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2013

Publié le 22 nov. 2013

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Le  vendredi 22 novembre 2013

Jeco 2013 9

Les banques

  • Les Banques
    Conférence « off »
    Intervention de Jézabel Couppey-Soubeyran
    Paris School of Economics / Université Paris 1
     Christophe Rodrigues

    Note liminaire :

    Ce compte rendu n’est évidemment pas exhaustif. Il n’engage que la responsabilité de son auteur ! J’indique en rouge [sur la page .html c’est en italique, (note de l’un des webmestres)], les éléments complémentaires qui me semblent utiles à la compréhension et qui n’ont pas été explicitement formulés par J. Couppey-Soubeyran au moment de la conférence.

    Enfin, je précise que le texte ci-dessous doit beaucoup aux notes également prises par Nancy Fabre !

     [aussi en PJ, une PAO "sympathique" ,"capturée par C. Rodrigues, (note de l’un des webmestres)]

    Un livre incontournable : A. Admati et M. Hellwig. The bankers' new clothes. Princeton University Press, 2013

    Par analogie avec le conte du Roi nu, le système actuel fonctionne de sorte que les banques ne se rendent pas compte qu’elles sont nues et personne n’ose le leur dire.

     

    Présentation du bilan simplifié d’une banque

     

    Le passif du bilan bancaire regroupe l’ensemble des ressources collectées par les banques. Ces ressources sont essentiellement de trois types :

    a-      les fonds propres ;
    b-     les dettes de marchés (c’est à dire les titres émis par les banques et dont elles sont les débitrices) ;
    c-      les dépôts de leurs clients

     

    L’actif du bilan bancaire regroupe l’ensemble des emplois liés à l’activité bancaire. Il existe 4 catégories principales d’actifs :

    a-      les crédits aux entreprises ;
    b-     les crédits immobiliers ;
    c-      les achats de titres par les banques (c’est à dire les titres émanant d’autres sociétés – financières ou non financières – ou des Etats achetés par les banques et dont elles sont les créancières) ;
    d-     les bénéfices mis en réserves

     

    Attention à ne pas confondre les dettes de marchés, c’est à dire les titres émis par la banque (la BNP par exemple qui émet une obligation qui est ensuite achetée par un ANF – agent non financier - ou une IF qui devient le créancier) qui représentent pour la banque une dette inscrite au passif de son bilan et les achats de titres en provenance d’autres institutions (SNF, IF ou Etats) par la dite banque par le biais desquels celle-ci dispose d’une créance vis-à-vis de l’institution émettrice qui sont inscrits à l’actif du bilan bancaire.

    Rappel : les dettes sont inscrites au passif du bilan tandis que les créances sont inscrites à l’actif.

     

    La mutation financière a eu un impact considérable sur les bilans bancaires :

     

    1)      la taille des bilans a explosé (voir le rapport Liikanen de la Commission européenne en 2012 : ce rapport conseille la séparation des activités bancaires et propose une analyse comparée du système bancaire européen et américain[1]), autrement dit, le volume des capitaux  qui transitent par les bilans a fortement augmenté depuis le début des années 2000. Le volume global des actifs bancaires (somme de tous les actifs des bilans bancaires) au sein de l’Union européenne est passé de 30 000 milliards d’euros en 2001 à 45 000 milliards en 2011 (passage de 230 % à 370 % du PIB de l’Union) !

     

    2)      la structure du bilan bancaire s’est profondément transformée :

    1. A l’actif : hausse de la part relative des titres et baisse de la part relative des crédits (montée de l’intermédiation de bilan monétisée au dépens de l’intermédiation de bilan non monétisée). Exemple : la part des crédits à la clientèle (crédits aux entreprises et crédits aux ménages) est passée de 84 % du total des actifs en 1982 à 38 % en 2002 (mouvement parallèle de 5 à 47 % pour la part des titres) ;
    2. Au passif : hausse de la part des dettes de marché (des dettes qui sont de surcroît de plus en plus des dettes de court terme) ; baisse de la part relative des dépôts : sur la période 1982-2002, les dépôts bancaires passent de 73 à 27 % du passif tandis que la part des titres passe de 6 à 52 % ;
    3. Un exemple illustratif récent de la BNP-Paribas en 2011 : 34 % des actifs sont composés de crédits aux ANF et 53 % de titres. Du côté du passif, les dépôts représentent moins de 30 % et les dettes 20 %. Quant aux fonds propres au sens strict, ils représentent seulement 4,4 % du passif bancaire.

     

    Cette évolution crée une situation historique inédite : la taille des bilans bancaires compromet les actions de soutien par les Etats.

     

    Quels enseignements ?

     

    a)      Il n’y a pas de processus de désintermédiation bancaire mais une transformation du métier de la banque : l’intermédiation de marché est croissante en part relative, et au sein l’intermédiation de bilan, l’intermédiation non monétaire est croissante en parts relatives (aux dépens de l’intermédiation monétaire).
    b)      Il n’y a pas de baisse des crédits en valeur absolue et même une hausse des crédits bancaires sur la longue période. Exemple : les encours de crédits représentent 27 % du PIB au Royaume Uni en 1980 et 188 % en 2011. Pour l’Union européenne, ces taux passent de 97 % à 193 % sur la même période (de 101 % à 116 % pour la France).
    c)      Il existe une littérature économique récurrente sur la question des liens positifs entre finance et croissance. Les travaux empiriques actuels tendent plutôt à remettre en cause ce lien positif voire à mettre en évidence l’existence d’un lien négatif au delà d’un certain poids occupé par la finance dans l’économie (l’instabilité financière s’accroit au delà d’un certain seuil ; autour de 100 à 110 % du PIB de la zone considérée) – voir notamment les travaux de Jean-Louis Arcand (débat sur voxeu : http://www.voxeu.org/person/jean-louis-arcand). S’agissant de la zone euro, ce seuil est sans doute dépassé aujourd’hui.
    d)      La hausse de la taille des bilans bancaires fragilise leur structure financière (en passant par des titres qui sont de plus en plus des titres de court terme).
    e)      Les banques ont participé à l’essor des marchés financiers. Par conséquent, l’instabilité financière transite toujours par les bilans bancaires.

     

    Réflexion sur la question des fonds propres bancaires : quels sont les enjeux actuels sur la réglementation ?

     

    Qu’est ce qu’un fonds propre ?

     

    Un fonds propre est une ressource provenant d’une part des actions (titres de propriété) émises par la banque et d’autre part des réserves (les réserves font partie des fonds propres, mais les fonds propres ne se réduisent pas aux réserves). Ce sont des ressources non remboursables qui permettent d’absorber les pertes. S’agissant des SNF, les fonds propres sont les capitaux propres c’est à dire les ressources que l’entreprise n’a pas besoin de rembourser sauf en cas de cessation d’activité.

    Pour les banques, ce sont ces ressources non remboursables qui permettent d’absorber les pertes à l’occasion d’une crise d’illiquidité ou d’insolvabilité. Cette fonction peut être comprise à l’aide de la métaphore de l’éponge : les fonds propres absorbent les pertes mais il en existe plusieurs types qui se révèlent plus ou moins « absorbants ». On distingue les « vrais fonds propres » (core equity) qui regroupent les actions émises et les réserves (parts des bénéfices non distribués). Les « faux fonds propres » regroupent quant à eux les titres hybrides, FRBG (fonds de roulement), participations.

     bq 1

    Les actifs pondérés par les risques regroupent une sous catégorie des actifs qui sont considérés comme les plus risqués. Le classement d’un actif dans la catégorie « risquée » ou « non risquée » génère ainsi un enjeu important puisque cela conduit à surestimer ou, au contraire, à sous-estimer le ratio de fonds propres (voir ci-dessous les évolutions réglementaires au sein du protocole de Bâle).

     

    Il existe deux risques majeurs au bilan d’une banque :

     

    1)      un risque d’insolvabilité qui est notamment la conséquence d’une mauvaise stratégie d’investissement, autrement dit un mauvais usage de l’actif (ce risque est accru par des achats d’actifs qui portent sur des échéances de plus en plus courtes). Dans ce cas : actif – passif < 0. Autrement dit, pour des ressources constantes, la banque connaît un problème de déséquilibre de son bilan dû à une dépréciation de ses actifs par exemple en cas de crédits non performants ou de chute de la valeur des titres dont elle est propriétaire. Le risque d’insolvabilité est un risque d’actif.
    2)      un risque d’illiquidité : passif (t) > actif (t+1). Le risque d’illiquidité est un risque de passif avec un décalage temporel entre deux périodes (cas historique des « bank runs » ou des paniques sur le marché interbancaire).

     

    Les deux risques s’articulent et peuvent dans certains cas être étroitement liés :

    a)      avec la crise des subprimes, la crise d’illiquidité s’est transformée pour nombre de banques en crise d’insolvabilité ;
    b)      ils peuvent être pour autant indépendants : une capitalisation suffisante (c’est à dire un volume conséquent de ressources) peut ne pas empêcher un « bank run » (le faible risque d’insolvabilité peut provoquer une illiquidité).

     

    Les deux risques ont évolué avec la transformation des structures bancaires : passage de la banque familiale avec responsabilité illimitée du banquier (responsable sur ses deniers personnels) aux  groupes bancaires modernes.

     

    Mise en perspective historique : aux Etats-Unis en 1933

    En parallèle du Bank charter act, les États-Unis ont mis en œuvre un dispositif de garantie des dépôts (DGP). De manière analogue en Europe, les dépôts sont garantis par déposant et par banque à hauteur de 100 000 euros auquel s’ajoute un contexte de rassurance des investisseurs sur le renflouement par les pouvoirs publics (bail out).

    Plusieurs conséquences :

    a-      Les Bank run ne concernent plus les petits déposants
    b-     Les dettes bancaires « pèsent » moins lourd que les dettes des SNF !
    c-      De facto, les dettes bancaires sont subventionnées par les autorités politiques.

    Conséquence globale : la part de la dette s’accroit au bilan des banques (alors que celle des fonds propres chute : entre 20 et 30 % au début du XXème siècle, entre 6 et 8 % dans les années 1980).

     

    Un exemple simplifié pour comprendre le rôle des fonds propres dans l’activité bancaire :

     bq 2

    Rappels :

     

    Ratio de levier : fonds propres / actifs

     

    Avant la chute du prix des titres (par exemple un krach boursier), les ratios de levier s’établissent comme suit : 30/100 pour la banque BB ; 6/100 pour la banque LB.

    La chute du prix des titres affecte le passif (les fonds propres qui sont composés de titres de propriété : des actions) ainsi que l’actif (les titres d’autres IF ou de SNF ou d’OAT détenus par la banque). Dans l’exemple ci-dessus, on suppose que les dettes bancaires ne sont pas composées de dettes de marchés et ne sont donc pas affectées par la chute des prix de titres. Dans cette hypothèse, il peut s’agir par exemple d’un krach boursier qui affecte de manière homogène le bilan bancaire (chute de 10 % de l’ensemble des titres financiers dans l’économie).

    Après la chute du prix des titres : 25 / 90 pour BB (27,8 % de ratio de levier) ; et 1/90 pour LB (1,1 % de ratio de levier).

    Le niveau des fonds propres de BB lui donne la possibilité d’absorber facilement les pertes et donc le krach. Dans le cas de LB en revanche, la recapitalisation est indispensable.

     

    Explications :

    -          BB peut rétablir à moindre coût son ratio de levier initial puisqu’il faut que 25/actifs = 30 % ce qui implique de ramener les actifs à 83 et donc de vendre 12 actifs (après le krach le niveau des actifs est de 95) autrement dit se désendetter de 12 actifs.

    -          LB en revanche pour rétablir son ratio de levier de 6 % initial doit satisfaire la règle de 3 suivante : 1 / actifs = 6 % ce qui impliquerait de ramener l’actif total à 17 alors que la somme des actifs de LB après le krach s’élève à 95 !! La procédure de désendettement interne (bail in) impliquerait de vendre 78 d’actifs pour se désendetter. Or, LB peut au maximum vendre 45 d’actifs (c’est à dire la part des actifs qui prennent la forme de titres) puisque les 50 actifs restant sont des créances qu’elle détient sous forme de crédits auprès des ANF (on ne retient pas l’hypothèse d’une possibilité de titrisation qui aurait pu conduire LB à vendre certains de ces actifs également). La seule procédure restant pour « sauver » LB est donc la recapitalisation extérieure (bail out).

    -          Le develeraging ou désendettement se traduit donc par deux mécanismes qui visent tous deux à restaurer le ratio de levier : le bail in lorsque la banque peut réaliser un désendettement interne en vendant une partie de ses actifs ; le bail out, c’est à dire la recapitalisation extérieure (notamment par les autorités politiques et/ou monétaires) lorsqu’elle est dans l’incapacité de procéder par bail in.

     

    Les enseignements macroéconomiques de ce processus :

    1. Plus, en moyenne, la part des fonds propres est faible dans les banques, moins ces banques dans un contexte d’instabilité financière croissant sont capables d’absorber les pertes (faible capacité d’absorption de « l’éponge fonds propres »).
    2. Plus en moyenne, la part des fonds propres est faible, plus l’ampleur du develeraging sera forte en cas de crise.
    3. Au delà d’un certain seuil dans la gravité de la crise et en deçà d’un certain seuil dans le niveau des fonds propres (les deux niveaux de seuils s’articulent de manière variable), le develeraging ne pourra se faire par voie interne (bail in) ce qui impliquera une recapitalisation (bail out).
    4. En cas de develeraging concernant une grande banque ou, simultanément plusieurs banques de taille intermédiaire, les ventes d’actifs requises pour assainir le ou les bilans bancaires entrainent, de proche en proche, une chute cumulative des prix d’actifs sur le marché financier (la hausse de l’offre de titres fait chuter les cours). Déclenchement d’un « effet domino » : la baisse des prix d’actifs dégradent davantage les bilans bancaires ce qui entraine de nouvelles vagues de develeraging, etc.
    5. Le statut de bien collectif de la monnaie combiné avec la gestion du risque de système conduit les autorités à user du mécanisme de recapitalisation lorsque le désendettement interne est impossible (situation de hasard moral modélisé par J. Stiglitz). Les garanties publiques de recapitalisation contribuent ainsi à rassurer les investisseurs (ANF et IF) qui achètent facilement sur le marché financier les titres de créances des banques (les dettes de marché qui pour la banque sont une ressource et donc versées au passif du bilan) conduisant de proche en proche à des baisses de taux d’intérêt sur ces titres. Le coût de la dette pour les banques devient ainsi plus faible (notamment vis-à-vis des SNF qui bénéficient de conditions de financement externe plus onéreuses) : elles bénéficient d’une sorte de subvention du fait des garanties publiques. Rationnellement, les banques ont donc intérêt à se financer par la dette (émission d’obligations) plutôt que par une hausse de leurs fonds propres (avec l’émission le cas échéant de nouveaux titres de propriété) : dans ce cas d’espèce le théorème de Modigliani-Miller est invalidé. Au final, cela permet de comprendre pourquoi dans le bilan des banques la part relative des fonds propres diminue au bénéfice de la part relative des dettes de marché.

     

    Énoncé du théorème de Modigliani-Miller :

     

    Ce théorème démontre que pour une entreprise de sociétaires, il est indifférent d’accroitre ses ressources par un financement sur emprunt (émission de titres de créances, obligations par exemple) ou par un financement sur fonds propres (émission de titres de propriété, actions). Cette indifférence (au sens de Pareto) s’explique par le fait que chaque propriétaire peut sanctionner la gouvernance de la firme s’il estime que le niveau d’endettement est trop élevé et vendre le cas échéant ses actions sur le marché financier. Il s’en suit une chute du prix des titres de propriété qui rend plus attractif, pour les périodes ultérieures, un financement de la firme sur fonds propres plutôt que par un recours supplémentaire à l’endettement. Le théorème montre que c’est la flexibilité du prix des actifs sur le marché financier (titres de propriété et titres de créances) qui neutralise les changements de la structure financière des firmes. La condition est que le marché financier fonctionne de manière efficiente et permette la constitution d’un équilibre entre le rendement et le risque pour tous les types d’actifs financiers.

     

    Les débats qui ont conduit à l’adoption du dispositif de Bâle I en 1988 partent du constat selon lequel les fonds propres des banques se réduisent à partir des années 1980 pour se situer sous la barre des 8 % du total des ressources (l’ensemble du passif du bilan bancaire). Le ratio Cooke de 1988 prévoit que le rapport fonds propres / actifs doit être supérieur à 8 %[2]. Plusieurs problèmes se sont cependant posés conduisant rapidement à l’inefficacité de cette mesure :

    a-      En 1988, les différents superviseurs nationaux n’adoptent pas une définition homogène des fonds propres. En pratique, pour satisfaire au ratio Cooke, seuls 2% de fonds propres sont exigés !
    b-     À la fin des années 1980, la structure des actifs bancaires est majoritairement composée de crédits aux ANF (faiblesse de la part relative des titres dans l’ensemble des actifs). Avec le ratio Cooke, l’objectif est donc de couvrir principalement le risque de crédit. Or, le choix des pondérations pour mesurer les actifs risqués au sein du ratio Cooke apparaît comme très discutable : celui-ci est jugé trop peu sensible aux variations de risque d’actif.
    c-      A partir des années 1990, les banques développent les stratégies de titrisation ce qui leur permet de « faire sortir » les crédits de leur bilan et donc d’améliorer leur ratio (mise en conformité formelle avec le ratio Cooke). Les banques entretiennent alors un rapport « ambigu » avec le régulateur dans la mesure où elles s’efforcent de montrer qu’elles sont mieux armées que lui pour calculer leur risque de marché. Entre Bâle I et Bâle II, les banques sont autorisées à développer des modèles internes (modèles value at risk dits VaR) pour calculer la couverture optimale en fonds propres de leur risque de marché (le jeu du chat et de la souris s’articule avec le jeu du chat qui s’allie à la souris !).

     

    Ces différents problèmes conduisent à des évolutions réglementaires : passage de Bâle I à Bâle II (entrée en vigueur de Bâle II en 2007 pour la plupart des pays) :

    Avec le développement des modèles internes d’optimisation de risque VaR, le ratio prudentiel évolue et devient : FP / RWA (au dénominateur RWA signifie « actifs pondérés par les risques »). Ce ratio doit être supérieur à 8 % pour satisfaire aux exigences réglementaires. Sur cette base et depuis le début des années 2000, les banques développent des stratégies, en accord avec le régulateur, pour optimiser les pondérations de risques et faire baisser le plus possible le RWA. L’explosion de la titrisation sur la décennie 2000 est une conséquence de ce nouveau cadre réglementaire : en revendant les crédits qu’elles ont ouverts auprès des ANF, les banques font « sortir » certains actifs risqués de leurs bilans et satisfont ainsi à l’exigence réglementaire… sans accroitre réellement leurs fonds propres !

     

    En fin de compte, des études montrent que la mesure des actifs pondérés par les risques dans les modèles VaR représentent une part de plus en plus faible de l’ensemble des actifs des banques : le rapport RWA/l’ensemble des actifs s’établit seulement entre 20 et 50 % en moyenne (seulement 1/3 de l’actif total pour BNP-Paribas en 2011).

    Exemple : quand un banque déclare avoir 10 % de fonds propres (en accord avec la réglementation) c’est en fait 5 voir même 3 % de fonds propres seulement par rapport à l’actif total !

     

    La contrainte réglementaire dite de Bâle II qui est entrée en vigueur juste avant la crise est doublement défectueuse :

    1)      les banques ont poursuivi leur stratégie de croissance (hausse de la taille de leur bilan) sans être contraintes par une quelconque exigence de fonds propres ;
    2)      les banques ont bénéficié de plus de garanties publiques de renflouement ce qui les incite à accroitre leur taille tout en réduisant davantage la part de leurs fonds propres en augmentant le poids de leurs dettes : plus une banque grossit, plus elle devient « too systemic to fail » (métaphore de la banque « fat cat »). Exemple : en 2011, le total des actifs de la BNP-Paribas s’établit à 100 % du PIB français !!

     

    Les enjeux actuels de la régulation bancaire : quid des accords de Bâle III ?

    -          Un des points porte sur l’exigence d’une modification de calcul sur les fonds propres : 4 % de fonds propres de base à partir de 2015 ; 7 % à partir de 2019 (dès 2014 pour les banques situées dans l’UE) ;
    -          Modification de la composition structurelle du ratio : on distingue un « coussin de conservation » (2 ,5 % de plus de fonds propres exigés) et un « coussin contra-cyclique » laissé à la discrétion des autorités monétaires (entre 0 et 2,5 %) : au plus fort de la réglementation, cela peut conduire à 10 % de fonds propres exigés.
    -          Mais le protocole de Bâle III reste dans le calcul sur la base des RWA !

    A cela s’ajoute :

    -          2 ratios de liquidités : un ratio de court terme (LCR) qui permet à la banque de résister à une crise de liquidité d’environ 30 jours et un ratio de long terme (NSFR) qui a pour fonction de réduire l’écart de maturité entre les passifs et les actifs
    -          un ratio de levier sans pondération des risques de 3 % (FP / actifs) : à l’initiative du Canada !
    -          des surcharges sont prévues pour les banques systémiques.

     

    Le discours des banques à propos de Bâle III via leurs différents groupes de pression gravite autour de 3 arguments qui sont scientifiquement non recevables. Selon eux, Bâle III est contreproductif car il va générer :

    1)      des restrictions massives de crédits et une hausse des coûts des fonds propres
    2)      un essor du shadow banking
    3)      des points de croissance économique en moins pour les PDEM

    Voir le rapport de l’IIF (The Institute of International Finance) téléchargeable ici : http://www.iif.com/regulatory/article+936.php

    Selon ce rapport : 20 % de crédits bancaires en moins et 4 millions de perte d’emplois annoncés !

     

    Ces hypothèses sont soit fortement discutables, soit elles véhiculent des contrevérités manifestes :

    1-     L’argument de la hausse des coûts de fonds propres n’est pas recevable car il suppose que la hausse des prix d’actifs imputable à la hausse de la demande sur le marché des actions s’effectuera à risque constant. Or, dès lors que la politique de régulation est efficace, elle fait baisser les divers risques et cette baisse se répercutera sur les taux d’intérêts des marchés d’actions (avec un système bancaire moins risqué, le coût des fonds propres n’augmente pas nécessairement).

    2-     L’argument selon lequel les banques seront contraintes de se désendetter pour satisfaire au ratio et seront donc contraintes dans le même temps de restreindre leur activité ne vaut que si les banques ne peuvent faire croitre leurs fonds propres. Dans le cas contraire, Bâle III crée un dispositif incitatif à la hausse du numérateur du ratio plutôt qu’à la baisse du dénominateur ! En d’autres termes, la critique de l’IIF implique que l’on raisonne à fonds propres constants.

    3-     L’argument selon lequel les risques que les banques ne prendront plus seront transférés vers le shadow banking n’est pas recevable : un dispositif international réglementaire plus efficace conduit à faire baisser le volume global de risque. La rentabilité potentielle du shadow banking chute si l’instabilité financière décroit dans l’économie mondiale !

     

    Conclusions proposées par A. Admati et M. Hellwig. The bankers' new clothes

    -          La régulation bancaire internationale implique davantage de « macroprudentiel » : une surveillance globale des cycles de crédit et des prix d’actifs ;
    -          Il faut mettre en œuvre des exigences plus strictes : préconisation d’un ratio de levier compris entre 20 et 30 % !
    -          Une taxation des activités risquées plutôt qu’une séparation bancaire (illusion d’un retour du type Glass Steagall act) : la séparation est complexe et ne protègerait pas efficacement contre le risque systémique ;
    -          Davantage de bailing in ce qui implique une réduction de la taille des bilans bancaires !
    -          Une union bancaire dans la zone euro qui ne peut être efficace que sous la condition d’une union budgétaire dans la zone.


    [1] Ce rapport est librement téléchargeable en ligne : http://ec.europa.eu/internal_market/bank/docs/high-level_expert_group/report_fr.pdf[2] Attention à ne pas confondre le rapport fonds propres / ressources bancaires (c’est à dire au dénominateur le total du passif du bilan) qui s’installe en moyenne nettement sous les 8 % dès le début des années 1980 et qui chute ensuite fortement pour la plupart des banques avec le ratio de fonds propres (fonds propres / actifs). A ce titre, le ratio Cooke est UN ratio de fonds propres à vocation réglementaire.