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2013

Publié le Nov 24, 2013

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Le  Sunday, November 24, 2013

Jeco 2013 10

Pol. ccce et industrie


  • Samedi 16 Novembre 2013 – 11h à 12h30 - salle Rameau
     
    La politique de la concurrence tue-t-elle l’industrie ?

     

    La conférence a été filmée. On peut la voir sur le site des Jéco :

    http://www.touteconomie.org/index.php?arc=v43

     

    Modérateur : Philippe Escande, journaliste, Le Monde

     

    Cette question sur l’impact de la politique de la concurrence ne se pose pas uniquement dans le cadre de l’industrie. Trois chocs de concurrence ont soulevé cette question :

    -        années 1990 : choc de la mondialisation, concurrence des produits, des coûts.
    -        milieu des années 2000 : le low cost, de nouveaux acteurs, de nouveaux modèles de distribution. On redécouvre alors les thèses de J A Schumpeter sur la « destruction créatrice ».
    -        2012 : arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile en France. Les économistes se sont opposés sur cette entrée sur le marché[1].

     

    La concurrence à outrance et la politique la soutenant sont-elles indispensables ? Sont-elles compatibles avec la politique industrielle supposée doper la compétitivité des entreprises ?

     

    Les intervenants ont d’abord exposé leur point de vue, puis chacun a énoncé trois mesures à prendre pour améliorer la situation française en matière de politique industrielle.

     

    Première partie : la politique de la concurrence tue-t-elle l’industrie ?

     

    Pierre-Noël Giraud (Professeur d’économie à Mines Paris Tech et à Paris Dauphine)

     

    Oui la politique de la concurrence est responsable du déclin de l’industrie, elle est responsable mais pas coupable du déclin de l’industrie, elle ne l’a pas tuée mais elle a contribué à diminuer le nombre d’emplois aussi bien en France ( - 27 % entre 1994 et 2007) qu’en Allemagne (-20 % entre 1994 et 2007) notamment des emplois dits nomades = délocalisables (que ce soit dans l’industrie ou dans les services). En France, seulement 16 % de l’emploi total reste soumis à la concurrence internationale.

    En ce qui concerne l’exemple de Free, c’est un avantage pour les consommateurs. Les économistes n’aiment pas les monopoles car il y a abus de position dominante. La politique de la concurrence a des vertus, elle permet des gains de productivité, des innovations de produit. Mais les effets sur l’industrie via l’innovation sont contrastés. D’ailleurs les libéraux et les schumpétériens n’ont pas la même vision. Pour les libéraux, la concurrence permet les innovations alors que pour Schumpeter ce sont les monopoles qui ont un rôle important dans la création d’innovations majeures.

    Dans la pratique, les brevets créent des monopoles légaux et locaux.

    La grande question est : pourquoi, en Europe, ne sommes-nous plus capables de faire de grands programmes comme Airbus, Ariane ? S’agit-il d’un manque de partenaires ? Faut-il développer des partenariats avec la Chine ? L’innovation est-elle le fait de start-up ? Quelle politique favorise les investissements ?

    Les jeunes pousses sont présentes partout aux Etats-Unis (clusters). Par contre leur présence est très faible en Europe. De plus les PME européennes sont fatalement rachetées par des grands monopoles outre-Atlantique. Nous sommes naïfs. Les USA et la Chine ont des politiques industrielles pour faire fertiliser les jeunes pousses. Les Chinois imposent des contenus locaux, l’Europe devrait faire de même.

    L’Europe est le lieu de divergences : certains pays sont industrialisés, d’autres pas. Avec les imperfections du marché, le succès va au succès : les IDE se dirigent vers les pays en croissance, qui ont les meilleures performances. Les divergences sont inquiétantes car les déséquilibres des balances commerciales s’aggravent. Or on a besoin de convergence y compris en matière de niveau de vie. Exemple témoignant de ces divergences : des ratios de PIB par habitant : ratio de 2 aux USA (Delaware / Mississippi), ratio de 6 au Mexique, et ratio de 8 dans l’UE (Danemark/ Bulgarie).

     

    David Encaoua (Professeur émérite à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : La politique de la concurrence ne tue pas l’industrie mais… 

     

    La politique de la concurrence et la politique industrielle sont en conflit apparent seulement car les pays n’ont pas la même vision. La politique de la concurrence n’est pas adaptée aux asymétries entre les pays (ex : droit du travail). La politique de la concurrence doit être évaluée à l’aune de la compétitivité (cf. rapport Gallois). La politique de la concurrence a pour objet la concurrence, celle-ci doit permettre aux marchés de fonctionner. La politique de la concurrence a quatre volets : abus de position dominante, ententes, concentration et aides des États. Le consensus est quasi-unanime pour les deux premiers volets. Par contre les aides à l’État font naître de nombreuses controverses. La politique industrielle ne réunit pas un consensus sur ce qu’elle doit être. Il y a une asymétrie entre une politique de la concurrence communautaire et décentralisée, et une politique industrielle qui tarde à prendre forme.

    La conception minimale de la politique industrielle est d’atteindre des situations souhaitables pour la société mais qui ne sont pas atteignables par le marché, sans l’intervention des pouvoirs publics (ex : assurer la transition énergétique). La conception plus large de la politique de la concurrence est de défendre des intérêts nationaux, des champions nationaux, des bassins d’emplois. La guerre économique existe entre les entreprises, les approches non coopératives mènent le marché. Pour autant faut-il que les Etats internalisent cela ou se dotent de moyens légaux pour poursuivre les entreprises enfreignant les règles ? Il n’y a pas de politique communautaire car pas de consensus entre ces deux conceptions de la politique industrielle. De toute façon, même avec un accord sur la conception minimale ce n’est pas simple à appliquer. La politique de la recherche et de l’innovation est du domaine de la subsidiarité, l’harmonisation est exclue par le TFUE.

    Pourquoi n’y a-t-il pas de grands programmes ? Par restriction budgétaire, les clients n’ont plus les moyens de payer. Il y a aussi eu une mauvaise spécialisation industrielle : le client final n’est pas nécessairement un État.

    Il faut revigorer l’industrie permettre l’essor de nouvelles technologies et recrédibiliser la notion de progrès technique : pas seulement des grands programmes mais aussi la création de nouvelles demandes sociales (penser au mieux-être de la société).

     

    Xavier Ragot (professeur associé à Paris School of economics, consultant à la Banque de France, conseiller d’Arnaud Montebourg)

     

    Le problème est la prééminence de la politique de la concurrence et non le fait que cette politique existe.

    L’Union européenne a subi trois chocs :

    • l’entrée des BRICS dans le commerce mondial,
    • l’euro,
    • la récession mondiale et européenne.

    Le problème réside dans la gestion des aides d’État. Les États doivent intervenir pour revoir l’industrialisation. Il existe des zones de coopération auxquelles le marché ne pousse pas. Par exemple en France, il faut repenser les filières, les acteurs doivent avoir des projets communs, des horizons stratégiques. Or ces politiques d’accompagnement ne sont pas prévues par la politique de la concurrence. Les aides d’État sont considérées comme des distorsions de la concurrence. L’Union européenne est aussi confrontée à l’hétérogénéité des systèmes productifs, cela nécessite de revenir sur la politique de la concurrence.

     

    Étienne Pfister (Chef économiste à l’autorité de la concurrence)

     

    La politique de la concurrence concerne :

    • les ententes (les victimes des ententes sanctionnées sont deux fois sur trois d’autres entreprises en tant que consommateurs intermédiaires),
    • les abus de position dominante (les victimes sont les outsiders : des PME entrant sur le marché qui se heurtent à des barrières),
    • les concentrations
    • les aides d’État.

     

    La politique de la concurrence n’est donc pas exclusivement au service des consommateurs finaux. La politique de la concurrence est favorable à la compétitivité : plus un marché est concurrentiel, plus les entreprises sont compétitives. Les gains de productivité bénéficient à d’autres entreprises et aux consommateurs. Quand l’industrie est trop concentrée, l’innovation tend à diminuer. L’autorité de la concurrence contrôle aussi les concentrations. La politique de la concurrence n’est pas contre les champions nationaux car ces champions regroupent plusieurs entreprises. Entre 2003 et 2012, seuls quatre projets de concentration (soit moins de 1 %) ont été interdits par la politique de la concurrence dans l’UE. Ce contrôle ne s’exerce pas seulement à l’égard des grands champions nationaux, ce contrôle vise aussi les grands champions étrangers. Les sanctions concernent aussi des entreprises : le montant est défini par la commission européenne, par les autorités de la concurrence mais quand le montant est défini, les difficultés financières des entreprises sont vérifiées et leurs amendes sont réduites si elles n’ont pas les capacités financières suffisantes.

     

    Jean-Pierre Lac (Directeur Général Adjoint du Groupe SEB, en charge des Finances) : la politique de la concurrence peut tuer l’industrie mais elle peut aussi la revigorer.

     

    Par exemple quand SEB a racheté Moulinex, un contrôle a été effectué par Bruxelles. Ces contrôles peuvent tuer une industrie si elle est faible : mauvaise compétitivité-coût (notamment vis-à-vis de la Chine) ou pas assez innovatrice.

    En France, l’industrie du petit électroménager est quasiment morte (idem aux USA mais à cause de la pression sur les prix du distributeur Wal-Mart alors qu’en France le réseau de distribution a un rôle positif). SEB réalise 35 % de la production en France et seulement 15 % de ses ventes. Atouts de la France : productivité du capital humain, innovations (aspirateur sans bruit, friteuse sans huile).

     

    El Mouhoub Mouhoud (Professeur de sciences économiques Paris Dauphine)

     

    Les délocalisations obéissent à différentes logiques et l’État est incapable de discriminer entre les comportements opportunistes et les délocalisations offensives. Il existe aussi des cas de relocalisations : lors des relocalisations, les aides ne sont pas un motif déterminant. Les services ont un poids important (R-D, conseils, marketing).

     

    Bernard Esambert (ancien Président du Centre Français du Commerce extérieur et membre du collège de l’Autorité des Marchés Financiers)

     

    La politique de la concurrence ne suffit pas à faire vivre l’industrie. D’autres mesures sont nécessaires.

    La politique de la concurrence a un rôle courageux, sa régulation est efficace (on ne peut pas dire la même chose pour l’AMF : manque de sanction). La politique industrielle vise à constituer un tissu industriel dense d’entreprises de toute taille, dans des secteurs variés, et de faire en sorte que ces entreprises exportent, soient efficaces. L’Allemagne a beaucoup d’entreprises de taille moyenne qui sont fortement exportatrices. Au départ c’étaient des petites entreprises créées en 1945, dirigées par des anciens soldats. Quand ces patrons ont été vieux, ces entreprises ont fusionné et des entreprises de taille moyenne se sont créées.

    Si la concurrence respecte certaines données, alors cela doit améliorer la compétitivité.

    Différents moyens existent pour accroître la compétitivité, par exemple le crédit-impôt recherche ou les avancées sociales. Les avancées sociales ne nuisent pas forcément à la compétitivité car elles sont favorables à l’élévation de la productivité.

    En ce moment avec les délocalisations on a sacrifié deux générations : les chômeurs des pays développés et les travailleurs dans les pays-ateliers (BRICS).

    Sous G Pompidou, on était déjà entré dans la mondialisation, ce sont avant tout les entreprises qui ont fait la politique industrielle, davantage que l’État. L’État a été visionnaire, il a influencé les entreprises mais ce sont elles qui ont réellement fait la politique industrielle. Pendant dix ans la France a été en avance sur l’Allemagne dans l’industrie.

     

    Deuxième partie : trois mesures à prendre pour améliorer la situation française en matière de politique industrielle.

     

    David Encaoua :

     

    • Crédibiliser le progrès technique auprès de l’opinion publique.
    • Penser au rôle de la recherche fondamentale (penser à un régime différentiel dans l’attribution des crédits d’impôts recherches).
    • Un soutien communautaire plus souple envers les aides d’État (s’inspirer des marchés financiers).

     

    Pierre-Noël Giraud :

     

    • Appliquer le rapport Gallois : il définit les politiques à tenir pendant 10 ans, il faut tenir toutes les mesures.
    • Régler les divergences européennes entre le Nord et le Sud, assurer la convergence des territoires, des industries.
    • Trouver une politique industrielle meilleure que celle des USA et de la Chine.

     

    Xavier Ragot 

     

    • Évaluer les outils qui existent déjà, faire disparaître ceux qui sont inefficaces. (Ex : simplifier les règles fiscales, aboutir à une stabilité fiscale)
    • Permettre l’acceptabilité sociale de la politique de l’offre (du rapport Gallois). Régler un problème fondamental : la divergence de coût du travail entre la France et l’Allemagne, il faudra revoir la politisation du projet européen.
    • Une politique de coordination des acteurs : filières, territoires.

    NB : la « politique industrielle » s’applique aussi aux services.

     

    El Mouhoub Mouhoud :

     

    • Mieux connecter les services et l’industrie dans la politique industrielle.
    • Déconnecter les objectifs de la population industrielle de ceux de la population de l’emploi.
    • Politique d’attractivité des compétences, du capital humain car la politique industrielle est indissociable de cette politique.

     

    Jean-Pierre Lac :

     

    • Rectifier l’image de l’entreprise : image encore trop souvent négative.
    • Soutenir l’industrie sans l’étouffer (mille-feuilles administratif) ni l’infantiliser par des lois (cette défiance a un coût).
    • Regrouper des entreprises, fusionner car en France nous manquons d’ETI (entreprises de taille intermédiaire), les entreprises ont une taille trop petite.

     

    Étienne Pfister :

     

    • Dérèglementer pour créer des emplois car il existe des gisements d’emplois dans des secteurs actuellement réglementés.
    • Donner confiance aux entreprises qui recrutent (flexibilité) car cela permet d’accroître la tailles des entreprises.
    • Augmenter le capital humain pour l’avenir car aujourd’hui la France est mal classée (enquêtes PISA).

     

    Bernard Esambert :

     

    • Appliquer le rapport Gallois notamment créer des pôles de compétitivité industriels.
    • Développer des aides à l’innovation qui n’est pas toujours la R-D.
    • Créer un passeport social dans l’entreprise : formation, conversion… tout serait davantage codifié. Aux USA ce passeport devrait voir le jour dans certaines entreprises.

    [1] Voir introduction de la conférence JECO 2013 : « ces technologies qui suppriment l’emploi ».