ne tiennent alors que par la contrainte) et la division du travail excessive (excès de normes sociales).

     

    II) Le conflit comme facteur d’intégration sociale

     Cette approche du conflit est celle de Georg Simmel, et a été prolongé par des auteurs comme Lewis Coser (sociologue fonctionnaliste auteur de l’ouvrage Les fonctions du conflit social). Selon cette grille de lecture, le conflit est perçu comme un facteur d’intégration sociale, et non comme révélateur d’un défaut d’intégration. Par conséquent, le conflit : est perçu comme inévitable (il fait partie du fonctionnement normal de l’organisation sociale), est perçu comme positif (puisqu’il contribue à l’intégration sociale) et il peut conduire au changement social. A partir de cette grille de lecture, le conflit social peut être perçu à la fois comme un facteur d’intégration pour chacun des groupes en conflits et comme un facteur d’intégration entre les groupes en conflit.

     Le conflit social peut contribuer à l’intégration de chacun des groupes en conflit, pour les raisons suivantes :

    •          le conflit renforce l’identité du groupe : l’opposition avec un autre groupe social permet de mieux définir les traits caractéristiques du groupe et de mieux en délimiter les frontières ;
    •          le conflit renforce la cohésion du groupe : le sentiment d’appartenance des membres du groupe est renforcé, le conflit renforce la nécessité d’être solidaires au sein du groupe ;
    •          le conflit renforce les liens sociaux au sein du groupe : le conflit conduit à des actions collectives, qui créent des liens de sociabilité entre les membres du groupe.

    Dans le but de renforcer leur intégration réciproque, les groupes sociaux peuvent mettre périodiquement en œuvre des conflits sociaux ritualisés.

     Le conflit social contribue également à créer davantage d’intégration sociale entre les groupes en conflit, pour plusieurs raisons :

    -          le conflit social rapproche les groupes en conflit en créant une interaction entre eux :

    • le fait qu’il y ait un conflit social signifie que les groupes sociaux s’entendent sur la légitimité de l’enjeu, ce qui constitue un point commun entre eux (par exemple, les champs sociaux étudiés par Bourdieu sont structurés par le fait que les groupes en conflit s’entendent sur la légitimité de l’enjeu) ;
    • le conflit social peut créer des rapports entre les deux groupes, qui peuvent de ce fait apprendre à mieux se connaître (comme cela peut être le cas dans le cadre de la démocratie locale, par exemple) ;

    -          le conflit social peut renforcer l’ordre social qui en est issu (« l’ordre social est fondé sur des conflits résolus » H. Mendras) :

    • si les règles du conflit sont acceptées par les groupes en présence, le résultat du conflit peut être considéré comme légitime. Dès lors, l’institutionnalisation des conflits contribue à faire des conflits des facteurs d’intégration sociale. La démocratie en constitue un exemple : son objectif est d’institutionnaliser les conflits politiques, afin de légitimer les décisions politiques et l’ordre social qui en est issu ;
    • le conflit peut conduire à un changement social qui favorise l’intégration sociale, soit parce que ce changement résulte d’un compromis entre les groupes en conflits (idée d’Hirschmann selon laquelle le capitalisme a été sauvé par les contestations en son sein qui l’ont conduit a évolué, idée que l’on peut reprendre à l’inverse s’agissant du système soviétique qui, en étouffant la contestation, n’a pas su se réformer ce qui aurait entraîné son déclin, et qui peut également être appliquée à l’entreprise, qui peut se priver d’un facteur de dynamisme interne en étouffant les conflits), soit parce que ce changement permet une meilleure intégration d’un groupe jusque-là marginalisé (par exemple, les conflits relatifs à l’homosexualité, aux droits des minorités,…) ;
    • enfin, le conflit social peut renforcer l’ordre social dans le cas où le groupe défait lors du conflit social reconnaît sa position d’infériorité durable et accepte ce faisant l’ordre social sous la contrainte ;

    -          enfin, L. Coser évoque (dans une optique davantage psychologique) le rôle de « soupape de sécurité » que peut remplir le conflit social, qui peut permettre une évacuation des tensions sociales, évitant ainsi un conflit social majeur.

     

    III) Le conflit comme moteur du changement social

     Cette approche du conflit est celle de Karl Marx, et a notamment été prolongé par Alain Touraine. Selon cette grille de lecture, le conflit social est perçu comme un facteur de changement social. Par conséquent, le conflit : est perçu comme inévitable (il est l’expression de contradictions insurmontables de la société) et est perçu comme positif (il doit permettre l’émergence d’un nouvel ordre social).

     Selon la théorie du conflit élaborée par Marx, les conflits sociaux présentent les caractéristiques suivantes :

    •           le conflit est un trait permanent de toutes les sociétés, l’issue d’un conflit social créant les conditions d’un autre conflit social ;
    •           chaque société se caractérise par un conflit social central ;
    •           le conflit est l’expression de contradictions inhérentes à la société, qui ne peuvent aboutir au compromis ;
    •           le conflit conduit au changement social, qui est indispensable pour surmonter les contradictions de la société.

     

    L’analyse des relations entre le conflit social et le changement social peut être menée à partir d’un questionnement de la théorie marxiste des conflits sociaux :

    •           le changement social peut être généré par le conflit social central, mais également par des conflits sociaux secondaires ;
    •           le changement social auquel abouti le conflit social ne conduit pas nécessairement à la disparition d’un des groupes en conflit, il est possible d’aboutir à un compromis et à une institutionnalisation des conflits, qui réduisent la conflictualité (les intérêts des deux groupes en présence ne sont par conséquent pas nécessairement irréconciliables, le conflit social n’est pas nécessairement un jeu à somme nulle) ;
    •           les contradictions sociales ne conduisent pas automatiquement au conflit social : une opposition d’intérêt entre deux groupes sociaux ne conduira à un antagonisme ouvert qu’à la condition que certaines conditions favorables à l’action collective soit réunies ;
    •           les conflits sociaux peuvent avoir pour objectif de résister au changement social, et non de le provoquer (voir la distinction entre conflits du travail « offensifs » et « défensifs », ou encore : les mouvements poujadistes, le mouvement Chasse Pêche Nature et Traditions,…).