Compte rendu de la rencontre entre les professeurs des lycées, collèges et écoles et les chercheurs et enseignants-chercheurs du LEST (Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail) d’Aix-en-Provence
Voir aussi les liens vers des documents proposés par M. Bouffartigue en fin de document et en PJ
Mardi 17 Avril 2012
Intitulé de la rencontre : La santé au travail : enjeux anciens et questions nouvelles.
Déroulement de la rencontre : Monsieur Jean-René PENDARIES a présenté des éléments d’histoire permettant de comprendre l’émergence et le traitement de la question de la santé au travail en France. Monsieur Paul BOUFFARTIGUE a défini les termes : travail, santé au travail et risques psychosociaux. Puis il a présenté les principaux modèles sur la relation santé-travail et les résultats d’enquêtes concernant les enseignants. Ces conférences ont été suivies d’une discussion sur la santé au travail chez les enseignants.
Eléments d’histoire et enjeux concernant la santé au travail (M Pendariès)
Premier constat : un constat général d’échec pour quatre raisons :
- un système de santé au travail incapable de prendre la mesure de l’ampleur réelle des attentes professionnelles à la santé.
- un système toujours en retard sur la connaissance (exemple de l’amiante interdite depuis seulement 1997). Ces retards concernent notamment le secteur public (exemple : 1982 : création des CHSCT pour le secteur privé, 2008 CHSCT pour la fonction publique hospitalière et 2010 : CHSCT pour la fonction publique d’Etat et la fonction publique territoriale).
- un système historiquement orienté en priorité sur la réparation et l’indemnisation au détriment de l’anticipation et de la prévention.
- un système dans lequel les stratégies de prévention primaire (c’est-à-dire à la source) interviennent tardivement, quand les atteintes deviennent massives.
(prévention primaire = agir sur les causes, prévention secondaire = protéger, renforcer, consolider, prévention tertiaire = réparer les atteintes).
Des exemples d’illustration : statistiques sur les accidents du travail, sur le stress, sur les troubles musculo-squelettiques. De plus ces statistiques sous estiment les maladies professionnelles car nous assistons à une sous déclaration des maladies. Cette sous déclaration est tout de même estimée à 70 % en moyenne et est due à deux facteurs : une sous déclaration des médecins du travail et des sous déclarations des salariés (craintes de perdre son emploi, pressions patronales).
Comment expliquer la construction du système de santé au travail ?
Il faut remonter à un acte fondateur : la loi de 1898 sur les accidents du travail. Cette loi crée une catégorie particulière d’accidents : ceux survenus sur le lieu de travail. Elle crée, en marge du droit commun, un régime spécifique de responsabilité automatique de l’employeur ce qui revient à inverser la charge de la preuve. Cette responsabilité de l’employeur est une responsabilité sans faute, elle ne relève pas du droit pénal. Cette loi instaure également une indemnisation forfaitaire du salarié par l’employeur.
La loi de 1898 a conduit à l’amélioration de la prise en charge des accidents du travail et à l’amélioration des conditions de travail. Elle fait naître un modèle de santé au travail qui structure lourdement toute l’histoire de la santé au travail. Suite à des luttes sociales et à des compromis, cette loi de 1898 sera étendue aux maladies professionnelles.
Le modèle de santé au travail comprend cinq caractéristiques :
1 / Il est centré sur la réparation, l’indemnisation des victimes.
2 / On passe d’un modèle judiciaire à un modèle assurantiel (les entreprises tiennent compte de ces risques dans les calculs économiques).
3 / Les risques professionnels sont conçus comme inhérents au travail et les salariés peuvent les négocier (exemple : prime pour le travail de nuit).
4 / La santé au travail échappe au domaine des politiques de santé publique.
5 / La santé au travail constitue une contribution majeure à la définition moderne du contrat de travail comme relation de subordination.
Après la loi de 1898, la médecine du travail va évoluer. La loi de 1942 instaure une forme extrême du modèle de la médecine d’entreprise. Elle généralise les services médicaux d’entreprise à toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Elle rend obligatoire une visite médicale d’embauche afin de dépister les maladies mais aussi de sélectionner et orienter les salariés et d’assurer une concordance entre la fiche de poste et la fiche individuelle de capacités. En réalité l’objectif est d’effectuer une sélection pour le STO.
Le CNR va présenter un projet alternatif. La protection des salariés reste sous la responsabilité des employeurs mais la priorité est donnée à la prévention. Ce projet renforce aussi les droits des salariés (création des CE) et place la santé au travail sous la tutelle du ministère de la santé (et non plus du travail). La médecine du travail doit être indépendante de l’employeur (statut de fonctionnaire).
Néanmoins dans les faits la loi de 1942 n’est pas abrogée, le ministère du travail conserve la tutelle et la priorité est donnée à l’éradication de la tuberculose et surtout aux enjeux économiques liés à la reconstruction (application de l’OST…).
Comment expliquer les évolutions du système de santé au travail ?
Après 1968, des avancées ont eu lieu : lois Auroux, DUER : document unique d’exposition au risque, CSHCT… Par contre de nos jours les grandes luttes émergent en dehors des entreprises et des organisations syndicales, grâce aux associations de victimes et d’usagers.
Cependant la montée du chômage et la précarisation des emplois conduisent à une exposition aux risques de plus en plus forte mais aussi à l’invisibilisation de ces risques (traçabilité, suivi médical problématique). De plus, les patrons exercent des pressions pour contrôler la médecine du travail et l’Etat ne propose pas de refonte de ce système.
Quelles sont les premières maladies professionnelles reconnues ?
Des inquiétudes (d’hygiénistes, de médecins : cf. rapport Villermé, des ouvriers) sont apparues dès le XIX ème siècle. Mais il faut attendre 1919 pour que soient reconnues les premières maladies professionnelles : le saturnisme (intoxication au plomb) et l’hydrargisme (intoxication au mercure). En 1919, seulement deux maladies sont reconnues comme étant des maladies professionnelles. La sécurité sociale classe les maladies professionnelles reconnues dans un tableau où figurent :
- 1ère colonne : la désignation des maladies (par exemple toutes affections consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante)
- 2ème colonne : le délai de prise en charge (cette durée peut évoluer en fonction des négociations)
- 3ème colonne : la liste des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies.
L’amiante sera classée dans un tel tableau en 1950 et les troubles musculo-squelettiques en 1972.
Les enjeux pour les syndicats seront d’allonger la liste des maladies professionnelles (par exemple les risques psychosociaux : pas encore recensés comme une maladie professionnelle) et d’améliorer les conditions d’indemnisation.
La santé et le travail (M Boufffartigue)
Définitions
Ici le travail sera entendu comme un synonyme d’emploi alors que tout travail n’est pas un emploi (travail bénévole, domestique, militant). Le travail sera également considéré sous l’aspect du travail salarié autrement dit subordonné : un individu met à disposition ses capacités envers un employeur en échange de protections, de compensations : droits du travail, rémunération. Le travail donne ainsi lieu à une reconnaissance sociale et surtout monétaire. Le salarié, subordonné, perd des libertés (notamment vrai pour l’OS à qui aucun engagement subjectif n’était demandé alors que de nos jours cet engagement est requis notamment dans les services) mais il obtient une compensation.
Pour Alain Supiot, le travail est une activité inscrite dans un ensemble d’obligations.
Les études ergonomiques montrent qu’il faut étudier à la fois le travail prescrit (= défini explicitement par des procédures et également de plus en plus par des objectifs) et le travail réel (les applications notamment face à la complexité, aux imprévus). Yves Clot ajoute qu’il faut aussi étudier le travail empêché = le travail tel qu’il ne peut pas s’effectuer.
Ce qui pose problème : les écarts entre le travail prescrit et le travail réel (notamment dans le BTP : beaucoup d’imprévus à gérer), la reconnaissance entre les capacités réellement mobilisées et celles qui sont reconnues par la rémunération, le public (par exemple les élèves), la direction….
La santé au travail peut être définie par la négation : l’absence de maladies, d’accidents. Pour les chercheurs du LEST cette définition n’est pas satisfaisante. La santé au travail est considérée comme un processus de construction existentielle (capacités à s’adapter, à transformer les normes qui nous entourent, à renormaliser le milieu dans lequel on travaille), de bien-être, de plaisir de continuer son travail.
Quels sont les modèles pour penser les relations entre la santé et le travail ? Il existe trois grands modèles à combiner selon les individus.
- 1er modèle : le travail est avant tout un danger pour la santé, il est potentiellement pathogène. La reconnaissance de ce lien a toujours été problématique : méconnaissance, sous estimation.
- 2ème modèle : le travail peut être la santé, il peut être un opérateur positif sous certaines conditions (ergonomie).
- 3ème modèle : la santé a un impact sur l’affectation aux postes de travail, elle exerce des effets de sélection : par exemple des personnes fragiles seront affectées à des postes moins pénibles.
Les grandes enquêtes Sumer sur la santé au travail ont montré que la moitié des salariés interrogés estimaient que le travail n’avait aucun impact sur la santé.
Les risques psychosociaux
Cette notion n’est pas consensuelle. Cette expression est apparue dans les années 2000. Ces risques font partie des risques professionnels émergents : on sait qu’ils existent mais ne sont pas (encore) reconnus dans un tableau de maladie professionnelle.
Le stress est une notion proche des risques psychosociaux.
Les risques psychosociaux comprennent : le stress, la violence au travail, le harcèlement moral et sexuel, la souffrance, les suicides et tentatives de suicide. Ces risques sont définis par une liste de symptômes. Le problème est alors la confusion entre symptômes et causes. En avril 2011 un collège d’experts dirigé par Michel Gollac a alors proposé la définition suivante : ce sont « les risques pour la santé mentale, physique, sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels, susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ».
Quels peuvent être les facteurs de stress ?
La charge de travail, l’autonomie pour répondre à la charge de travail, le soutien social dans son collectif de travail sont trois facteurs de stress. L’hôtesse de caisse est l’exemple de salariée cumulant tous ces facteurs.
Ces facteurs sont importants dans les services et chez les travailleurs précaires.
Les chercheurs utilisent le questionnaire de Karasek afin de mesurer l’exposition à ces risques appelée aussi le jobstrain. Les chercheurs du LEST vont mener une enquête sur les enseignants. (Fig_1)
Travail et santé chez les enseignants
Plusieurs enquêtes ont été menées parmi le personnel de l’Education Nationale, par la MGEN et par des organisations syndicales.
- 17 % des enseignants souffrent de burn out (6 points de plus que la moyenne du personnel de l’EN).
- 30 % songent à quitter leur métier.
- 24 % sont exposés au job strain.
Les sources d’insatisfaction au travail chez les enseignants : sentiment de ne pas avoir la compétence pour faire face aux problèmes de comportement des élèves, insatisfaction dans les rapports à l’institution (de plus en plus de papiers à remplir), manque de temps, classes chargées, gestion de l’hétérogénéité (au collège), charges horaires liées aux copies et heures supplémentaires imposées (en lycée).
Enquête de C Helou : 3 pôles de réflexion
- 1er pôle : prise –emprise -déprise. Il faut parvenir à construire des routines sans verser dans l’ennui (= prise). 2 cas opposés : l’emprise = le surinvestissement, la déprise = présence minimale.
- 2ème pôle : l’enchevêtrement des tâches et la coordination de ces tâches. Les tâches effectuées par les enseignants se multiplient et débordent des cours : suivi, orientation des élèves, tâches administratives... (cf. les 10 compétences). Parfois le professeur peut être disqualifié : le CPE, le COPsy en savent plus que lui sur ces tâches périphériques. Comment évaluer ces tâches ? Quel est le degré de contrainte ?
- 3ème pôle : l’impuissance à bien faire son travail. Les enseignants peuvent avoir l’impression de mal faire leur travail face à l’absence d’intérêt et/ou de progression des élèves, doutent sur l’utilité de leur travail. Les rapports avec les familles sont plus tendus.
Quelles sont les démarches de prévention ?
L’accord-cadre européen de 2009 propose quelques réponses formatées : information, formation, lignes d’écoute téléphoniques.
Références :
- Y MIOSSEC et Y CLOT, Le travail humain, PUF, avril 2011.
- Y CLOT, Le travail à cœur, Pour en finir avec les risques psychosociaux, La Découverte.
- Rapport Nasse-Lègeron, 2008
- DARES, Analyses n ° 81, décembre 2012.
Documents joints :
- La qualité de vie au travail dans les lycées et collèges. Le « burnout » des enseignants. Georges Fotinos & José Mario Horenstein. 130 pages.
- Mesurer les « risques psychosociaux » ? Paul Bouffartigue. 11 pages.
- La perception des liens travail/santé. Le rôle des normes de genre et de profession. Paul BOUFFARTIGUE, Jean-René PENDARIÈS, Jacques BOUTEILLER (collab.). Une trentaine de pages.
- Compte-rendu d’une réunion – débat autour des auteurs du livre « La souffrance des enseignants ». Françoise LANTHEAUME et Christophe HELOU. Avec Dominique CAU-BAREILLE, comme discutante. Mercredi 4 février 2009. 17 pages.
- Vécu du travail et santé des enseignants en fin de carrière : une approche ergonomique. Dominique Cau-Bareille Novembre 2009.