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Edito

Publié le 1 juin 2020

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Le  lundi 1 juin 2020

Edito. Climat de peur.

Article réalisé par Gérald ATTALI, IA-IPR HG

  • Crédit Gert Altmann—-Pixabay

     

    Climat de peur

    Le déconfinement met à jour des comportements sociaux radicalement contradictoires. Au relâchement des uns, qui assimilent le déconfinement à la fin de l’épidémie, s’oppose l’épouvante des autres qui font de la réclusion l’instrument exclusif de la lutte contre le Covid. Ainsi, la fin du confinement provoque des attitudes diverses d’où émergent le laxisme à un point extrême de l’échiquier des réactions et une peur quasi phobique de l’Autre, à l’opposé ; peur que justifieraient les avis du conseil scientifique. On fait ici l’hypothèse qu’il est plus difficile de lutter contre le relâchement que contre la peur. Celle-ci, attisée par deux mois d’un confinement scandé chaque soir par les bilans anxiogènes de progression de la maladie, nourrit désormais, chez une frange de l’opinion publique, le sentiment que la fin du monde est proche.

    Le combat contre la pandémie affronte ici des réalités qui ne sont guère éloignées de celles que rencontrent tous ceux qui ont entrepris d’éduquer au développement durable. Certes, comparaison n’est pas raison. Néanmoins, le changement climatique génère également des conduites qui, telles celles d’un ancien ministre de l’environnement se préparant activement à la disparition de « l’humanité […] en tant qu’espèce »1, sont d’abord guidées par la peur irraisonnée que suscite l’avenir de la planète2. Une telle attitude n’est pas sans conséquence pour la formation du citoyen, car elle repose sur une perversion de la science à l’opposé des savoirs qui la fondent. N’entendons-nous pas dans trop de discours, prétendument informés, que les solutions existent — celles que souffleraient les savants — et qu’il suffirait que les « décideurs » acceptent enfin de les appliquer ?

    Le changement climatique fait désormais l’objet d’un large consensus au sein de la communauté scientifique. C’est le résultat des travaux du GIEC3. Celui-ci a d’abord constaté la réalité du réchauffement climatique, puis établi le rôle des gaz à effet de serre dans les mécanismes du réchauffement et, enfin, expliqué le rôle des activités humaines dans l’élévation de ces mêmes gaz à effet de serre. Les rapports du GIEC sont facilement consultables4. Leur lecture appelle deux remarques. Les projections des scientifiques ne valident nullement les visions apocalyptiques sur l’avenir de la planète1 qui sont véhiculées par la collapsologie, d’une part. D’autre part, les travaux du GIEC sont destinés à éclairer les décisions que pourraient prendre les politiques ; mais ils n’ont aucun caractère prescriptif. Certains le regrettent, mais les scientifiques rassemblés au sein du GIEC admettent fort honnêtement que la recherche sur le climat ne peut embrasser la totalité des conséquences économiques, sociales ou sociétales qui découlent du changement climatique. Renoncer à ce postulat, ce serait pour eux abandonner le principe de neutralité axiologique qui fonde l’activité savante et garantit la qualité de son expertise.

    Que peut apprendre aux (futurs) citoyens l’examen de la posture adoptée par les scientifiques dans l’évaluation du changement climatique et de ses conséquences ?

    Tout d’abord, qu’il est nécessaire de distinguer nettement les élucubrations apocalyptiques improvisées par des apprentis sorciers, des connaissances collectivement validées par les savants. Les premières sèment des peurs irraisonnées et réactivent des clichés venus du fond des âges, les secondes invitent à des comportements rationnels. D’autre part, la neutralité axiologique n’est pas un aveu d’impuissance de la démarche scientifique, elle est au contraire la condition première de sa recevabilité par les citoyens. Enfin, dans une démocratie la peur est souvent mauvaise conseillère et ne peut être l’argument du civisme ; sauf à accepter de se soumettre à des dogmes alors même que les savoirs doivent éclairer le citoyen et nourrir le débat citoyen.

    La peur est-elle bonne conseillère ? Elle l’est quand elle sert d’aiguillon raisonnable à la mise en œuvre d’un principe de précaution ou de mesures préventives5, mais elle ne l’est plus du tout quand les comportements sont régentés par des discours eschatologiques.

     

    1   Yves Cochet, « L’humanité pourrait avoir disparu en 2050 », Le Parisien, 7 juin 2019.

     

    3   Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat